Élections européennes : après le vote, le banquet (des peuples)

, par Timothée Houzel

Élections européennes : après le vote, le banquet (des peuples)
We, Europe, Banquet of the Peoples © Christophe Raynaud de Lage, Festival d’Avignon

La bataille des élections européennes, prévues en juin 2024, est déjà lancée, mais se résume pour l’heure, du moins en France, à des enjeux de casting révélateurs des psychodrames et tensions picrocholines internes aux partis politiques. La séquence qui s’ouvre est pourtant l’occasion rêvée pour prendre du recul, à l’image de Laurent Gaudé.

Les prochaines élections permettent d’abord de revenir sur le mandat qui s’achève et qui a été, à bien des égards, synonyme d’ébranlements multiples. Départ effectif du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE), mise en œuvre du Green Deal, crise du Covid et plan de relance européen, guerre en Ukraine ou encore instauration de la Communauté politique européenne pour ne citer qu’eux ; les cinq dernières années ont vu l’Union changer de nature, questionner ses doxas et se (ré)affirmer. Alors que l’actualité est riche d’enjeux européens (poursuite de la guerre en Ukraine, débats sur d’éventuels élargissements, crise migratoire, etc.), ces élections permettront bien sûr de donner des orientations et préférences populaires pour apporter des réponses européennes, dans une approche fonctionnaliste du vote.

Mais, surtout, ces élections présentent une occasion, trop rare, de s’interroger sur l’Europe que nous souhaitons. Sur son identité. Notre identité.

Cela peut paraître banal, mais cette nécessité émerge d’autant plus à la lecture de Nous l’Europe - Banquet des peuples de Laurent Gaudé. Paru en 2019, lors des précédentes élections européennes, ce texte en vers libre évoque cette mémoire collective, celle d’un continent déchiré par les guerres et qui décide de bâtir les fondations d’un projet ambitieux, utopique et un peu fou : celui de créer les conditions de la paix en unissant les peuples. Et ce passé est autant un héritage qu’une boussole, selon Gaudé. Du printemps des peuples européens en 1848 aux élections européennes de 2019 en passant par le traité de Paris en 1951, Laurent Gaudé parle de l’histoire du continent, de son ADN, dans un regard sur le passé qui éclaire le présent et laisse le lecteur libre de s’interroger sur l’avenir qu’il projette.

Une partie importante du livre est consacrée à la Seconde Guerre mondiale, dont les ruines morales et matérielles ont laissé place aux fondations d’une Europe née dans la douleur. Comprendre cet intermède entre la fin de la guerre et les débuts de la construction européenne, c’est comprendre une partie des critiques contemporaines adressées à l’UE. Car l’Europe ennuie davantage qu’elle ne suscite de ferveur au sein de nos sociétés européennes. La raison de cet ennui ? C’est qu’à ses origines, elle s’est construite sans passion populaire, se détournant des soulèvements idéologiques qui avaient embrasé le continent par deux fois. En construisant l’Europe par la raison et le compromis, on se donnait une chance de réaliser cette utopie.

Or, l’ouvrage de Gaudé montre justement que l’Europe peut et doit être accessible à tous. Que s’interroger sur l’Europe, sur son identité d’européen, ne doit surtout pas être réservé aux intellectuels et hauts-fonctionnaires. Et que justement, au XXIe siècle, il ne faudrait plus exagérer dans le zèle de nuance et de compromis car cela risquerait tout simplement de faire échouer le projet européen. Comme le dit l’auteur, il faut « redonner de la sève » à l’Europe. Les élections de juin prochain en sont une première opportunité, afin d’animer l’Europe, de même que l’ont été, par le passé, les manifestations pro-européennes en Ukraine (2013), Pologne (2021) ou plus récemment en Géorgie (2023).

En 2018, l’UE avait engagé la campagne “Ce que l’Europe fait pour moi”, permettant de découvrir, région par région, au travers de chaque aspect du quotidien ainsi que par politique, 1 800 exemples de l’impact de l’UE. Cette campagne révèle l’enjeu pour l’UE de mieux communiquer sur ses actions mais également de défendre la subsidiarité qui la caractérise.

Mais réconcilier les citoyens avec l’Europe doit nécessairement aller au-delà de simples campagnes de communication. À l’instar des propos du politologue bulgare Ivan Krastev, l’Europe doit retrouver sa confiance en elle. Et cela passe aussi bien par la confiance des citoyens envers l’UE que de l’UE vis-a-vis d’elle-même et de sa nécessité à agir. Comment convaincre de la pertinence de cette construction au-delà de cette douce banalité que l’Europe nous a apportée dans la paix quand notre voisinage s’embrase ? On y parviendra en expliquant que l’UE est une zone d’expérimentations, une nation des nations qui respecte les diversités nationales qui font la richesse de l’Union, mais également un acteur qui permet auxdites nations de porter des réponses européennes à des défis par définition collectifs. La transition écologique est l’exemple idoine d’un phénomène ne connaissant pas de frontières mais dont les réponses, si elles sont collectives et coopératives, peuvent en atténuer les effets pour éviter l’aggravation des inégalités. Cette philosophie qui se trouve derrière le fonds pour une transition juste de compensation des territoires et populations qui pourraient être lésées par ladite transition doit nécessairement être répliquée.

"Que l’ardeur revienne, Que l’Europe s’anime, Et soit, À nouveau, Pour le monde entier, Le visage lumineux De l’audace, De l’esprit, Et de la liberté."

Il y a une Europe à inventer. Laurent Gaudé en esquisse une piste qu’il considère comme inachevée, dans l’attente que d’autres voix venues d’Italie, d’Allemagne, de Pologne, etc. se joignent à la sienne en usant de la force immuable de la littérature pour susciter l’enthousiasme collectif.

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