Aujourd’hui, j’ai décidé de parler d’un sujet bien spécifique, les frontières du point de vue des personnes habitant dans les régions transfrontalières. Dans cet article, je vais questionner la définition de frontière, au vu de la politique de Schengen. Puis, je vais m’interroger sur ce que veut dire être transfrontalier en 2020. Enfin, il sera question d’imagination : comment peut évoluer notre rapport à une frontière qui est là, sans être là ?
Schengen et la frontière : un paradoxe ?
Une frontière est définie comme une délimitation géographique stricte, entre deux pays. Une frontière, par définition, oppose : la nationalité, la langue, ou encore la monnaie parfois. Elle est associée à des contrôles, douaniers et policiers notamment.
Mais l’Union Européenne, en adoptant les Accords Schengen a rebattu les cartes. Je rappelle ici les dates clés : signée en 1990, la convention de Schengen regroupe actuellement 22 Etats membres et quatre pays associés, la Suisse, le Liechtenstein, l’Islande et la Norvège. Son principe ? Assurer la liberté de circulation des biens, capitaux, services et personnes, sans contrôle aux frontières, autre qu’une rapide vérification des passeports ou cartes d’identité de temps en temps dans les trains, ou encore à l’embarquement des avions.
Alors, grâce à Schengen, les frontières ne s’opposent plus, mais elles transforment la vie des personnes. Une petite anecdote vous plaira sûrement. Habitant à l’ouest de la France, et amoureux des Pyrénées, mes parents m’ont confié qu’ils aiment passer la frontière franco-espagnole pour aller chercher de la charcuterie typique. Mais, avant l’entrée en vigueur de Schengen, ils m’ont confié que l’attrait pour la charcuterie était simplement battu par les queues interminables à la sortie de tunnels. C’est simple : l’attente équivalait à effectuer une randonnée à Assouste. Ce qui est le plus drôle ? Ils m’ont parlé de cette anecdote alors que nous passions tranquillement le tunnel reliant la France et l’Espagne, à 70 km/heures, saluant des douaniers qui n’étaient plus là. Pas d’attente, et la charcuterie, la sangria et les tapas à l’autre bout du tunnel.
Alors, cette frontière qui oppose n’existe plus ; au fur et à mesure que les pays signent la convention de Schengen, des habitants de l’Union se réveillent avec un nouveau genre de voisins. Ils les connaissent, mais désormais, ce sera beaucoup plus facile de saluer son voisin, en ayant juste à traverser une ligne qui n’est censée être que purement administrative désormais.
L’émergence des ‘transfrontaliers’
Ces voisins sont donc transfrontaliers. Cependant, alors que l’effacement des frontières par Schengen suscitait des craintes, je me suis interrogée pendant l’écriture de cet article sur ce que cela permet, et la manière dont cela change la vie des habitants.
Tout d’abord, lorsque j’ai fait mon Erasmus en Suède, pendant 9 mois, entre août 2018 et mars 2019, je me suis rendu compte que j’étais transfrontalière. Mon rapport à la frontière effacée entre le Danemark et la Suède était très spécifique, et lié aux mobilités et…à la gourmandise.
En effet, cette frontière, marquée par l’Oresundsbrön a évolué très récemment. Imaginez-vous, Danois et Suédois ont l’habitude, par l’Histoire et la géographie d’être voisins ou frères et sœurs, suite à l’union de Kalmar, entre la Norvège, la Suède et le Danemark, à partir de 1397, et ce jusqu’au milieu du XVème siècle. Aujourd’hui, ces pays sont physiquement rapprochés par un pont sorti de la mer, qui a divisé par deux la durée de transport entre Malmö, en Suède, la troisième plus grande ville suédoise et la capitale du Danemark, Copenhague.
Alors, pourquoi ai-je été une personne transfrontalière motivée par les mobilités et la gourmandise ? D’abord, j’ai traversé une vingtaine de fois cette frontière pour aller visiter le Danemark, bien entendu, mais également pour m’envoler vers des contrées européennes, ou françaises, l’aéroport de Copenhague étant bien plus proche que celui de Stockholm. Faites le calcul vous-même : 25 minutes de Malmö jusqu’à Copenhague, le temps de déguster un bon kannelbulle, contre 5 h 25 pour Stockholm, le temps de déguster plus d’une centaine de kannelbullar. Malgré ma gourmandise, j’ai tout de même été raisonnable.
Je traversais la frontière par bateau ou par bus également, pour aller manger les meilleurs glaces, surmontées de la meilleur crème chantilly et des godis (bonbons) les plus succulents...En effet, deux villes jumelles se font face : une suédoise, Helsingborg, et une danoise Helsingør. Et par bateau, il est tellement simple de céder à la tentation : 30 minutes, le temps de bien saliver, d’imaginer sa glace dans les moindres détails…
J’ai voulu remettre ma courte expérience de transfrontalière en perspective avec ceux qui sont nés avec cette frontière effacée. Direction la Suisse ou encore l’Allemagne, dans les pas de sept personnes, âgées de dix-huit à trente ans.
Tous ont un point commun : parce qu’ils sont nés avec, ils saluent tous à quel point c’est plaisant de pouvoir se déplacer entre deux pays, pour pouvoir réaliser différentes tâches. De la plus classique à la plus originale, voici ce qui m’a été confié : travailler dans l’autre pays et revenir le soir dans son pays de résidence ; prendre les transports dans un autre pays, car c’est moins cher et mieux desservi ; aller faire ses courses pour bénéficier d’un meilleur prix ; traverser la frontière pour mieux se soigner, en allant acheter des médicaments ; ou encore faire du shopping parce que les collections sont différentes, donc il y a deux fois plus de chance d’être tendance, ou encore, dernier argument...sortir faire la fête, car l’alcool ou le prix des entrées est inférieur à celui du pays de résidence.
En conclusion, la frontière effacée ne pose plus de contraintes de temps, ni de formalités administratives ; et bien entendu, elle permet d’ouvrir des horizons culturels, des perspectives d’emplois, de pratique de la langue, des perspectives de diversité de loisirs, mais encore et toujours, sur fond économique.
Quelle évolution pour la frontière ?
Anecdote amusante : lorsque j’ai reçu tous les témoignages des frontaliers, la dernière question les a tous interloqués, voire a suscité leur incompréhension. Celle-ci était : “Quel est votre rapport futur à cette frontière ?”.
J’ai bien ri en lisant les sept réponses, car elles sont similaires au mot près : “mon rapport sera et restera le même ; je sais que la frontière est là, mais dans mon usage quotidien, elle n’existe pas en tant que barrière, mais comme accélératrice de perspectives. Elle est là, sans être là”.
Ces témoignages, extrêmement riches, ont été sources d’un dernier questionnement pour moi, lié à notre contexte. Malgré le fait qu’une frontière, ce trait géographique à la visée purement administrative soit immuable, que faire lorsque des mesures temporaires, décidée par le pouvoir politique, en restreignent l’accès ? Tout d’un coup, c’est tout un écosystème qui est immobilisé : les transfrontaliers voient une partie de leur quotidien être amputé ; tandis que des voisins se voient rappeler la réalité d’une nationalité différente, associés à des droits et devoirs différents.
Rappelons-nous l’impact de la fermeture des frontières successives en Europe centrale et orientale, à la suite de la crise des migrants, en 2015. Évoquons la fermeture des frontières récentes lors de la crise du coronavirus.
Comment réagir, lorsqu’une frontière que l’on a oubliée, à laquelle nous nous sommes adaptés, doit subitement réapparaître de manière ponctuelle, suivant un contexte sur lequel nous n’avons de prise ?
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