Brexit ou pas, renouer avec l’espoir

, par Bernard Barthalay

Brexit ou pas, renouer avec l'espoir
En négociant ainsi, David Cameron a mis en péril l’idée même d’une Europe unie et d’un projet commun. - European Council (CC/Flickr).

Les deux mois qui nous séparent du référendum annoncé par David Cameron verront se déployer face à face, au Royaume-Uni mais aussi dans les autres pays membres, un « parti de la nation » et un « parti de l’Europe ». Cela ne veut pas dire qu’après le référendum britannique tout sera réglé. Au contraire, la situation sera plus confuse que jamais.

Le « parti de la nation » compte dans ses rangs des nationalistes ou national souverainistes qui refuseront toujours quelque forme d’Europe que ce soit, hormis celle des Etats souverains, dont le soi-disant « accord » dissimule l’impasse, aux yeux des naïfs, mais il compte aussi des « européistes » tièdes, qui continueront de croire que l’intégration par le marché nous dispense de l’intégration par des politiques délibérées par une représentation européenne souveraine. Le « parti de la nation » réunirait ainsi, contradictoirement, le « parti de la fermeture » et le parti de « l’ouverture sans le peuple ».

Le « parti de l’Europe », de son côté, s’étirera sur un spectre large, de ceux qui croient encore que les institutions actuelles puissent évoluer « à l’anglaise », sans rupture, par la voie d’une parlementarisation croissante, et qui ont déjà raté le train de l’histoire, à ceux, les « fédéralistes », qui ne sont pas, comme le prétendent plusieurs nationalistes ou souverainistes, le parti de « Bruxelles » ou de l’Union européenne, mais ceux pour qui l’unité politique du continent, ou au moins des Six Fondateurs ou de la zone euro, au stade de l’initiative, passe par la limitation de la souveraineté des Etats, au profit d’une souveraineté nouvelle, limitée elle aussi par une constitution préparée, rédigée et adoptée par la voie démocratique. Ce sont ces derniers qui annoncent de longue date la faillite des Etats nationaux et l’impasse actuelle. Dans ce « parti de l’Europe » figurent aussi tous ceux, marqués par l’« internationalisme », qui veulent une « autre Europe » sans admettre que les Etats nationaux à bout de souffle ne sont plus capables d’innovation sociale ou politique et qu’un nouveau contrat social, dans un périmètre commun, ne va pas sans la constitution politique voulue par les « fédéralistes » qu’ils accusent d’« institutionnalisme ».

Cameron a décidé unilatéralement que des règles, appliquées aujourd’hui dans l’Union européenne, adoptées selon les procédures en vigueur, sont contraires à ses intérêts. C’est sur cette base qu’il a demandé l’ouverture d’une négociation bilatérale entre lui-même et l’Union européenne.

C’était oublier que ces règles ont une histoire, et que le Royaume-Uni a contribué à les préparer, les a validées, parfois même par référendum, y compris le projet d’ « une union sans cesse plus étroite », et les a appliquées, souvent avec la plus grande discipline. Le traité d’adhésion (1972) avait fait droit aux demandes d’aménagement que le Royaume-Uni aurait exigé en sa faveur s’il avait participé quinze ans plus tôt à la négociation du Traité de Rome (1957). Depuis, le Royaume-Uni a eu toute sa part au fonctionnement normal des institutions communes. Les autres Etats membres ont donc commis une faute contre le droit, et contre la démocratie, en concédant à Cameron, dont le parti est en difficulté, une négociation bilatérale entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. C’est une erreur fatale : elle signifie, sans que les citoyens de l’Union ou les peuples des Etats aient été appelés à en décider, que le Royaume-Uni est déjà dehors. Ce type de négociation n’a lieu d’être en effet qu’entre l’Union et un candidat à l’adhésion. Et c’est la Commission qui négocie pour l’Union.

Cameron a eu gain de cause, en convainquant ses partenaires qu’ils pouvaient impunément renverser l’ « ancien régime » de la Communauté en écartant la Commission au profit du président du Conseil européen, Donald Tusk, qui a fait figure de négociateur en chef ; et en écartant le Parlement, dont on voit mal qu’il puisse adopter ou rejeter un accord entre gouvernements, caduc en cas de Brexit et sans portée légale d’aucune sorte dans le cas contraire. Imagine-t-on que Joe Biden, président du Sénat des Etats-Unis d’Amérique négocie bilatéralement avec le gouverneur du Commonwealth of Massachusetts, un accord d’administration à administration, objet d’un accord unanime des gouverneurs des Etats, sans vote du Congrès et sans que la Cour suprême déclare cet accord inconstitutionnel. Ce serait la fin de l’Union américaine. Autant dire que l’Union européenne, comme on la connaissait avant le 19 février, est morte. Les Etats membres l’ont tuée.

Restaurer l’unité entre les Fondateurs eux-mêmes exigera beaucoup plus qu’un simple replâtrage. Pour colmater la brèche dans le droit européen, faire oublier le déni de démocratie et renouer avec le projet des Fondateurs, qui était lui-même celui de Spinelli, de Monnet, de Schuman, Adenauer et de Gasperi, c’est une révision générale qu’il faut. La méthode des petits pas, où la construction s’est enlisée, l’oubli des citoyens, dont les attentes d’Europe survivent à la déferlante nationaliste, les pratiques opaques et incompréhensibles, ça suffit !

L’Europe est à la traîne, tandis que le monde court devant. Les Fondateurs ont une responsabilité historique, celle d’avoir engagé ce continent dans la voie de l’unité. Ils viennent, quelle que soit l’issue du référendum britannique, de dire le peu de cas qu’ils font aujourd’hui de leur projet initial, et même de la démocratie. Ils ont engagé l’Europe, sous une unanimité de façade, dans la voie de la division. L’effet domino de l’accord du 19 février ne s’arrêtera pas aux limites géographiques du continent.

La politique de la suspicion, de la défiance, de l’incompréhension de la peur et la haine s’alimentant réciproquement pourraient triompher aux dépens des générations futures. Il est urgent de renverser la vapeur. Ce n’est possible qu’à une condition, que les Fondateurs assument la responsabilité de leurs gestes insensés, en s’engageant maintenant, publiquement, à une union complète, quoi qu’il en coûte. C’est le prix à payer pour opposer l’espoir à la peur.

La sécurité des Européens (et donc leurs libertés) est à l’ordre du jour, qu’il s’agisse de la finance casino, de la précarité économique, du réchauffement climatique ou des migrations. Les Européens en ont assez de la procrastination gouvernementale, des négociations trop lentes, des décisions trop tardives, des pratiques secrètes. Ils sont en demande de démocratie, de délibérations publiques et, tout simplement, de décisions prises à temps. Qu’est-ce que cela veut dire pour l’Europe ? Une division claire du travail entre les gouvernements nationaux et un gouvernement commun, également responsables devant des représentants élus, un transfert de pouvoirs et de ressources à l’union constitutionnelle de ceux qui voudront. Ni plus, ni moins. Maintenant.

Cet article a été publié initialement dans le Huffington Post et dans le magazine Fedechoses du mois de mars.

Vos commentaires
  • Le 3 mai 2016 à 09:56, par Guth En réponse à : Brexit ou pas, renouer avec l’espoir

    Je souscris absolument à votre article, Bernard, et c’est pour cela que je souhaite que la GB sorte de l’UE. Florent Baffi trouve immonde l’esprit de ceux qui disent « England out ! », et je pourrais le comprendre si la GB était un membre normal de l’UE, mais ni dans l’esprit, ni dans la lettre, les Anglais ne sont des partenaires loyanx : ils veulent autre chose qu’une union politique et ils veulent une place à part et privilégiée dans une union. Acceptons de voir cela en face. Leur départ permettrait peut-être à l’« Europe molle » de ne pas se perdre dans les marais de la nullité, mais pourrait produire un choc tel, et une crainte telle, que nos politiciens accepteraient peut-être de préparer une union plus resserrée et moins nombreuse ! Espoir fou, je vous l’accorde, mais seule voie que j’imagine pour aller ailleurs que dans le néant. Amitiés

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