Un « tournant » annoncé par le chancelier allemand
Dans un discours mémorable le 28 février 2022 au Bundestag, Olaf Scholz condamnait fermement l’invasion russe de l’Ukraine. Il y annonçait un changement majeur de la politique militaire allemande, marquant l’échec de l’Ostpolitik de Willy Brandt, censée rapprocher la Russie et l’Europe.
Un fonds de 100 milliards d’euros serait créé et inclus dans le budget annuel, le Sondervermögen, pour moderniser la Bundeswehr et dans l’objectif que l’Allemagne respecte sa promesse en tant que membre de l’OTAN de dépenser plus de 2% de son PIB sur la dépense militaire. Scholz allait plus loin en demandant à ses collègues du Bundestag d’inscrire ce fonds dans l’équivalent de la Constitution allemande, le Grundgesetz (Loi Fondamentale), afin de prouver que cette décision serait suivie d’actions par le gouvernement.
Le gouvernement a réussi à faire accepter par le Bundestag son amendement à l’article 87 sur le rôle des forces armées, l’article 1 a) autorisant le gouvernement fédéral à créer un fonds d’affectation spéciale et à émettre en une fois des emprunts de 100 milliards d’euros, indépendamment des règles sur la régulation des budgets. Pourtant, cette réforme n’a pas été suivie par les résultats attendus.
Des investissements dans du matériel américain et allemand, des avancées sur des projets européens
Le ministère de la Défense annonça mi-mars l’achat de matériel militaire américain pour mettre à niveau sa flotte aérienne, composée principalement de Tornados datant des années 1970. Des avions européens Eurofighters sont également prévus pour accélérer cette remise à niveau d’une armée équipée de matériel obsolète et peu prête à être plongée en situation de crise.
Après des années de retard, les entreprises Dassault et Airbus ont annoncé en décembre 2022 un accord pour construire un prototype d’avion SCAF (Système de Combat Aérien du Futur). Cet accord eut cependant lieu après une pression et un accord entre Paris et Berlin, signe d’un désaccord sur la politique à suivre en matière de défense et d’une mise à mal des liens franco-allemands par la guerre en Ukraine. Le projet de char franco-allemand-espagnol (MGCS, Main Ground Combat System) fut également relancé en septembre dernier.
Au-delà des disputes sur la modernisation de l’armée, la Zeitenwende pose également un risque de discrédit au gouvernement. Le chef de l’opposition conservatrice (CDU/CSU, ex-parti de Merkel), Friedrich Merz a accusé le gouvernement durant les discussions sur le budget 2023 de ne pas maintenir le budget de la Bundeswehr à 2%. Malgré une explication de la part de Lambrecht, les dépenses militaires en 2023 seront inférieures à celles de 2022.
Bien que l’inflation (10.4%) ait probablement une part dans cette décision, toute absence de la part du gouvernement de suivre sa promesse risque de déchirer davantage la coalition. La coalition et l’opposition ont soutenu la création de ce fonds de 100 milliards et le soutien à l’Ukraine, mais les conséquences sur le moyen et le long terme se font déjà ressentir, le gouvernement étant critiqué en raison de son action jugée trop faible en matière de réarmement.
Un progrès limité
La Zeitenwende a achevé un résultat mixte depuis février. La modernisation annoncée n’a pas eu encore eu lieu, le gouvernement ayant à faire face à une triple crise et ayant envoyé des signaux contraires à ses alliés européens sur sa politique de défense. Il est indéniable de dire que la guerre a provoqué un choc dans l’esprit politique allemand, visible dès la décision d’envoi d’armes à l’Ukraine et par le maintien du soutien de l’Ukraine par le gouvernement. Mais l’Allemagne était dépendante de la Russie pour l’énergie, et son gouvernement doit faire face à une inflation de 11.6%.
Il faut cependant reconnaître que ce tournant a commencé il y a à peine 10 mois et que le chancelier et son gouvernement doivent naviguer à contre-courant, après plusieurs décennies de sous-investissement dans la défense.
La poursuite de la politique de Zeitenwende dépendra de la volonté et de la capacité du gouvernement à la fois à moderniser son armée et faire face à une récession croissante et de la capacité du chancelier à maintenir sa coalition unie pour éviter toute crise politique dont les conséquences pour l’Europe seraient très graves.
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