Encore une fois, les Européens ont une mémoire différente d’un événement central de leur histoire. Pour les Français et les Allemands, 1989, c’est avant tout la Chute du Mur. Mais ailleurs ? En Pologne ou dans les Pays baltes, dans la Tchécoslovaquie qui se disloquera quatre ans plus tard, comment a-t-on vécu cette date fondatrice de l’histoire contemporaine ? Il est à parier que peu de choses seront dites à ce sujet cet automne... L’année 2009 sera une année du souvenir. Espérons, qu’elle sera une année de tous les souvenirs et pas seulement une commémoration - centrale au demeurant - de la Chute du Mur de Berlin. En effet, cette année charnière est autant une fin qu’un commencement.
Plusieurs Europes
1989, c’est la fin d’une époque structurante dans l’histoire du continent, à la fois en termes de divisions mais aussi d’unification. Paradoxalement, on peut considérer que sans la division dramatique de l’Europe en plusieurs zones, il n’y aurait pas eu d’action aussi décisive pour créer le Conseil de l’Europe, puis la CECA et la CEE. Un but commun n’avait pas suffit dans l’Entre-deux-guerres, c’est la présence d’un ennemi commun - l’URSS - qui a poussé les Européens à s’unir. Par certains aspects, cette date marque donc la fin de l’unification des Européens de l’Ouest par la menace et le début d’une intégration plus positive que négative, mais aussi plus lente.
Il ne faut d’ailleurs pas considérer que 1989 marque la disparition de deux Europes. Avant la Chute du Mur, il y avait au moins cinq Europes. D’un côté, on trouvait l’Europe en intégration, composée du Conseil de l’Europe et d’un noyau plus dur, la CEE. Mais autour de ce noyau gravitaient des pays neutres comme la Suède, l’Autriche, Malte et surtout la Finlande qui marquaient la frontière entre deux mondes. Il n’y avait donc pas d’homogénéité de ce qu’on appelait « l’Europe de l’Ouest ».
De l’autre côté du Mur, il y avait aussi au moins trois Europes. D’une part, l’URSS elle-même qui était très différente des pays d’Europe centrale sur lesquels elle exerçait son autorité. Donc l’URSS et le Pacte de Varsovie, d’une part et d’autre d’un « second Rideau de Fer », et un ensemble formé par Yougoslavie et l’Albanie qui tentait de jouer sa propre partition. Rappelons-nous qu’entre ces « trois Europes de l’Est », la circulation n’était pas assurée. Les frontières de l’URSS et de ses satellites étaient aussi bien gardées que celle entre les deux Allemagnes : pas question pour les Soviétiques de passer facilement la frontière pour des vacances en Pologne.
Que s’est-il donc passé en 1989 ?
Attention donc à ne considérer que l’un des Murs qui parcourait l’Europe : d’autres continuaient à exister après 1989 et parfois existent toujours.
Ce ne fut d’ailleurs pas sans effet, la Chute du Mur a engendré la possibilité de réunifier le continent, mais elle a aussi créé une spirale de dislocation : la Yougoslavie s’est désintégrée dans le sang, la Tchécoslovaquie a divorcée d’elle-même.
Pourtant la disparition d’un Mur - si important soit-il - n’a pas été celle de tous les murs européens. L’idée de Gorbatchev était bien de perdre « l’Empire extérieur » pour sauver « l’Empire intérieur », en grande partie avec la bénédiction des Européens de l’Ouest. Ainsi, les mouvements de contestations baltes, ukrainiens et caucasiens ont été réprimés par la force, la frontière extérieure de l’URSS renforcée.
Éviter la construction de nouveaux murs
N’oublions pas que tous les murs ne sont pas tombés en 1989. N’oublions pas que l’URSS mettra encore deux ans pour mourir malgré la complaisance des Européens, tout à leurs retrouvailles partielles. La commémoration de la Chute du Mur devrait donner lieu à des réflexions sur la Chute des Murs, afin de construire une histoire européenne et une mémoire continentale dans laquelle tous les Européens puissent se retrouver.
Enfin, il nous appartient de veiller à ne pas construire de nouveaux murs entre les membres de la grande famille européenne, avec les Ukrainiens, les Biélorusses, le Moldaves, les Caucasiens et même les Russes ! Comme le montrent Aurélie Charon et Caroline Gillet dans le documentaire qu’elles ont tourné récemment sur les camps de rétention en Ukraine, la réalité d’une Europe qui installe ses propres barbelés n’est pas sans rappeler des souvenirs dérangeants.
En novembre, un seul Mur est tombé, dans une formidable déflagration. L’URSS de Gorbatchev a abandonné la RDA et admis la réunification. En laissant s’effondrer la partie la plus symbolique du Rideau de Fer, le Kremlin n’a pourtant pas pensé que toute l’Europe pourrait se réunifier. Moscou ne faisait qu’abandonner son « Empire extérieur » et lui laisser un cadeau empoisonné : un nombre de conflits inter-ethniques ou inter-étatiques potentiel qu’on évaluait alors à plus d’une centaine.
N’oublions pas ce qui s’est passé en 1989 dans la Grande Europe et pas seulement en Allemagne et bousculons les frontières, toutes les frontières.
1. Le 20 octobre 2009 à 10:05, par Aurélien En réponse à : 1989 avant 1989
Merci pour cet article qui s’efforce de dépasser le prisme un peu réducteur de la réunification allemande et qui a justement le mérite de poser la question de la Chute du Mur ailleurs qu’en Allemagne et en France. Il permet de rappeler à mon sens combien les tenants de « la » mémoire européenne gagneraient à éviter les autocélébrations concernant la Chute du Mur de Berlin.
2. Le 21 octobre 2009 à 05:50, par Martina Latina En réponse à : 1989 avant 1989
Oui, merci pour cet article : l’onde de liberté qui a parcouru au cours de l’été 1989 toute l’Europe située derrière le Rideau de fer et qui a déchiré ce dernier en entraînant le mur de Berlin l’automne suivant mérite en effet que nous nous rappelions la force constitutive de la démocratie pour L’EUROPE,
depuis l’aube de son histoire trois fois millénaire, où le personnage portant ce nom fut, paraît-il, enlevé d’orient par un TAURILLON pour apporter avec les techniques venues de Phénicie l’essor et le nom de l’Europe, jusqu’à l’actuelle construction de l’Union Européenne exigeant de plus en plus des citoyens européens la pensée responsable, la libre communication et la création concertée de justice, donc de paix.
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