Pour mieux comprendre la situation, il est essentiel de jeter un œil à l’histoire du Royaume du Nord. Et les deux derniers siècles n’ont pas forcément fait de cadeaux au Danemark. Le pays était une puissance moyenne en Europe, mais s’est fait déloger de sa place par à-coups : le premier coup fut la perte de la Norvège après 400 ans d’union ; et le deuxième coup majeur fut la perte des états aujourd’hui allemands de Schleswig et Holstein en 1864. Ces deux événements furent des catalyseurs d’un repli sur soi en ce qui concerne la politique étrangère, précipitant le pays à un simple statut d’homoncule européen. Ce qui représentait alors un état très homogène a cultivé un romantisme national et a renforcé la cohésion d’une très forte identité danoise. La mission première de l’Etat est alors devenu la protection du peuple Danois contre les interférences étrangères, en particulier celles de leur voisin au sud. Cette mission atteint son paroxysme lors de l’occupation Nazie (1940-45), où les politiciens n’avaient qu’un but majeur : celui de garder l’idée d’un état Danois vivant malgré la coopération avec le régime Nazi.
Souveraineté et Constitution
La période de l’après-guerre a cependant tout changé. Le Danemark est devenu un membre clé dans la création des Nations Unies, du Conseil de l’Europe et de l’OTAN, avec certaines réserves tout de même. Lors du changement constitutionnel de 1953, un important paragraphe fut ajouté et hantera le rôle du Danemark au sein de l’UE lors des décennies à venir. La section 20 stipule que la souveraineté ne peut être transférée à une organisation internationale qu’uniquement si les compétences transférées sont clairement spécifiées. De plus, le transfert doit être approuvé par une majorité à 5/6 au parlement ou par un référendum contraignant.
A ce jour, le Danemark est le seul membre de l’UE avec autant de référendums au sujet des traités européens seulement dépassé par l’Irlande. Cela a aussi à voir avec le fait que le Danemark conçoit la souveraineté comme un jeu à somme nulle : la traduction littérale de transfert de souveraineté est « l’abandon de souveraineté », impliquant que transférer une partie de son pouvoir législatif signifie perdre du pouvoir au profit d’un autre. Ce mécanisme constitutionnel a mené tous les débats au sujet de l’UE à être perçus comme une chose étant enlevée aux Danois, alors qu’en réalité l’UE souhaite réunir les souverainetés pour résoudre de nouveaux problèmes ensemble. Lors du référendum de 1992 sur le Traité de Maastricht par exemple, le Mouvement du Peuple contre l’UE (un mouvement classé à gauche et fondé en 1972) a imprimé une série de posters présentant des enfants disant, « Quand je serai grand, je veux être Danois ».
Mais à quel prix ?
Notre opinion est que le point de vue Danois au sujet de la souveraineté est non seulement d’une autre époque, mais il empêche également le Danemark d’être un acteur avant-gardiste sur la scène européenne. Les clauses de non-participation auxquelles les Danois ont voté non lors du Traité de Maastricht en 1992 en sont un très bon exemple. Ainsi, la libre circulation permet à de potentiels criminels de traverser la frontière aisément, mais le Danemark ne peut pas aider la police à combattre ces criminels dû à la clause de non-participation sur la justice et les affaires intérieures. Le Danemark n’a pas accès aux bases de données européennes sur les criminels, et n’a également pas accès aux fonds pour combattre le crime car le pays n’a qu’un accord spécial au sujet d’Europol. Le pays préfère jeter par la fenêtre un milliard de couronnes danoises (plus de 130 millions d’euros) par an – cela fait maintenant six ans de suite, sans en recevoir de bénéfices. Cela signifie qu’ils doivent suivre les règles de l’accord, sans avoir leur mot à dire. Cet exemple illustre l’énorme hypocrisie des Danois au sujet de la souveraineté, car l’objectif est de conserver le pouvoir législatif dans les mains du Parlement Danois pour préserver la démocratie danoise. Or, en parallèle, les nombreux accords individuels avec l’UE font que le Danemark doit tout de même suivre la législation de l’UE, sans y avoir d’influence. La société Danoise semble s’accrocher tellement fort à l’idée de « souveraineté » qu’ils en sont souvent éblouis.
En essayant de préserver une version de la souveraineté existant seulement dans les contes de fées, le pays finit par perdre cette souveraineté tant désirée. À l’ère de la mondialisation et d’une Europe sans frontières, il est impensable d’imaginer que le Danemark puisse continuer de jouer son jeu à sommes nulles. Seul pays de l’UE à ne pas avoir réformé sa constitution en préparation de l’intégration européenne, le Danemark s’est mis de côté par ses propres actions.
Perspectives
Où en est donc le Danemark aujourd’hui quant à l’UE ? Pour répondre franchement et simplement, il n’est pas dans une très bonne position. Mettons les choses au clair : les Danois soutiennent l’UE - encore plus depuis le Brexit - et sont généralement conscients des bénéfices octroyés par le marché unique. Et en même temps, la grande majorité défend toujours le maintien des clauses de non-participation. Le Danemark fait également partie de la fronde des « frugaux », en faveur d’un budget de l’UE plus réduit, une position défendue par presque tous les partis au Parlement. La Première Ministre sociale-démocrate Mette Frederiksen insiste que les clauses de non-participation sont la fondation de leur politique envers l’UE. Elle a également été surnommée : “Première Ministre la plus eurosceptique de leur histoire”. Le Danemark a été pendant de nombreuses années, et continuera probablement à l’être, un état membre traînant des pieds à la périphérie de l’intégration de l’UE.
Cependant, des perspectives de changement sont visibles dans un avenir proche. La pandémie de Covid-19 a créé un terrain fertile pour plus d’intégration dans plusieurs domaines. La fondation d’une Union européenne de la santé est en cours de création au Berlaymont. De plus, une union fiscale pourrait potentiellement voir le jour avec le nouveau gouvernement allemand, incluant un certain pourcentage de dette commune. Malheureusement, aucunes de ces idées et ambitions ne sont soutenues par Copenhague, malgré leur énorme influence à venir sur le pays. Mais tout n’est pas morne. De plus en plus de partis de l’ensemble du spectre politique au Parlement portent l’idée d’un référendum sur l’annulation de la clause de non-participation sur la Sécurité Commune et la Politique de Défense. La JEF Danemark aura potentiellement une certaine empreinte sur un nouvel Accord Européen, qui pourrait également changer la donne. Il n’y aura cependant pas de bouteilles de champagne partout aux célébrations de l’année prochaine. Une Carlsberg fera peut-être l’affaire.
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