Les 28 adoptent un accord au rabais sur la crise humanitaire en Méditerranée

, par Hervé Moritz

Les 28 adoptent un accord au rabais sur la crise humanitaire en Méditerranée
Lampedusa, petite île italienne, accueille de nombreux migrants clandestins en trasit par la Méditerranée pour rejoindre les côtes européennes, faisant face à une crise humanitaire sans précédent. Les migrants attendent le traitement de leur dossier dans des centres d’accueil surpeuplés. - Noborder Network

Hier, jeudi 23 avril à Bruxelles, les chefs d’Etat et de gouvernements se sont réunis pour définir des mesures d’urgence sur le sort des migrants qui traversent la Méditerranée à la suite du naufrage d’un chalutier, dans la nuit de samedi à dimanche, en pleine mer qui a fait plus de 800 morts, la plus grande catastrophe de ce type depuis plusieurs années. Alors que le haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés parlait « une hécatombe jamais vue en Méditerranée », prenant la mesure de la catastrophe, les décisions prises hier à Bruxelles ne sont pas à la hauteur de l’enjeu, et dénote avec les drames humains en Méditerranée que les télévisions du monde entier nous révèle jour après jour. Un accord au rabais, qui ne suffira pas à endiguer cette crise humanitaire.

La faillite de l’opération Triton

Le sommet européen d’hier devait apporter les réponses à la faillite de l’opération Triton, lancé en novembre 2014 à la suite de l’arrêt de l’opération italienne Mare Nostrum. Il faut dire que les deux opérations n’avaient pas les mêmes missions. Alors que Mare Nostrum était une mission de sauvetage des migrants, Triton visait d’abord le contrôle des frontières, une surveillance limitée aux eaux territoriales européennes.

En octobre dernier, Cecilia Malström, encore commissaire européenne aux affaires intérieures, soulignait : « En aucun cas l’opération Triton ne peut et ne remplacera Mare Nostrum. (...) Triton ne doit pas empêcher les Etats membres de remplir leurs obligations dans la surveillance de leurs frontières extérieures et la recherche et le sauvetage des personnes en danger. »

En conséquence, le budget différait également de manière significative. Trois fois inférieur au budget de Mare Nostrum, l’opération Triton disposait d’un budget mensuel de 3 millions d’euros parmi les 114 millions d’euros de budget alloué en 2015 à Frontex, l’Agence de contrôle des frontières extérieures de l’Europe.

A la suite du drame de Lampedusa en octobre 2013, où 366 migrants avaient perdu la vie en mer, l’Italie avait mobilisé sa marine militaire dans l’opération Mare Nostrum. 900 soldats sur le terrain quotidiennement et 32 navires, soutenus par des avions et hélicoptères quadrillés la Méditerranée. Ils ont secouru pendant une année 150 000 personnes, soit plus de 400 personnes par jour en moyenne. 3300 migrants ont trouvé la mort cette année-là en Méditerranée. L’opération Triton n’avait pas la même ampleur. Seuls huit pays [1] participaient à l’opération, fournissant des matériels et des gardes-frontières. Triton ne comptait alors que 21 navires, quatre avions et un hélicoptère, limitant son champ d’action aux eaux territoriales européennes. A l’automne dernier, déplorant une opération au rabais, le haut-commissaire aux réfugiés de l’ONU appelait déjà à une « opération Mare Nostrum européenne ».

Une crise humanitaire sans précédent

Depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi, en 2011, l’instabilité politique en Libye en fait une fenêtre de passage pour de nombreux migrants et passeurs vers les côtes européennes. Depuis le 1er janvier, selon l’ONU, ce ne serait pas moins de 35 000 migrants qui auraient tenté de traverser la Méditerranée, fuyant la misère ou la guerre. D’après l’OMI [2], 500 000 migrants pourraient tenter la traversée cette année.

Dans des propos rapportés par le journal Le Monde, la présidente d’Amnesty International France, Geneviève Garrigos, a fustigé les politiques migratoires des pays européens : « Il aura fallu attendre les 3 400 morts de l’année dernière, les 1 000 morts de cette semaine pour qu’enfin, un véritable sommet soit convoqué à Bruxelles », a-t-elle confié mercredi. De même, Volker Turk, haut-commissaire adjoint pour les réfugiés à l’ONU, a déclaré cette semaine que les représentants des Etats membres devaient se prononcer clairement sur une politique d’asile cohérente. « Les dirigeants politiques européens devront apporter les réponses qui conviennent, basées sur les valeurs fondamentales de l’Europe, sur les droits humains et la dignité humaine, la responsabilité, la solidarité. »

Un accord minimal qui ne répond pas aux enjeux de la crise humanitaire

« J’aurais voulu que nous soyons déjà plus ambitieux. » Ce sont les mots de Jean-Claude Juncker hier. Le Conseil européen s’est en effet contenté d’adopter un compromis a minima. Alors que la Commission avait présenté lundi aux ministres européens un plan d’urgence en 10 points.

Les chefs d’Etat et de gouvernements se sont entendus sur quelques points. Le budget de l’opération Triton passe de 2,9 millions d’euros à 9 millions d’euros, un budget équivalent à l’opération italienne Mare Nostrum qui a pris fin en octobre 2014. Plusieurs Etats ont annoncé le prêt de matériels supplémentaires pour doter l’agence Frontex de nouvelles capacités. L’agence qui contrôle la protection des frontières européennes voit son mandat s’élargir, en intégrant notamment un objectif humanitaire et de sauvetage dans ses nouvelles prérogatives. La destruction des embarcations des passeurs fut également un élément des négociations, qui se sont heurtés au droit international. François Hollande, qui se propose de soutenir une résolution à l’ONU sur le sujet, doit évoquer aujourd’hui cette mesure avec Vladimir Poutine pour éviter un veto russe au Conseil de sécurité.

Nous sommes loin des propositions avancées lundi par la Commission. Alors que cette dernière proposait un « projet pilote » visant à accueillir 5 000 réfugiés syriens supplémentaires, répartis dans toute l’Union comme première expérience de gestion commune de réfugiés, les Etats ont préféré une répartition sur la base du volontariat et sans objectif chiffré. De plus, la réforme de « Dublin II », fixant les règles de gestion des migrants dans l’Union européenne, ne se fera pas dans l’immédiat.

En attendant, l’initiative pourrait bien venir du Parlement européen qui a fait entendre son mécontentement à l’issue du sommet. Martin Schulz, président du Parlement européen, a évoqué « la colère » des présidents de groupe à l’annonce des mesures du Conseil européen. Le PPE, le groupe majoritaire du centre et de la droite au Parlement, a appelé à une politique d’asile commune et à l’instauration d’un système de quotas contraignant pour répartir les réfugiés entre les Etats membres. Alors que Donald Tusk, président du Conseil, devrait faire son apparition à Strasbourg le 29 avril prochain, Dimitris Avramopoulos, commissaire aux Affaires intérieures, devrait proposer à la mi-mai un plan de réformes en matière de politiques migratoires et d’asile. Un plan que le Parlement attend pour formuler ses pistes de sortie de crise en réponse aux faibles mesures du Conseil européen d’hier.

Notes

[1La France, l’Espagne, la Finlande, le Portugal, l’Islande, les Pays-Bas, la Lituanie et Malte.

[2L’Organisation maritime internationale (OMI), une institution de l’ONU.

Vos commentaires
  • Le 26 avril 2015 à 19:25, par Julien223 En réponse à : Les 28 adoptent un accord au rabais sur la crise humanitaire en Méditerranée

    Peut-on s’attaquer au problème à la racine ? Dans quels cas et comment ?

    Nb : origine des demandeurs d’asile dans l’UE en 2014 - HCR

    Syrie : 121 000

    Kosovo et Serbie : 55 000

    Afghanistan : 38 000

    Érythrée : 36 000

    Pakistan : 21 000

    Nigeria : 19 000

    Albanie : 16 000

    Russie : 16 000

    Somalie : 15 000

    Iraq : 15 000

    Total : 571 000

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