Peu importe l’influence française au Parlement européen !

L’Union européenne face au nationalisme méthodologique

, par Ferghane Azihari

Peu importe l'influence française au Parlement européen !
Drapeaux européens et français

Alors que les médias n’ont cessé de clamer la victoire du Front national lors des dernières élections européennes (qui ne dispose que de 24 eurodéputés au sein d’une assemblée qui en contient 751 sans être capable de former un groupe parlementaire), ils suivent désormais avec attention les rapports de force en vue de l’attribution des postes clefs de l’enceinte strasbourgeoise [1]. À en croire la plupart des médias, la France aurait perdu de l’influence à Strasbourg. Ce n’est pourtant pas comme cela qu’il faut regarder ces événements.

Les eurodéputés ne sont pas des ambassadeurs nationaux

Il est désolant que la quasi-totalité des médias & think tanks, y compris les plus eurocentrés [2] [3] [4], sont incapables de regarder le Parlement strasbourgeois autrement qu’à travers le prisme de rapports diplomatiques entre émissaires nationaux. Ce nationalisme méthodologique fait partie des facteurs qui nuisent à l’émergence d’une culture politique proprement européenne. Il entretient l’idée que l’UE ne serait qu’un espace étranger dédié à la confrontation d’intérêts nationaux. Pourtant les eurodéputés sont élus par des individus titulaires d’une citoyenneté transnationale. Cela signifie que leurs électeurs ne partagent pas nécessairement leur(s) nationalité(s). C’est pourquoi le rôle du Parlement européen consiste à représenter les intérêts des citoyens indépendamment de leur(s) nationalité(s) et non ceux des gouvernements (contrairement à ce que laisse entrevoir l’attitude de ces derniers). Surtout quand les deux s’opposent lorsque les États sont tentés de confisquer le pouvoir au détriment des citoyens.

La démocratie européenne reste une vue de l’esprit

L’Europe est encore bien loin d’une véritable démocratie parlementaire contrairement aux affirmations de certains observateurs sans doute encore un peu trop optimistes [5]. Aussi longtemps que le nationalisme méthodologique dominera les médias, y compris dans la perception de l’exécutif européen, l’Europe ne sera pas dotée de sa propre légitimité démocratique. Mais ce nationalisme méthodologique n’est pas une fatalité. La sphère médiatique est tout simplement victime d’un système institutionnel qui l’entretient volontairement par le biais de l’hégémonie des institutions diplomatiques. Le Conseil européen s’octroie le droit d’écrire le programme de la Commission. Les institutions diplomatiques telles que le Mécanisme Européen de Stabilité et l’Eurogroupe gardent la main sur la gouvernance économique européenne en échappant à tout contrôle parlementaire, méprisant ainsi les considérations démocratiques les plus élémentaires. Le Conseil de l’Union, organe le plus puissant du triangle institutionnel, cumule exécutif et législatif tout en étant politiquement irresponsable. Autant d’aspects qui nuisent au dépassement du paradigme nationaliste dans le traitement médiatique voire scientifique des questions européennes.

Dépasser le prisme de l’État-nation dans le traitement des questions européennes

Fédéraliser les institutions inter-gouvernementales

Le premier réflexe pour dépasser cette lecture biaisée des questions européennes consiste à politiser avant toute chose les institutions inter-gouvernementales (qui à terme doivent fusionner). Deux méthodes sont possibles. La première, la moins réaliste, consiste à faire converger les calendriers électoraux de tous les gouvernements nationaux. Les institutions inter-gouvernementales seraient ainsi entièrement renouvelées selon un processus démocratique uniformisée, ce qui éradiquerait, ou du moins tempérerait, la culture diplomatique au sein d’institutions qui seraient désormais rythmées par des rapports de force idéologiques partisans et non plus technocratiques. La seconde approche plus réaliste se situe dans la même perspective. Elle consisterait à renouveler les institutions diplomatiques dans leur intégralité via des élections sénatoriales organisées à une même date et qui ne concerneraient que les gouvernements dont les calendriers nationaux n’auraient pas à être modifiés.

Fédéraliser le Parlement européen

Le second réflexe consiste à parachever la transnationalisation du Parlement européen. Comme le fait remarquer Jo Leinen (Président du Mouvement européen International) dans un article, le Parlement n’est pas encore tout à fait transnational. Les partis politiques et le processus électoral « européens » ne fonctionnent pas selon une dynamique fédérale. Aucune formation politique communautaire n’a de stratégie politique & électorale proprement européenne. Pourtant, aux termes de l’article 10 paragraphe 4 du Traité sur l’Union européenne, elles sont censées contribuer « à la formation de la conscience politique européenne et à l’expression de la volonté des citoyens de l’Union ». Mission impossible compte-tenu des lacunes du droit européen des associations qui empêchent ces formations politiques d’avoir une existence propre (et le pouvoir qui va avec) tant aux échelons locaux qu’à l’échelle européenne. Selon Jo Leinen, ces lacunes sont vouées à être comblées dès 2017. Mais en l’absence d’une loi électorale qui uniformise le déroulement de la campagne à travers tout le continent (loi qui a toujours été combattue par les partis et les gouvernements nationaux), celle-ci restera de fait une mosaïque de campagnes nationales en confortant le nationalisme méthodologique.

Ainsi la possessivité schizophrénique des États-nations qui démocratisent l’Europe d’une main en bridant la citoyenneté européenne de l’autre devra être vaillamment combattue par la société civile fédéraliste sans quoi tout phénomène politique transnational restera une douce illusion.

Vos commentaires
  • Le 22 juillet 2014 à 09:26, par Jacques Fayette En réponse à : Peu importe l’influence française au Parlement européen !

    L’auteur a un raisonnement fédéraliste impeccable et dans l’absolu on ne peut que l’approuver. La réalité est un peu différente. Si des pays comme l’Allemagne, le Royaume Uni, l’Italie veillent à avoir des députés de chez eux à des postes-clefs c’est pour que des rapports, des projets, voire des textes soient favorables à leurs intérêts économiques ou politiques. D’où le communique de l’AFEP qui regroupe les 100 plus grandes entreprises privées françaises à la veille des élections. Pour le moment luttons contre les médias qui voudraient faire du commissaire français le représentant de la France. La Commission n’est pas un Coreper bis, Michel Barnier a été très clair sur le sujet.

  • Le 22 juillet 2014 à 09:52, par Ferghane Azihari En réponse à : Peu importe l’influence française au Parlement européen !

    Merci pour votre commentaire bien que je pense que mon raisonnement fédéraliste sera toujours perfectible. Effectivement la réalité est que tous les Etats européens voient le Parlement comme une assemblée de seconde zone qui doit servir les intérêts nationaux.D’où la nécessitée prendre des mesures pour définitivement fédéraliser le système européen.

    Enfin je ne suis pas sûr que Monsieur Barnier fasse partie des individus qui veulent délivrer le système des emprises nationalistes : http://www.bfmtv.com/economie/michel-barnier-la-france-a-choses-a-dire-a-commission-sans-arrogance-805393.html

  • Le 22 juillet 2014 à 09:59, par tnemessiacne En réponse à : Peu importe l’influence française au Parlement européen !

    Il est assez étonnant de constater que les socialistes français ont voté contre l’élection de Jean-Claude Juncker et pourtant, le gouvernement français présente un socialiste de cette famille, Pierre Moscovici. La démocratie, la légitimité et un certain respect ont encore des progrès à faire.

    Il est également à noter que Jean-Claude Juncker à récolté 58% des suffrages. Ce qui est très rarement voir jamais exprimé en pourcentage. Ce qui est plus simple à appréhender et va en direction d’une Europe plus démocratique.

    Pour la future commission, il faudrait réduire le nombre de commissaire, proposition faite de nombreuses fois ces dernières années, mais pas lors des élections, et ne pas nommer des commissaires dont leur famille politique n’a pas voté majoritairement pour le président. C’est du bon sens démocratique il me semble.

  • Le 22 juillet 2014 à 10:14, par Ferghane Azihari En réponse à : Peu importe l’influence française au Parlement européen !

    Si les socialistes français n’ont pas voté pour Juncker, c’est sans doute qu’il y a dans cette attitude une tactique pour éviter qu’on leur reproche sur la scène nationale (le fameux UMPS de Marine le Pen) de voter pour un conservateur.

    Cependant ils ne remettent pas en cause la légitimité de Juncker. Il n’y a donc aucun problème démocratique de ce côté si ce n’est le fait que la politique européenne reste avant toute chose tributaire des opinions publiques nationales.

    Pour ce qui est du nombre de Commissaires, Lisbonne prévoyait sa réduction mais le Conseil européen a dynamité le processus : http://www.taurillon.org/Les-egoismes-nationaux-malmenent-l-esprit-des-traites,05786

    Et pour ce qui est de l’équipe gouvernementale, son investiture est assujettie à une seconde approbation parlementaire, de quoi s’assurer d’un exécutif européen politisé....pour peu que le Parlement joue son rôle de gardien de l’intérêt transnational : http://www.taurillon.org/elections-europeennes-2014-le-parlement-europeen-n-a-pas-le-droit-a-l

  • Le 22 juillet 2014 à 10:56, par tnemessiacne En réponse à : Peu importe l’influence française au Parlement européen !

    C’est un jeu subtil, car comme vous le dites, il y a la question de l’UMPS et le fait que nous soyons un des seul pays à avoir voter massivement pour l’extrême droite. Mais il y a aussi la question des partis proprement européens avec discipline de vote. Tous les députés européens du PSE votent pareil en incluant quelques personnalités dissidentes européennes comme en France avec les Frondeurs. Mais c’est vrai qu’il est assez étonnant que le PSE vote pour Juncker, leur concurrent.

    Mais si le PSE le n’avait pas voté comme ça, Juncker n’aurait pas été élu, donc le PS français a un peu fait la tactique économique du passager clandestin. Théorie économique qui dit que les syndiqués ne s’engagent pas mais récoltent les avancées sociales de ceux qui s’engagent.

    Par contre, j’avais à l’esprit les négociations du traité de Nice concernant le nombre de commissaire, et pendant les élections, les candidats auraient pu s’engager sur quelques commissaires sans nécessairement changer le traité.

    Aussi il est à noter que Juncker est passé de 29% au premier tour universel, à 58% au deuxième tour parlementaire.

    On peut également voir les groupes parlementaires exposés simplement ici http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lections_europ%C3%A9ennes_de_2014

    Et noter que le groupe de David Cameron est troisième devant l’ALDE. Le groupe des conservateurs et réformistes européens.

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