Le cycle d’innovation, autrement dit la période entre le développement d’une nouvelle molécule et la mise sur le marché de ce médicament princeps est très important. L’objectif est de protéger l’innovation le temps de la rentabiliser et de développer de nouveaux produits. Lorsque de nouvelles molécules sont brevetées, il est généralement accepté que les anciennes tombent dans le domaine public et sont utilisées dans la production de médicaments génériques. Dès lors la rentabilité et le potentiel de recherche des industries sont assurés.
Un point sur l’ACTA
L’Accord commercial anti-contrefaçon (ACTA, pour Anti-Counterfeiting Trade Agreement) vise à établir un nouveau cadre de standards internationaux pour l’application des droits de propriété intellectuelle, dont les brevets pharmaceutiques.
Malgré des objectifs a priori conventionnels, l’ACTA est loin d’avoir fait l’unanimité. Les négociations se sont déroulées dans le secret et en dehors de tout cadre institutionnel international existant, tels que l’OMC ou l’OMPI, qui régissent habituellement les discussions commerciales à l’échelle mondiale. De plus, elles ne concernaient qu’un nombre réduit d’acteurs aux intérêts particuliers : les pays développés, poussés dans cette direction par les grandes industries.
Se retrouvaient exclus la société civile et les pays en voie de développement alors que ceux-ci sont directement concernés en tant que destinataires des médicaments génériques. Enfin, le texte n’a été publié qu’après de fortes pressions exercées par des eurodéputés, par des associations telles que la Quadrature du net ou via Wikileaks.
Même si elles visaient a priori la cause noble de la lutte contre la contrefaçon, dangereuse dans le cas des médicaments, ces négociations étaient une régression démocratique nette dont l’Europe ne pouvait se vanter.
L’ACTA et les médicaments génériques
Le texte prévoit d’offrir la possibilité aux pays signataires de l’ACTA de renforcer la surveillance aux frontières afin de lutter contre les produits contrefaits. Il a été vivement reproché à l’accord d’ouvrir la voie à des contrôles abusifs par les douaniers. Ces derniers seraient autorisés à détruire sans discussion préalable avec l’expéditeur des marchandises s’ils les estiment contrefaites. Qu’en est-il du principe de présomption d’innocence ? Sur quels critères distingueraient-ils une contrefaçon dangereuse d’un générique ?
Aucune réglementation ne semble être prévue. Selon Mme Alexandra Heumber, de Médecins sans frontières (MSF), on s’exposerait au risque de rendre « difficile le transit international de médicaments génériques à bas coûts pour les pays en développement ».
Des pays comme l’Inde seraient directement touchés par ces dispositions. En effet, l’Inde a trouvé le moyen de contourner une pratique largement utilisée par les laboratoires pour garder l’exclusivité sur leurs innovations bien après l’expiration du brevet initial : l’“evergreening”. Cette pratique consiste à breveter à nouveau des médicaments en en changeant légèrement la composition. En interdisant le brevetage de molécules déjà existantes, la loi indienne offre la possibilité de copier des médicaments brevetés ailleurs, faisant de ce pays le plus grand exportateur de médicaments génériques abordables vers les pays en développement.
C’est dans ce contexte que les contrôles stricts, tels ceux promus par l’ACTA, font courir de grand risques. En février 2009, des molécules anti-VIH génériques venant d’Inde et destinées au Nigeria, passant par la facilité d’achat Unitaid, ont été bloquées par des douaniers hollandais pendant un mois, empêchant des malades d’en bénéficier. Le transit des médicaments risque de se heurter aux divergences de reconnaissance des droits de propriété intellectuelle, comme ici entre l’Inde et les Pays-Bas.
De plus, en renforçant les mesures pour lutter contre la contrefaçon, les pays risquent d’être tentés de faire un amalgame entre médicaments n’étant plus systématiquement soumis à des brevets et médicaments contrefaits. Ces dispositions dépassent clairement celles de l’ADPIC et ce sans assurer les mêmes garanties et le même équilibre entre lutte contre la contrefaçon et promotion de la santé.
Enfin, de tels contrôles aux frontières pourraient décourager le commerce de médicaments génériques et donc affaiblir l’accès aux soins. Ne serait-il pas plus judicieux de revoir le système de brevets à l’échelle mondiale, ou plus largement le concept de propriété intellectuelle afin d’encourager l’innovation, tout en créant des nouveaux débouchés et en assurant un accès plus équitable aux soins ?
Quel rôle joué par les institutions européennes ?
La Commission européenne, mandatée par la Conseil pour représenter les Etats-membres a été partie prenante des négociations de l’ACTA depuis leur origine.
Le Parlement européen a rapidement pris conscience des questions que soulève l’ACTA, et des risques que cet accord pourrait créer pour les médicaments génériques. Au sein du PE, le groupe des Verts a été très actif et ce dès l’origine pour la publication des documents de négociations.
Le 11 mars 2009 déjà, un rapport du Parlement avait invité la Commission à opter pour la transparence. Les eurodéputés avaient même menacé de saisir la Cour de Justice pour non respect du traité de Lisbonne. Plutôt réticente face aux revendications concernant la publication des textes et leur avancée, la Commission s’est finalement engagée le 27 janvier 2010 à informer le Parlement.
Le 10 mars 2010, le Parlement européen adoptait par 633 voix contre 13 une résolution commune invitant la Commission à publier les documents de négociation en vertu de l’article 218 TFUE, obligeant la Commission à tenir le Parlement informé des avancées des négociations commerciales.
La Commission européenne a continué de défendre l’accord jusqu’à ce jour. Karel de Gucht, Commissaire au commerce, a assuré à plusieurs reprises que l’ACTA n’entraverait pas l’accès aux médicaments génériques et que l’accord serait en conformité avec les ADPIC. La Commission reste ferme également en refusant de mener une étude d’impact, pour la raison que l’accord n’excéderait pas le droit européen existant. Cet argument a été confirmé par le Parlement européen via une résolution votée le 24 novembre 2010, position peu après réfutée par un comité de chercheurs allemands, français, britanniques et hollandais.
Le travail du Parlement européen a été relativement positif vis-à-vis de la transparence du contenu. Les implications de l’accord restent toutefois sujettes à de nombreuses controverses, l’application des dispositions de l’accord par les pays restant floue. On peut également espérer que le Parlement continuera d’exercer une pression afin de protéger le commerce des médicaments génériques et donc les citoyens.
A ce titre, il faudrait que le “recul” de l’automne dernier ne soit qu’une faille dans le processus. Des intérêts défendus par Oxfam à ceux du laboratoire pharmaceutique GlaxoSmithKline, les débats risquent de raviver toutes les tensions lors de l’avis que le Parlement devra émettre pour finaliser l’accord.
Quel futur pour l’innovation ?
La défense des droits de propriété intellectuelle était l’un des éléments mis en lumière pour soutenir la compétitivité européenne dès la Stratégie de Lisbonne. «
Sans propriété intellectuelle, pas d’innovation et sans innovation, pas de croissance économique durable» a considéré Michel Barnier, Commissaire au Marché intérieur, lors de l’annonce fin mars d’une future communication sur les droits de propriété intellectuelle.
L’innovation a également été mise au centre des préoccupations par l’industrie pharmaceutique. Alors que les brevets des « blockbusters », ces médicaments qui génèrent plus d’un milliard de dollars de revenu par an, sont sur le point de tomber dans le domaine public et de permettre la mise en vente de génériques, les grands laboratoires ont choisi l’option du renforcement des droits de propriété intellectuelle, afin de garder la main sur les substances qui ont fait leur richesse. Ne peut-on pas penser qu’une certaine flexibilité pourrait apporter un renouveau durable pour le modèle économique de l’industrie pharmaceutique ?
Le soutien à l’innovation et à la R&D peut être réalisé par d’autres moyens que des brevets stricts, favorisant des médicaments chers et freinant la diffusion des plus performants. Une alternative est la mise en place de politiques publiques de soutien clair et massif à la recherche. De plus, trop de brevets et donc trop de barrières peuvent avoir l’effet contraire à celui escompté, et freiner l’innovation.
Tout nouveau produit prendrait le risque de violer les droits de propriété attachés à un autre. Il faut redéfinir la notion de droit de propriété intellectuelle afin qu’elle vise l’intérêt général avant les intérêts particuliers. L’UE ne doit pas ici rater une chance d’être novatrice et équitable.
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