La lente émergence du Parlement européen
Le rôle du Parlement européen dans l’Union européenne aurait aujourd’hui de quoi surprendre Jean Monnet. En effet, ce dernier possédait une vision technocratique des ancêtres de l’UE. Si la CECA comprenait des mécanismes institutionnels rassemblant des délégations des pays membres, l’objectif premier était avant tout de surmonter les différends nationaux en proposant une solution supranationale de gestion guidée par l’expertise et la mise en commun des ressources. La Haute autorité de la CECA, dont Jean Monnet fut président, devait exercer un pouvoir juridique protéger des influences nationales afin de réaliser « l’intérêt européen ».
Toutefois, sous la pression des Etats membres de la CECA et de certains partis politiques, une assemblée commune est créée dans le traité de la CECA. Cependant, non seulement les partisans du fédéralisme mais aussi la grande majorité des partis politiques favorables à l’intégration dans les six États membres fondateurs de la CECA (la France, l’Italie, l’Allemagne de l’Ouest et les pays du Benelux), ont exercé de fortes pressions en faveur de la création d’une dimension parlementaire. C’est ainsi que l’Assemblée commune a été intégrée dans le traité CECA à travers l’article 21. Dotée de faible pouvoir, elle est composée de 78 délégués issus des parlements nationaux. Des groupes transnationaux apparaissent rapidement avec les démocrates-chrétiens, les socialistes et les libéraux. Toutefois, le caractère national du délégué reste prépondérant. Paul Henri Spaak devient le premier président grâce aux voix des Belges, Français et Luxembourgeois.
La création de la CEE puis de Euratom ont donné naissance à une institution parlementaire rassemblant les trois communautés européennes. En 1962, le nom de Parlement européen apparaît pour la première fois. Les délégués créent les premiers groupes transnationaux politiques avec l’émergence de projet institutionnel et culturel illustrant l’objectif d’approfondissement. En effet, les membres délégués réussissent à gagner des compétences budgétaires dans les traités de Luxembourg de 1970 et de Bruxelles en 1975. Parallèlement, le Parlement établit des objectifs politiques d’adhésion à la CEE. En, l’Europe reste dans les années 1960 et au début des années 1970 gangrénée par des systèmes dictatoriaux : l’Espagne de Franco, le Portugal de Salazar et la dictature des colonels en Grèce. Le Parlement souhaite s’imposer comme symbole de la démocratie européenne.
In varietate concordia
Le sommet de Paris de 1974 marque un tournant avec la création du Conseil européen et la volonté d’une tenue d’élections européennes au suffrage universel direct pour le Parlement européen. Le communiqué du sommet de Paris indique l’organisation d’élections pour 1978. Toutefois, plusieurs questions demeurent. En effet, les pays membres de la CEE possèdent des caractéristiques démocratiques différentes tandis que les modes de scrutin diffèrent d’un pays à l’autre. Ainsi, rapidement le Danemark et le Royaume-Uni émettent des doutes sur leurs capacités à tenir des élections l’année choisie. De plus, alors que Willy Brandt, ancien maire de Berlin-ouest et ancien chancelier de la RFA annonce sa candidature aux élections européennes en 1976, l’URSS indique que la participation de Berlin-ouest serait une violation de l’accord quadripartite de 1971. En bref, la tenue des élections européennes reste encore au stade d’embryon. A cela s’ajoutent des débats sur les possibles double-mandat, le choix du mode de scrutin, le nombre de sièges par pays, le jour du vote… Impossible n’est pas européen, les élections ont lieu du 7 au 10 juin 1979. Le Royaume-Uni fait le choix du scrutin uninominal à un tour, la Belgique, l’Irlande et l’Italie choisissent leurs députés européens à travers un scrutin proportionnel par circonscription tandis que la RFA procède à un scrutin hybride national/régional proportionnel. Enfin, le Danemark, les Pays-Bas, le Luxembourg et la France organisent un scrutin proportionnel national. Les 110 millions d’électeurs élisent 410 parlementaires : 81 pour la France, le Royaume-Uni, l’Italie et la RFA, 25 pour les Pays-Bas et la Belgique, 16 pour le Danemark, 15 pour l’Irlande et 6 pour le Luxembourg.
Le groupe socialiste compte 112 membres provenant des 9 Etats membres suivi du parti populaire européen avec 107 membres. Le troisième groupe rassemble les démocrates européens majoritairement formé des Britanniques.
Toutefois, la participation au niveau atteint 60%, une déception pour les créateurs du projet qui voyaient dans les élections européennes un moyen de relancer le projet européen, d’améliorer la prise de décision mais surtout d’arrimer le peuple européen à son destin. Dans les 9 Etats, les élections européennes perdent leur caractère continental au profit de facteurs nationaux. La tradition politique reste forte tandis que le mode des scrutins conditionne le vote. La conjoncture politique nationale encadre le scrutin. En France, Jacques Chirac perçoit les élections européennes pour influencer l’action gouvernementale de Raymond Barre, « Nous entendons faire de l’intérieur de la majorité toutes les pressions possibles pour obtenir que l’on réoriente l’action gouvernementale et nous le pouvons si nous sortons renforcés de l’élection européenne. ». Un décalage s’opère entre les élections nationales à proximité des élections européennes. Les élections fédérales allemandes atteignent les 90% de participation, les élections européennes, 65,9%... Même constat au Danemark avec une participation en dessous des 50% malgré une forte mobilisation aux élections législatives de 1976. Au Royaume-Uni, le le taux de participation s’élève à 32,6%...
Si les élections européennes sont le fruit d’un processus abouti pour certains, elles ont échoué à créer l’engouement tant espéré. Les causes sont multiples et se perpétuent encore aujourd’hui.
Article en collaboration avec le podcast Europe et sentiment. Lien du premier épisode : 1979 : les premières élections européennes ratent leur rendez-vous avec l’histoire.
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