Il était une fois le “F-word”, le modèle fédéral imaginé par les Pères Fondateurs (les catholiques De Gasperi, Adenauer et Schuman qui parlaient entre eux l’allemand, l’agnostique Monnet, le socialiste Spaak, l’ancien communiste Spinelli…) comme étape finale de la construction européenne.
Le long combat contre le fédéralisme
Le modèle fédéral, que certains voulaient dessiner en s’inspirant de la révolution libérale américaine, est apparu pendant longtemps comme un objectif à atteindre, mais très lointain – une utopie que Spinelli avait identifiée à la baleine blanche d’Achab, et néanmoins combattu par tous les gouvernements britanniques, travaillistes et conservateurs, qui l’ont toujours considéré comme un vrai risque pour la souveraineté du Royaume Uni par rapport au Continent.
La bataille contre le “F-word” a été livrée par Mme Thatcher, puis par son successeur John Major, l’emportant contre François Mitterrand, qui avait envisagé de l’inscrire dans le Traité de Maastricht, et encore par Tony Blair, qui avait promis plus de souplesse de sa part lors de la négociation sur la constitution européenne si Giscard avait accepté de renoncer à ce mot, mais qui, ayant obtenu la disparition du mot, a contribué avec détermination à l’émasculation de la constitution au profit de l’intergouvernementalisme.
N’étant pas encore satisfait, et après s’être réjoui du rejet de la constitution en France et aux Pays Bas, Blair a joué avec Angela Merkel le rôle d’Osia dans son rapport avec la religieuse de Monza en la soumettant à l’idée perverse que le vrai danger était le Super-État européen : Angela la scélérate eut la faiblesse de lui répondre et la fausse constitution fut remplacée par le frêle Traité de Lisbonne.
La crise survenue après 2007 a conduit des leaders au-dessus de tout soupçon à se ranger sous la bannière des États Unis d’Europe, un objectif que des fédéralistes fondamentalistes auraient voulu atteindre d’un coup en oubliant qu’outre-Atlantique les États fédérés l’ont emporté sur l’État fédéral pendant un siècle et que la Federal Reserve ne fut créée qu’à la veille de la Première Guerre Mondiale.
Le retour du fédéralisme ?
Le « F-word » est entré très récemment dans le langage commun : il y a ceux qui veulent un budget fédéral (Trichet), ceux qui veulent un ministre fédéral de l’économie et des finances (Barnier), ceux qui veulent un Trésor fédéral (Tremonti), ceux qui veulent un pacte fédéral pour la croissance et le développement (Groupe Spinelli), ceux qui sont convaincus que la Charte des droits fondamentaux a créé un fédéralisme judiciaire et qu’il faut s’arrêter là en faisant confiance aux capacités miraculeuses du traité de Lisbonne et de la gouvernance sévère imposée par les gouvernements nationaux et ceux qui veulent une light federation avec un budget pré-fédéral (Bonino et De Andreis).
C’est ainsi que le chantier européen a été rouvert depuis un an et demi, en premier lieu avec l’opprobre d’un traité dans le traité afin de constitutionnaliser le Fonds de secours européen et en deuxième lieu avec l’expédient, voulu par le directoire franco-allemand, d’un traité intergouvernemental pour la seule zone Euro.
Nous sommes maintenant en face de quatre hypothèses : a. La défense jusqu’au bout du traité de Lisbonne dans la conviction qu’il offre toutes les solutions et tous les instruments nécessaires pour sortir l’Europe de sa crise ; b. La voie intergouvernementale du directoire franco-allemand, ou pour la seule zone Euro ou pour toute l’Union ; c. Du bricolage fédéraliste avec un commissaire responsable de la zone Euro ayant les fonctions de ministre pour jouer dans l’économie et les finances le rôle joué par Lady Ashton en matière de politique étrangère ; d. La relance du projet politique des États-Unis d’Europe afin d’y assembler avec cohérence, efficacité et démocratie les pièces éparses du puzzle fédéraliste.
Le député européen Andrew Duff, en oubliant son mandat populaire, a écrit : « demandons au Conseil européen de créer un (énième) comité de sages ». Depuis 1979, il existe en Europe un comité de sages qui a un caractère démocratique : c’est le Parlement européen qui s’est appliqué à lui-même la phrase attribuée à Cicéron, « senatores boni viri, senatus mala bestia ».
En janvier 2012, le social-démocrate allemand Schulz va succéder au démocrate-chrétien polonais Busek comme président du Parlement européen et la danoise sociale-démocrate Helle Thorning-Schmidt, qui a été membre du PE, va remplir les fonctions de président du Conseil de l’Union.
Nous proposons à Martin Schulz de promouvoir une session extraordinaire du PE afin de délibérer de l’avenir de l’Europe et de demander à la présidence du Conseil de l’Union en accord avec les autres gouvernements du « trio » (Pologne et Chypre) de travailler à la convocation d’une Convention, à l’instar de celles qui ont élaboré la Charte des droits et la Constitution européenne, une méthode que la nouvelle Premier ministre danoise connaît très bien pour avoir participé à la première Convention sur l’avenir de l’Europe.
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