Au Kosovo, panser la guerre

Reportage

, par Hadrien Bajolle

Au Kosovo, panser la guerre
Mitrovica, janvier 2016. Sur le pont de Mitrovica, gardé par des soldats européens. - Hadrien Bajolle

Ultime produit du démembrement de l’ex-Yougolsavie, le Kosovo a déclaré unilatéralement son indépendance de la Serbie en 2008. Sur son territoire vivent encore 10% de Serbes orthodoxes contre 90% d’Albanais majoritairement musulmans. Né dans la violence entre communautés, le pays peine encore aujourd’hui à trouver la voie de l’apaisement. Entre vieilles haines, manœuvres diplomatiques et tentatives de réconciliation, enquête sur le plus jeune pays d’Europe.

Au Kosovo, il y a deux types de frontières : les officielles et les officieuses

En allant de Belgrade, jusqu’à Pristina, la capitale kosovarde, par la route, il est possible de traverser les deux. Entre la Serbie et son ancienne province rien n’est fait pour faciliter le passage. La voie ferrée a été détruite en 1999 pendant la guerre et n’a jamais été remise en service depuis. Il faut donc 9h de bus pour aller d’une ville à l’autre. On traverse d’abord la frontière officielle, pas loin de Raska. La terre est jaune, brulée par la neige qui a dû fondre il y a seulement quelques jours. J’avais lu qu’on pouvait parfois attendre des heures entières à la frontière en raison des tracasseries administratives. Mais aujourd’hui, presque personne.

Quelques vieux Serbes venus rendre visite à de la famille restée au Kosovo et surtout des berlines aux vitres teintées de fonctionnaires internationaux. La vraie frontière passe quelques dizaines de kilomètres plus au sud, à Mitrovica.

« Comme Sarajevo en Bosnie ou Hebron en Palestine, c’est une ville symbole, une de ces villes ou les plaies de la guerre, mal suturées, purulent en plein air. »

Frontière Serbie-Kosovo, janvier 2016. Le passage de la frontière officielle entre Serbie et Kosovo n’est pas toujours facile. Mais une frontière peut en cacher une autre, invisible mais pourtant bien présente dans les esprits.

Plaies purulentes

Comme Sarajevo en Bosnie ou Hebron en Palestine, c’est une ville symbole, une de ces villes ou les plaies de la guerre, mal suturées, purulent en plein air. Ici la blessure prend la forme d’un cours d’eau, l’Ibar. Le fleuve coupe la ville et le pays en deux. Au sud : l’euro, l’alphabet latin et les mosquées. Au nord, des drapeaux serbes à tous les coins de rue, des dinars, l’alphabet cyrillique et une ambiance plombée. Au milieu, le fameux pont, symbole de la ville que surveillent de placides carabinieri italiens. Ici, comme sur 15% du territoire kosovare officiel, l’Etat est absent. Pour les Serbes qui y vivent, la seule autorité est celle de Belgrade.

Doni, le gérant d’un improbable bar aux allures hipster planqué sous les tours HLM de la partie albanaise se lamente : « atmosphere is shit here ». On lui demande si c’est dangereux. « Pas vraiment, me dit-il, mais ça peut partir en quelques secondes ». Pour le profane, Mitrovica a ses raisons que la raison ne connaît pas. Certains quartiers sont inaccessibles aux Serbes, d’autres aux Albanais, et certains sont mixtes. Impossible de s’y retrouver. Un détail suffit à retranscrire le niveau de tension qui anime la ville : en théorie, la partie nord roule avec des plaques minéralogiques serbes. Pour pouvoir circuler plus librement, nombre d’habitants ont décidé de conduire sans plaque. Cacher une identité devenue trop lourde pour vivre normalement, comme un symbole du Kosovo d’aujourd’hui.

« Je ne connais pas un seul Serbe qui se reconnaît dans le Kosovo actuel »

A Priština, capitale du Kosovo, Memli Krasniqi, ancien rappeur, ex-ministre de la culture et actuel membre du gouvernement se veut rassurant : « Le Kosovo a fait du chemin depuis la fin de la guerre. Il n’y a pas d’échelle pour mesurer le niveau de réconciliation, mais ce qui est sûr, c’est que nous avons fait du chemin. Au niveau des institutions, par exemple, les Serbes sont bien intégrés, tant au niveau national que municipal. Le Serbe est une langue officielle de l’Etat. L’Eglise orthodoxe serbe jouit d’une grande autonomie. Nous avons aussi entrepris beaucoup d’efforts pour décentraliser le gouvernement. La création de la communauté des municipalités serbes par exemple, sous les auspices de Bruxelles, va dans ce sens ».

Mais le ministre omet un détail. L’été dernier, le Kosovo a lancé une grande campagne médiatique pour entrer à l’UNESCO. Un projet qui a ravivé les anciennes blessures. Comme l’explique Dimistris Moschopoulos, ancien chef du bureau de liaison grec à Priština et actuel consultant pour le gouvernement kosovar : « L’enjeu était politique. Le Kosovo n’est pas membre à part entière de l’ONU, du fait du véto russe. L’entrée à l’UNESCO leur aurait permis de gagner en reconnaissance internationale ». Mais au-delà du pur calcul diplomatique, il s’agit aussi de limiter l’autonomie des Serbes du Kosovo. « A la fin de la guerre, la communauté internationale avait imposé au Kosovo certains privilèges à l’Eglise orthodoxe serbe. Elle gardait en particulier le contrôle des monastères serbes situés dans le nord du pays. L’entrée du Kosovo à l’UNESCO aurait transféré la charge de la protection de ces lieux au gouvernement de Priština, un enjeu symbolique », décrypte James Kerlindsay, professeur à la London School of Economics et spécialiste des Balkans.

« Il y a d’abord un problème de sécurité, mais aussi et surtout un problème social. »

Une initiative qui ne passe pas pour le père Sava Janic, archimandrite de l’antique monastère de Decani. Le regard clair derrière des lunettes sans monture, la barbe en désordre, un embonpoint réconfortant, Sava Janic ressemble un peu à un Dumbeldore balkanique. Surnommé le « cyber moine » du Kosovo, il est à la fois religieux, activiste politique et twitto depuis la première heure. « Je ne connais pas un seul Serbe qui se reconnait dans le Kosovo actuel », explique-t-il d’emblée. A l’entendre, l’affaire de UNESCO n’est qu’un exemple parmi d’autres d’une politique du gouvernement visant à faire partir les Serbes du Kosovo.

Decani, janvier 2016. Sava Janic, le « cyber moine » du Kosovo.

« Il y a d’abord un problème de sécurité, mais aussi et surtout un problème social. Dans le Kosovo indépendant, les gens ne sont plus bilingues. Tout se fait en albanais. Les Serbes sont exclus de fait du monde du travail. » Si anecdotique qu’elle semble, la campagne pour l’UNESCO, qui a d’ailleurs échoué, a fait caler le fragile dialogue entre Belgrade et Priština. Pour Rick Spruyt, conseiller à l’ambassade de l’Union européenne à Priština : « Il n’y a plus de confiance entre les communautés. Le gouvernement kosovar est travaillé par les extrémistes du parti vet venosje, qui veut la réunification avec l’Albanie voisine et chasser les Serbes. Le contexte s’est dégradé par rapport à ces dernières années ».

« C’est à la société civile de prendre le relais »

Faut-il désespérer pour autant ? La réponse se trouve peut-être à Prizren, commune d’environ 200 000 habitants située au sud du pays. Ici, on retrouve Ares Schporta. La vingtaine, une barbe de quelques jours, un élégant long manteau gris, on s’attendrait à le voir trainer du côté du canal Saint-Martin. Il dirige l’ONG qui a fait de l’ancien cinéma de la ville, promis à la démolition, le centre de l’un des festivals de films documentaires les plus dynamiques d’Europe. Il incarne à lui tout seul une jeunesse lassée par 17 ans de tensions ethniques. « Les politiques ont fait beaucoup de mal au Kosovo. C’est à la société civile maintenant de prendre le relais et à l’Europe de nous accueillir. »

Prizren, janvier 2016. Ares Shporta devant le cinéma Lumbardhi.

« Les politiques ont fait beaucoup de mal au Kosovo. C’est à la société civile maintenant de prendre le relais et à l’Europe de nous accueillir. »

Là-dessus au moins le cinéaste de Prizren et le cyber moine de Decani sont d’accord. Lorsque l’on demande à Sava Janic s’il a un espoir que la situation se normalise un jour, il prend un air entendu « En tant que politique, je répondrais que l’Union européenne devrait avoir un rôle encore plus important dans la stabilisation du pays. Mais si c’est au religieux que vous posez la question, je vous répondrais que le dernier livre du Nouveau Testament est l’Apocalypse ». Les voies du Seigneur sont impénétrables.

Ce reportage a été publié dans l’édition parisienne du Taurillon, le Taurillon en Seine, et réalisé par son rédacteur en chef, Hadrien Bajolle, texte et photographies.

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