1990, une année de foot en Allemagne

, par Volkan Ozkanal

1990, une année de foot en Allemagne
Match du mondial 1974 entre la RFA de Beckenbauer (à gauche) et la RDA. Image : Bundesarchiv, Bild 183-N0622-0035 / Mittelstädt, Rainer / CC-BY-SA 3.0

L’Allemagne a fêté le 3 octobre prochain les trente ans de la réunification entre la République fédérale d’Allemagne (R.F.A.) et la République démocratique allemande (R.D.A.). Durant les trois décennies qui ont suivi, cet événement a donné lieu à de multiples réflexions sur les tenants politiques, économiques et culturels à travers quantités de débats, d’articles ou même de films sur un sujet toujours d’actualité. Mais l’année 1990 était surtout celle d’un paradoxe footballistique entre les deux anciennes entités séparées. Le sport a permis une réunification plus sereine.

1990 : l’année du commencement de la fin

Il y a trente ans, cette année 1990 a été le cadre d’un double paradoxe côté historique et footballistique. Une sorte de clin d’œil où l’histoire d’une équipe se conjugue avec l’Histoire au grand ’H’ de deux pays réunis sous la même bannière. En effet, le monde assista cet été là au sacre de la R.F.A. dans le Mondial italien. La Mannschaft du « Kaiser » Franz Beckenbauer et du légendaire capitaine du Bayern Munich, Lothar Matthäus, remportant le troisième trophée de l’Allemagne de l’Ouest après ceux obtenus en 1954 et 1974. Puis, à peine quatre mois plus tard, le monde voit l’Allemagne fédérale et démocratique ne faire plus qu’un seul et même pays. Un an tout juste après la chute du Mur de Berlin, en novembre 1989, l’histoire se met en marche pour solder un passé et tenter de créer un avenir plus radieux pour tous les Allemands. Toutefois, si dans les faits, la fin de la R.D.A. est actée rapidement, il en est tout autrement côté football.

La R.D.A. prend fin 41 ans après sa mise en place mais le championnat est-allemand quant à lui existe encore un an supplémentaire. Pour des raisons d’adaptation et parce que le football est un vecteur important dans les sociétés et une passion commune, la Ligue allemande met en place un statut spécial pour la saison 1990-1991 en autorisant les clubs de l’entité est-allemande à jouer leur propre championnat.

Permettant, une saison plus tard, au Dynamo Dresde et au Hansa Rostock d’intégrer le championnat allemand « uni », la Bundesliga. Malgré tout, cette finalité n’aura pas empêché l’exode des joueurs et la baisse progressive du niveau chaque saison des clubs est-allemands. La DDR-Oberliga, le championnat est-allemand sera donc définitivement arrêté en 1991 et cette absorption vers la Bundesliga est une perte sèche pour le niveau des clubs est-allemands qui étaient dans un championnat à part dans lequel les millions ne valsaient pas et les transferts étaient limités. Cette homogénéisation leur permettait d’avoir sous la main des joueurs pendant longtemps en créant de l’émulation.

Depuis lors, ces clubs tels que l’Energie Cottbus, Dresde ou Rostock pour les plus hauts dans la hiérarchie, servent souvent de faire-valoir en Bundesliga et oscillent la plupart du temps entre relégations et végétations au plus bas de l’échelle au gré des saisons. Cependant, paradoxalement, l’éclosion de joueurs du cru permet à la sélection nationale de bénéficier d’une matière de joueurs talentueux et qui aide leur « nouveau » pays vers les cimes du succès. S’ils ne furent véritablement qu’une poignée de joueurs à intégrer la Mannschaft, ils marquent l’histoire du football par leur talent, leur professionnalisme et leurs buts. Encore aujourd’hui, ils sont reconnus comme ayant servi le football de leur pays avec abnégation.

Des joueurs est-allemands reconnus par la Mannschaft

Certes, l’Allemagne de l’Ouest a été reconnue à travers ses titres de Coupe du monde (1954, 1974, 1990) ou ses Championnats d’Europe (1976) avec de nombreux champions tels que le buteur légendaire Gerd Müller, le mythique gardien Sepp Maier, ainsi que Beckenbauer du Bayern Munich. L’Allemagne de l’Est n’a jamais été en reste, loin de là. Dès lors, l’acmé de la victoire est célébrée en 1974 lors de la Coupe du monde en Allemagne de l’Ouest. Si la R.F.A. emporte le tournoi face au Pays-Bas de Johan Cruyff (2-1), les deux Allemagne sont réunies dans le même groupe dans un intéressant clin d’œil du destin. Le 22 juin 1974, l’Est a même son heure de gloire en battant, pour son unique participation à une Coupe du monde, lors du troisième match de groupe, les voisins de l’Ouest chez…eux, à Hambourg. Le buteur n’étant autre que l’immense attaquant est-allemand, Jürgen Sparwasser. Une défaite néanmoins sans conséquence sur le papier mais salutaire pour la R.F.A. puisque Müller, Breitner et leurs coéquipiers remporteront la Coupe du monde.

La légende racontant que l’entraîneur de l’époque, le mythique Helmut Schön, né à Dresde et ses joueurs étaient tellement frustrés par cette défaite que celle-ci leur a servi de leçon pour la suite de la compétition. Quoiqu’il en soit, cette victoire est surtout célébrée et reste symbolique pour la sélection de l’Est menée par le sélectionneur Georg Buschner qui sera éliminée lors de la deuxième phase de poule face notamment au futur finaliste, les Pays-Bas. Mais qui aura permis de montrer à la face du monde que l’Est pouvait largement rivaliser avec l’Ouest.

Dès lors, l’Allemagne de l’Est a toujours eu en son sein de grands noms qui lui permettent de se montrer sur la scène internationale. Le pays est doté d’un bon championnat avec des équipes dures au mal et technique tels que Dresde ou Leipzig. Sans compter les deux buteurs Jürgen Sparwasser ou Joachim Streich du FC Magdeburg. Mais la réunification permet également de voir une réunion entre l’Est et l’Ouest à travers deux symboles du football allemand des années 90. D’un côté un buteur frénétique qui commence sa carrière au Dynamo Dresden avant de devenir un des meilleurs buteurs de Bundesliga. Son nom : Ulf Kirsten. Ce dernier passe près de quinze ans au Bayer Leverkusen et participe à l’éclosion de ce club au plus haut niveau avec notamment une finale de Coupe d’Europe perdue en 2002 face au Real Madrid d’un certain Zinedine Zidane, qui marque un but d’anthologie (2-1). Sélectionné en Allemagne de l’Est, il finira avec l’Allemagne et une bonne centaine de capes avec deux sélections différentes.

Mais le joueur qui « matérialise » à lui seul cette réunification se nomme Matthias Sammer. Lui aussi commence sa carrière au Dynamo de Dresde, centre du foot est-allemand, et profite de la réunification pour partir à Stuttgart avant d’être transféré au Borussia Dortmund. Ce milieu de terrain technique et polyvalent vit les meilleures années de sa carrière avec les « Schwarz-Gelben » de Dortmund en remportant la Ligue des Champions en 1997 face à la Juventus de Turin, le Championnat d’Europe en 1996 avec la sélection nationale et obtient même le « Ballon d’Or » la même année. Sammer est également le premier sélectionné « est-allemand » et participe en 1992 à l’Euro 92 en Suède avec deux autres « Ossie », le milieu Thomas Doll et l’attaquant Andreas Thom. Une réunification qui n’a rien d’immérité pour un joueur taiseux mais talentueux et qui apporte tant à son club de cœur, le Borussia Dortmund. Plus tard, un autre milieu de terrain, plus offensif celui-là, permet à la sélection allemande de briller et remet le football allemand au premier plan après un passage à vide (entre 1998 et 2000). Michaël Ballack est cet autre joueur originaire d’Allemagne de l’Est à être incontournable en sélection et avec son club, au Bayer Leverkusen, avec Kirsten puis à Chelsea, en Angleterre. Il permet à son pays d’atteindre une finale de Coupe du monde en 2002, au Japon et en Corée du Sud que l’Allemagne perd face au Brésil d’un certain Ronaldo (2-0).

Aujourd’hui, de Leipzig à Kroos, l’Est est bien représenté

Dans les années 70 et 80, le football est-allemand était représentatif du continent européen. Nombreux furent les clubs qui eurent leur heure de gloire sur la scène européenne à une époque où l’arrêt Bosman (1995) qui libéra les joueurs des contraintes réglementaires n’existait pas encore. Dès lors, que ce soit le Dynamo Dresde, le FC Carl Zeiss Jena, le FC Berlin ou le Lokomotive Leipzig, ces clubs poussent leur avantage jusqu’à obtenir des résultats probants lors des compétitions dans lesquelles ils étaient engagés. La fin du championnat a donc fortement pénalisé ces clubs qui ont vu leurs meilleurs joueurs quitter l’Est pour tenter leur chance dans des clubs plus huppés de l’Ouest tels que l’Eintracht Frankfort, le Bayern Munich, le Borussia Dortmund, Schalke 04 ou le Werder Brême.

Toutefois, trente ans plus tard, au sein de l’Allemagne, une ville à l’est du pays fait parler d’elle. Un club qui est lui-même un paradoxe de cette ambivalence entre ce que la plupart des commentateurs pensent de l’est de l’Allemagne et la nouvelle réalité davantage tournée vers le business. Le « RasenBallSport Leipzig » est la nouvelle attraction allemande aussi bien en championnat qu’en Europe. Un nom qui évoque le football des années post réunification, le Mur de Berlin et les joueurs « Ossis ». Mais que l’on ne s’y trompe pas, ce club créé en 2009 n’est pas une émanation provenant des torpeurs d’avant la « Guerre Froide », loin de là. Propriété d’une célèbre boisson énergisante, le R.B. Leipzig est aussi bien une anomalie dans le football allemand qu’un intéressant laboratoire permettant de voir que le capitalisme et le business peuvent se mêler, même à Leipzig. Dans un monde footballistique où des sommes folles sont dépensées et malgré la présence d’un sponsor aux reins solides, le modèle économique du club est très bien huilé et donne des idées au-delà des frontières allemandes.

Fondé sur la présence de jeunes joueurs à forts potentiels, le club est réputé pour donner sa chance à ces joueurs en les valorisant, grâce, notamment, à sa participation régulière en Coupe d’Europe. Pour ensuite les revendre à des clubs plus huppés avec des indemnités de transferts à faire pâlir d’envie les plus grandes équipes. Le dernier en date étant l’attaquant allemand Timo Werner, 24 ans, vers le club anglais Chelsea pour une bonne cinquantaine de millions d’Euros. La présence sur le banc du non moins jeune entraîneur Julian Nagelsmann (33 ans) produit également des résultats et le tropisme français du club allemand pourrait faire émzerger de futurs internationaux en équipe de France.

Un beau partenariat franco-allemand permet en effet de voir le défenseur de 21 ans, Dayot Upamecano être appelé par le sélectionneur français Didier Deschamps en Equipe de France. Un système qui ne fait pas que des heureux en Allemagne dans un pays où le « supportérisme » est très présent et l’attachement au club plus important qu’ailleurs avec la règle des « 50% » qui permet aux associations de clubs de garder la main vis-à-vis des investisseurs extérieurs mais qu’importe. Avec un quart de finale d’Europa League et surtout une demi-finale de Ligue des Champions perdue face au Paris S.G. en août dernier, à Lisbonne, Leipzig a remis symboliquement l’Est sur le devant de la scène.

Si les conditions de la réunification allemande ont été menées d’une manière rapide, qui a pu heurter des personnes dont les conditions de vie étaient codifiées de la naissance à la mort, le football a pu bénéficier de conditions moins contraignantes. Quoiqu’il en soit, l’Allemagne a pu rebondir malgré tout, ne faire qu’une et trente ans plus tard, le constat montre que la nation a pu sortir de l’ornière et intégrer progressivement les deux entités sur le terrain. Mais 1990 est également une année symbolique pour un joueur allemand. Né en Allemagne de l’Est, aujourd’hui joueur majeur de la sélection allemande et du Real Madrid, Toni Kroos est peut-être le joueur qui fait l’histoire actuellement. Bientôt ’centenaire’ avec 98 capes en sélection, Kroos démontre que le talent n’a pas de frontières et qu’une Allemagne unie est toujours bien plus forte qu’en étant divisée. Le football démontre surtout que l’intégration est un outil bien plus efficace et efficient en permettant à des sportifs de montrer l’étendue de leur talent. Sur ce point, l’Allemagne aura prouvé que sa réunification footballistique a été réussie, ce qui était, à l’origine, loin d’être gagné.

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