Lors des élections régionales en Saxe ou dans le Brandebourg, lors des élections européennes ou encore lors des manifestations incessantes portées cet été par les jeunes en faveur du climat, des sauvetages en mer, de la solidarité européenne ou contre le racisme et la violence de l’extrême droite, je me suis à chaque fois posé la même question : est-il encore normal aujourd’hui que l’on ne puisse voter qu’à partir de 18 ans dans la plupart des Länder allemands et au niveau fédéral ?
Cette question n’est pas nouvelle. Toutefois, l’engagement des jeunes, bien plus ancré dans la sphère publique ces dernières années, relance le débat. Soudainement, on se rend compte qu’ils sont indépendants de leurs parents et de leurs professeurs lorsqu’il s’agit de se forger un avis portant sur des questions politiques complexes. On observe également un intérêt tout particulier de leur part pour la participation au processus politique.
Celui qui atteignait l’âge de 18 ans en novembre 2017 ne pouvait légalement pas voter aux élections législatives du mois de septembre. Lors des élections suivantes, cette personne aura presque 22 ans, mais votera pour la première fois au niveau fédéral. Elle sera donc majeure depuis presque 4 ans, aura peut-être déjà complété une formation, mais n’aura encore jamais voté (si ce n’est lors des élections municipales). C’est une situation frustrante.
Les avis des partis politiques allemands
Les Verts (die Grünen) veulent faire baisser l’âge du vote à 16 ans, que ce soit pour les élections régionales, fédérales ou européennes. Leur projet prend racine dans la possibilité qu’un plus grand nombre de citoyens participe ainsi au processus démocratique, et en particulier la jeunesse, qui s’investirait plus tôt en politique. Davantage de participation des jeunes favoriserait également l’équité intergénérationnelle.
Le Parti social-démocrate (SPD) a, lui aussi, soutenu un abaissement de la majorité électorale à 16 ans, tout du moins lors de la campagne pour les élections européennes. Il désire que plus de jeunes participent au processus démocratique et promeut ainsi l’application de cette mesure aux élections fédérales et européennes. De même, le Parti de gauche radicale (Die Linke) souhaite que les jeunes puissent être maîtres de leur destin et soutient cet abaissement à tous les niveaux de pouvoir.
Inversement, l’Union chrétienne-démocrate (la CDU) et le Parti libéral-démocrate (le FDP) s’opposent à un abaissement de la majorité électorale. Selon le FDP, l’atteinte de la majorité justifie une participation aux élections fédérales, car « là où nous jouissons de nouveaux droits, nous incombent également de nouveaux devoirs ». La CDU a recouru à une argumentation similaire. Dans une prise de position du parti sur les élections européennes de 2019, on peut lire : « Selon notre système juridique et notre droit pénal, les citoyens n’assument la pleine responsabilité de leurs actions qu’à partir de 18 ans. ». La CDU et le FDP se sont toutefois exprimé en faveur d’initiatives telles que les parlements de la jeunesse ou la U18-Wahl-Initiative, une initiative destinée à l’éveil politique des moins de 18 ans.
En Europe, l’Autriche et Malte sont jusqu’à présent les deux seuls pays à avoir introduit la majorité électorale à 16 ans aux niveaux municipal, régional et législatif. En Autriche, les jeunes âgés de 16 ans peuvent même voter lors des élections européennes. Selon plusieurs études, la politique a suscité un plus vif intérêt chez les Autrichiens âgés de 16 à 20 ans depuis l’introduction de l’abaissement de la majorité électorale.
Quels sont les arguments en faveur et en défaveur de l’abaissement de la majorité électorale ?
Un argument contre cette mesure est invoqué de manière récurrente : les jeunes de 16 ans n’ont pas encore la maturité suffisante pour voter aux niveaux municipal, régional et fédéral. Ils n’ont ni encore les connaissances nécessaires ni un sens des responsabilités assez aigu pour se rendre compte de l’importance de leur voix. Les jeunes seraient plus simples à manipuler et sujets à l’influence de leurs parents ou de leur environnement. En outre, ils seraient trop aisément manipulés par les réseaux sociaux.
Par ailleurs, le système éducatif ne permettrait pas de faire des jeunes âgés de 16 ans des citoyens et citoyennes en mesure de voter, ce qui pourrait ainsi pousser ceux-ci à voter pour les partis extrémistes.
De sérieux contre-arguments
Les Allemands clôturent leur éducation politique en même temps que leur deuxième année de lycée. Les élèves issus d’une Realschule ou d’une Hauptschule, ainsi qu’une partie de ceux issus d’une Gesamtschule, quittent l’école et pour se lancer ensuite sur le chemin d’une formation – professionnelle ou non. De plus, les étudiants qui fréquentent le lycée et qui décident de passer le baccalauréat ne sont plus contraints de s’inscrire aux cours de politique ou d’histoire à partir de la première année. De facto, il est évident qu’une éducation dispensée par l’État, qui devrait permettre aux écoliers et écolières de distinguer les fake news des faits et de se forger une opinion politique, n’est plus assurée dès l’âge de 16 ans. En outre, un abaissement de la majorité électorale pourrait façonner l’éducation politique afin qu’elle soit plus présente à l’école, et plus proche de la réalité. Ainsi, les écoliers et écolières parleraient en classe des points de vue des différents partis et pourraient se forger l’opinion qui leur conviendrait.
Cela forcerait alors les partis à inclure de plus en plus les jeunes électeurs et électrices dans leur programme. Lors des dernières élections fédérales, le groupe d’électeurs le plus représenté était celui des plus de 60 ans. Conséquence de la situation : les hommes et femmes politiques concentrent leur programme sur des sujets qui concernent les citoyens plus âgés.
La jeunesse ne peut se faire entendre sur des sujets importants tels que les différentes voies de formations. Un grand nombre d’entre eux, âgés de 17 ans, sont en formation et payent des impôts, passent leur baccalauréat ou commencent à étudier. Pourtant, ces jeunes n’ont pas la possibilité d’influencer ces domaines-là. Autre contre-argument : les jeunes ne sont pas toujours les plus manipulables. Ils s’informent seulement différemment de leurs aînés, par exemple grâce aux réseaux sociaux. Et les partis doivent réagir à de tels changements. Par ailleurs, les résultats des élections régionales en Saxe et dans le Brandebourg montrent que les jeunes ne sont pas du tout les seuls à être séduits par les discours extrémistes. En Saxe, près de 20 % des 18-24 ans ont voté en faveur de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD). Toutefois, une nette différence est à observer avec le groupe des 35-59 ans. En effet, 30 % d’entre eux ont donné leur voix à l’AfD.
Les graphiques présentés par le Tagesschau à la suite des élections en Saxe et dans le Brandebourg ont également démontré que la CDU et le FDP avaient d’autres raisons de s’opposer à l’abaissement de la majorité électorale : la majeure partie de l’électorat de la CDU se compose de citoyens âgés de plus de 45 ans, le parti ayant perdu beaucoup de terrain chez les jeunes ces dernières années. Ils ont donc plus à perdre qu’à gagner en cas d’abaissement de la majorité électorale.
Ce phénomène a également concerné le SPD lors des élections saxonnes et brandebourgeoises, alors que le parti plaide en faveur de cette mesure. Cela tient peut-être au fait que le SPD veuille (re)conquérir des groupes de l’électorat. Inversement, les Verts sont très appréciés des jeunes et profiteraient sans aucun doute de l’application d’une telle mesure.
Et donc ? Le vote à partir de 16 ans ?!
Je pense que si la jeunesse peut avoir une influence sur le résultat d’une élection, il faut lui donner sa chance. Les différences dans les choix électoraux des classes d’âge montrent que les jeunes désirent une politique différente de celle de leurs aînés et qu’ils ne sont pas suffisamment représentés. Les statistiques autrichiennes ont en outre confirmé que l’abaissement de la majorité électorale menait à une augmentation de l’intérêt des jeunes pour la politique et pouvait positivement affecter les débats politiques.
Bien que cette mesure soit inscrite dans le programme de la plupart des partis politiques, qu’ils soient pour ou contre, elle n’est pas une priorité. La jeunesse a cependant développé une stratégie : exercer une pression politique dans la sphère publique, par exemple dans le cas du mouvement Fridays for Future.
De ce fait, les partis politiques se concentreront à l’avenir peut-être plus sur la participation des jeunes et reconnaîtront que ces derniers sont les prochains électeurs potentiels qu’il faut écouter, prendre au sérieux et apprendre à contenter. En effet, les voix qui retentissent dans la rue se feront rapidement entendre lors des élections – avec ou sans abaissement de la majorité électorale.
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