Berlin, le mur infranchissable (2/2)

L’Europe des régions contre celle des États, la globalisation comme arbitre

, par Sébastien Antoine

Berlin, le mur infranchissable (2/2)

Berlin, ville globale ou marge économique ? L’insertion de Berlin dans la globalisation est tout à fait originale. Elle se matérialise autour du projet phare du centre d’affaires de la Potzdamer Platz conçu en collaboration avec les firmes Sony et Daimler-Benz.

Nombre d’observateurs disqualifient ce quartier des affaires (en comparaison de la City de Londres ou de la Défense à Paris) qui ne serait qu’un immense centre commercial voué à l’Erlebnisshopping, une culture de la consommation typiquement allemande [1].

Pour nuancer ces critiques, le projet de la Potzdamer Platz est en fait une tentative très pragmatique d’introduire Berlin dans le réseau des villes mondiales en favorisant le partenariat entre la municipalité et la firme mondiale. C’est pourtant un échec avec le japonais Sony qui se dissocie rapidement de son Sony Center. En revanche, d’autres projets ambitieux sont un succès, comme la super-gare de Lehrter qui est parvenue à fixer à Berlin le siège social allemand de Bombardier, leader mondial dans le secteur ferroviaire [2]. Au final Berlin n’a pas attiré beaucoup de firmes mondiales, mais cette tentative de constituer un centre d’affaires endogène est une remarquable expérience de la globalisation.

Berlin a également tenté de développer une économie du savoir et de l’innovation par le développement d’un vaste espace voué à la haute technologie, susceptible de transformer la banlieue d’Adlershof en petite « silicone valley » allemande [3]. Les 30 000 emplois prévus en 1997 sont aujourd’hui réduit de 2/3. D’une certaine manière, l’Allemagne n’a pas besoin de Berlin pour s’insérer dans la globalisation. Hambourg s’affirme progressivement face à Rotterdam comme port mondial. Frankfurt fait concurrence à Londres pour la finance, et Munich, pour la haute technologie, exerce un remarquable effet entraînant sur l’économie de la Bavière. Ces trois villes globales interdépendantes attirent tous les investissements publics.

La remise en question de l’autonomie régionale

Le projet d’accompagner la libéralisation des territoires par un élargissement des compétences régionales est également remis en cause. Les discussions intergouvernementales menées dans le cadre du SDEC depuis sa création en 1989 redéfinissent une conception du territoire appelée « cohésion » que Nicolas Gaubert résume ainsi : « [L’ancienne] politique régionale adapte des territoires à la Communauté, [la nouvelle], celle de la cohésion territoriale, adapte la Communauté à ses territoires » [4]. Il faut noter l’influence du modèle français sur cette nouvelle politique de cohésion. La France n’a jamais été éligible aux fonds européens voués à pallier le retard de développement. Par l’intermédiaire d’une agence spécialisée, la DATAR [5] , l’État français a toujours pratiqué un « aménagement » indifférencié (non régionalisé) du territoire. L’action de la DATAR a, de plus, favorisé l’insertion de Paris dans la globalisation. Une telle ingénierie territoriale, à la française, au détriment d’une autonomie régionale réelle, est le vecteur idéal pour remplir les nouveaux objectifs communautaires de Lisbonne. En ce sens, le programme Espon (Orate en français) est un exemple révélateur de la confusion entre « cohésion » et « politique régionale ». Intégré dans l’objectif 3 coopération territoriale du Feder, Espon vise à créer une grammaire du territoire européen, en recourant à l’expertise de groupes de chercheurs universitaires internationaux [6]. Un certain académisme vient progressivement investir le champ d’une politique régionale européenne longtemps exclusivement préoccupée par le local et le transnational.

Berlin capitale fédérale

Le Land, « la République » de Berlin est le siège de l’État fédéral allemand depuis 1999. Sur le modèle français, le gouvernement allemand peut être considéré comme un super-acteur économique, une véritable méta-firme, dont la mission serait de réguler la ville globale, c’est-à-dire optimiser puis redistribuer la croissance qu’elle génère. Certains auteurs comme Boris Grésillon [7] considèrent que cette fonction de capitale contribue à réduire l’autonomie du Land de Berlin. D’un simple point de vue urbanistique l’ingérence de la chancellerie est patent comme le montre la ferme volonté de Gerhard Schröder puis d’Angela Merkel de reconstruire le château des Hohenzollern à la place du palais de la République de l’ex-RDA [8]. De même, cette installation du pouvoir dans la ville a sans doute mis un terme à la culture alternative berlinoise forgée durant les années expérimentales de la Treuhand et de l’insertion dans la globalisation.

Un problème de gouvernance

Métropole incomplète et endettée, capitale de l’État le plus dynamique d’une Europe encore trop divisée, Berlin connaît un grave problème de gouvernance. Comme le souligne l’urbaniste Willem Sallet, les logiques de compétition sont présentes non seulement entre les métropoles mais aussi en leur sein. La justice sociale et spatiale nécessite des pouvoirs puissants d’arbitrage et de redistribution des richesses. Selon Peter Strieder, sénateur berlinois pour le logement et la construction en 1998 « A Berlin, une faille sans cesse grandissante sépare les pauvres des riches ».

Les grands ensembles de Marzahn-Hellersdorf, emblématiques de l’émergence du Berlin Est perdent rapidement après la chute du mur, les ¾ de leurs habitants. Il a fallu attendre les années 2000 pour que des travaux de réaménagements soient envisagés. Les habitants des classes moyennes et les activités économiques délaissent les quartiers centraux pour la périphérie dont le foncier est plus attractif. Une sorte de « ceinture de gras » (Speckgürtel) se développe à la frontière entre le Land de Berlin et le Brandebourg. Ce dernier Land refuse la fusion proposée par Berlin en 1996, laissant la ville seule face à ses chantiers colossaux, en particulier le quartier gouvernemental.

Construit le long de la Spree, le nouveau siège fédéral prend la forme, vu d’avion, d’un trait d’union à la jonction des deux quartiers centraux du Tiergarten (Berlin Ouest) et du Mitte (Berlin Est) autrefois séparés par le mur. Pourtant, les abords de la Chancellerie sont ultra sécurisées « sicher wie Fort Knox ». Dans son prolongement, à travers le Tiergarten jusqu’à Charlottenburg et la Kurfürstendamn (les Champs-Élysées allemands), un phénomène de "gated communities", des îlots d‘habitations aisées fermés à l’espace public, se développent à la manière d’une ville américaine.

En contraste, la quasi totalité des quartiers de la ville sont dévalorisés, mités par des îlots d’insalubrité. Autre phénomène ségrégatif, les voies aériennes du Ring du S-bahn bouclées en 2002 (qui rappelle la « barrière » du boulevard périphérique parisien), les friches résiduelles courant le long de l’ancien mur, les méandres de la Spree ainsi que les autoroutes urbaines forment autant de barrières, de sas de fermeture qui divisent et enferment les quartiers pauvres centraux comme Wedding ou Moabit ou Kreutzberg. Ce cloisonnement socio-spatial est regrettable dans une ville qui échappe encore largement, contrairement à Paris par exemple, à l’hypergentrification de son centre.

En conclusion, les récentes élections fédérales qui ont reconduit Angela Merkel se sont déroulées dans un climat de confiance et d’autosatisfaction remarqué. La campagne politique a, en particulier, fait consensus sur la pertinence des réponses allemandes apportées à la crise économique mondiale. D’une certaine manière, Berlin s’est trouvé confirmée dans son rôle de capitale politique, ce qui vient compenser une gouvernance métropolitaine déficiente que l’Europe et l’Allemagne ne lui permettront désormais plus de corriger. En définitive, la libéralisation de l’espace européen initié par les Etats membres, a provoqué, à Berlin, la disparition des influences transnationales, celles de la globalisation comme de la culture alternative.

Illustration : photographie de la Potsdamer Platz de Berlin. Source : Wikimedia.

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Notes

[1D’après l’article Berlin sans Frontières ? De Margaret Manale http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=ESP_116_0189.

[3L’urbaniste Willem Sallet sur la gouvernance des métropoles en Europe : en anglais, http://metropoles.revues.org/document262.html. Résumé en français : http://latts.in2p3.fr/site/tele/rep1/Compte-Rendu%20Conference%201%20W.%20Salet.pdf. Regard sur plusieurs stratégies métropolitaines. En particulier Berlin-Adlershof : http://www.tepav.org.tr/sempozyum/2007/sunumlar/3.Willem.Salet.pdf.

[5DATAR : Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale, qui mène de 1963 à 2006 des actions d’ingénierie territoriale consistant à « équilibrer » le territoire français. Elle est remplacée en 2006 par la Diact, Délégation interministérielle à l’aménagement et à la compétitivité des territoires.

[6Exemple de programme Espon dans une université parisienne, page 2 : http://www.ums-riate.fr/lettres/riateinfos10.pdf. On remarque le sigle de la Diact. Le paradoxe des États comme nouveaux acteurs des programmes européens à vocation régionale et transnationale.

[7Boris Grésillon, Berlin, métropole culturelle, Belin. Collection Mappemonde - 2002 http://www.cafe-geo.net/article.php3?id_article=433.

[8Boris Grésillon, Berlin, Métropole en attente : http://www.cairn.info/revue-herodote-2001-2-page-96.htm.

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