Vers un « Patriot Act » à l’européenne ?

, par Myriam Allain

Vers un « Patriot Act » à l'européenne ?
Federica Mogherini, Haute Représentante, en visite à Europol. - European External Action Service

L’Europe, aujourd’hui confrontée à une menace réelle, complexe et diffuse se trouve une nouvelle fois contrainte à une nécessaire démonstration de sa capacité à s’entendre, parler et agir d’une seule et même voix sur la scène internationale. Réunis, lundi 19 janvier, les ministres des Affaires étrangères européens ont entamé les prémices d’un long processus de coopération européenne, au-delà même des frontières.

« La seule voie qui offre quelque espoir d’un avenir meilleur pour toute l’humanité est-celle de la coopération et du partenariat » disait Kofi Annan lors d’un discours prononcé à l’Assemblée générale de l’ONU au lendemain des attentats ayant frappé la nation américaine.

Ce lundi 19 janvier, quelques jours après les attentats de Paris, les ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne, se sont rencontrés à Bruxelles, afin d’entamer un processus de négociations et d’accords sur une réponse cohérente à donner à cette menace effective et collective, mais surtout, forts de renforcer leur coopération en matière de sécurité intérieure.

Un nécessaire recul : Eviter une réaction immédiate, empreinte de colère et de vengeance

Alors que Robert Badinter, qualifie « d’extraordinaire » la manifestation de dimanche dernier, empreinte d’un « climat unanime », il rappelle la nécessité d’améliorer le travail en amont, le désarmement avant le passage à l’action, tout en évitant de se laisser aller à des « réformes de papiers ». Participant de cet amoncellement législatif dont nos codes juridiques n’ont guère besoin, elles ne constitueront que de vaines tentatives rassurantes pour les populations, sans grande efficacité.

Lorsque certains évoquent l’idée d’un Patriot Act européen, il n’en faut néanmoins pas oublier le bilan de ces mesures invasives, attentatoires aux libertés fondamentales sur le sol américain, engagé dans une « guerre globale » contre le terrorisme, selon l’ancien président américain George W. Bush. Mesures certes considérées comme nécessaires et efficaces selon le département américain de la Justice, elles n’ont été que des réponses immédiates, montrant leurs limites à maintes reprises par le non-respect des principes fondamentaux, de la démocratie et de l’État de droit.

En outre, même dicté par des considérations sécuritaires, un tel Patriot Act européen contreviendrait à l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme consacrant le droit à la vie privée, maintes fois réaffirmé et défendu. Un Patriot Act ne pourrait être envisagé qu’en reconsidérant les traités dont celui de Schengen. L’Union européenne est-elle alors prête à sacrifier une partie de ses principes fondamentaux au profit de sa sécurité ? En tout état de cause, tel n’a pas été l’ordre du jour des ministres européens, qui ont choisi d’organiser leur réflexion autour de plusieurs axes.

Les mesures prises pour renforcer la collaboration européenne

Face à une menace plus complexe et plus diffuse qu’au lendemain du 11 septembre 2001, désormais fort différente de l’organisation structurée d’Al Qaida, collaboration et coopération sont de mise. A la suite des balbutiements face à la situation ukrainienne au début de l’année 2014, l’Union se doit d’être d’autant plus unie, forte et d’adopter une politique extérieure concordante et coordonnée. Il en va là non plus uniquement de sa crédibilité, mais bien de sa sécurité intérieure et de sa capacité à parler et agir de concert. En outre, elle ne peut plus ignorer ses voisins à l’Est et au Sud, et se doit d’adopter une position cohérente.

La lutte contre le terrorisme, une priorité européenne

Les ministres des Affaires étrangères ont mis un point d’honneur à ériger la lutte contre le terrorisme en priorité. Rappelons que le dossier sécuritaire européen n’est pas nouveau et a fait l’objet de maintes évolutions, notamment au lendemain des attentats des années 2000. Il s’agit notamment de l’adoption en 2002 d’une définition commune des infractions terroristes, mais également des bases posées pour l’instauration d’une stratégie commune de lutte contre le terrorisme en 2004, de l’adoption progressive du passeport biométrique et enfin du renforcement des pouvoirs d’Europol, pour n’en citer que quelques unes.

Lundi, les pays ont notamment décidé de renforcer leur coopération à différentes échelles, lutter en amont contre le trafic d’armes et faire appel de la décision de la Cour de Justice de l’Union européenne de retirer le Hamas de la liste noire européenne pour vice de procédure.

Une plus grande coopération en matière de renseignement

Alors qu’aujourd’hui près de 80% des renseignements au niveau européen sont apportés par six pays, comment envisager un véritable espace commun, si les Etats se cantonnent à conserver leurs propres renseignements en matière de sécurité ? Comment aller vers une plus grande intégration européenne, si l’Union n’a pas les outils à sa disposition pour concrétiser ses politiques de sécurité commune ? On ne peut alors que saluer la volonté des ministres d’aller au-delà des simples coopérations bilatérales qui existent notamment entre la France et la Belgique, et de renforcer la circulation de l’information, corollaire de la liberté de circulation au sein de l’espace Schengen. Néanmoins, la Haute Représentante de l’Union européenne, Federica Mogherini, a rejeté l’idée d’un service européen de renseignements.

La question du PNR (Passenger Name Record), permettant l’échange de données personnelles des passagers en Europe, rejeté en 2013 par le Parlement européen, a été remis sur la table. Alors qu’un fichier européen (Système d’Information Schengen) permet d’enregistrer les personnes ayant fait l’objet d’un refus d’entrée dans l’espace Schengen en raison de condamnations, de menace à l’ordre public ou de suspicions, faisant l’objet d’un contrôle stricte par la Cour de Justice, le PNR permettrait d’aller plus loin dans la sauvegarde et l’échange de données. Il reste néanmoins à apprécier de sa mise en pratique, dans le respect des principes fondamentaux consacrés par l’Union européenne.

Une nécessaire coopération au-delà des frontières européennes

Tout en réaffirmant la défense de ses valeurs fondamentales que sont la liberté d’expression, qualifiée de « non négociable » par le président français François Hollande, et la liberté de conscience, les ministres européens ont abordé la stratégie internationale de l’Union. « Les attaques terroristes ciblent surtout les musulmans dans le monde, il nous faut donc une alliance, un dialogue pour faire face ensemble », a insisté Federica Mogherini, à la tête de la diplomatie européenne, mettant en exergue deux axes importants de la politique extérieure de l’Union européenne : la coopération avec les pays musulmans comme l’Egypte et le Maroc, principales cibles des attaques terroristes, et la poursuite des interventions sur place, afin de démanteler à leur base, les réseaux terroristes, qui attirent de nombreux jeunes d’Europe, d’Afrique ou du Moyen Orient. Il a également été question d’une coopération avec les pays dits de « transit » comme la Turquie ou avec de grands partenaires comme les Etats-Unis.

Le processus ne fait véritablement que débuter. Et si l’Union s’intéressait également à bloquer le financement des cellules terroristes externes, en s’attaquant à la question du chemin des trafics de drogue ? Mine d’or pour ces divers réseaux, l’Occident contribue à déstabiliser de nombreux pays déjà fragilisés, et enrichit ainsi de nombreux réseaux terroristes. Ainsi 60% du PIB de l’Afghanistan procède du cannabis et de l’opium. Les ministres pourraient envisager la construction d’une réponse pénale européenne adaptée.

Alors, allons-nous vers un « Patriot Act » à l’européenne ?

S’il s’agit de définir un tel acte comme la possibilité pour des agences de renseignements d’outrepasser les libertés individuelles au profit d’une meilleure sécurité, ces termes de « Patriot Act européen » ne seraient qu’oxymore. Néanmoins, s’il s’agit de l’interpréter comme simple européanisation d’un dispositif de sécurité général, de collaboration renforcée, et de coopération entre les Etats membres tant entre eux, qu’avec des pays tiers, nul doute que l’Union n’a d’autre intérêt que de poursuivre un tel processus, qui ne contribue qu’à renforcer sa cohésion et sa crédibilité au niveau international.

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