Débâcle des socialistes aux européennes : tirer les leçons de cet échec

, par Maël Brunet

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Débâcle des socialistes aux européennes : tirer les leçons de cet échec

Avec 22% des sièges (soit une baisse de 5,6% par rapport à 2004), une droite stable et une percée de l’extrême droite, le réveil est dur pour les socialistes à travers l’Europe. Et ce d’autant plus que leur position de force principale d’opposition dans la plupart des états membres et la mauvaise gestion de la crise économique au niveau européen par la majorité sortante étaient autant de raisons d’espérer un meilleur résultat.

S’il leur faut bien sûr éviter accusations personnelles et autres règlements de comptes à couteaux tirés, il est important pour les socialistes européens de reconnaître les erreurs collectives commises lors de cette campagne, et d’en tirer les conclusions nécessaires. Si cela n’est pas fait aujourd’hui, ils courent un double risque : celui de voir les divergences rejaillir à un moment moins propice, et celui (autrement plus grave) de commettre à nouveaux les mêmes erreurs lors du prochain scrutin, ce qui ne pourrait qu’aboutir à des résultats plus décevants encore.

Une trop grande nationalisation des enjeux

Il y aurait beaucoup à dire sur la crise identitaire que traverse le socialisme en Europe, mais c’est exclusivement sur les erreurs de campagne que nous nous concentrerons ici. Sans concession, mais en s’efforçant toujours de garder la critique constructive, voyons en quoi elles ont consisté.

On ne le répétera jamais assez. Tout comme une campagne nationale se joue sur des enjeux nationaux, une véritable campagne européenne doit être centrée sur les enjeux européens. Or, force est de constater que la plupart des partis socialistes sont allés en sens inverse, choisissant l’option de facilité. En France par exemple, le PS a beaucoup critiqué le MoDem sur sa prise de position vis-à-vis du président Sarkozy. Mais celui-ci aurait tout à fait pu lui retourner le compliment. C’est prendre les électeurs pour plus bêtes qu’ils ne sont et réduire encore le peu d’intérêt qu’ils ont pour les élections européennes que de parler de « vote sanction » ou de questions purement nationales. Certes, la faute est partagée et les socialistes n’étaient pas les seuls à adopter ce positionnement politique, mais ils ont raté là une belle occasion de se démarquer et de tirer le reste de la classe politique vers le haut en parlant vraiment d’Europe.

Un manque de leadership

Là aussi, cela a été dit et répété durant la campagne, mais il convient d’insister : le Parti Socialiste Européen (PSE) aurait du proposer un candidat à la présidence de la Commission. N’en déplaise à Martin Schulz (lire à ce sujet sa réponse peu convaincante à un billet critiquant sa prise de position), le parlement aurait tout à fait pu imposer aux gouvernements un autre président : aujourd’hui cela semble peu probable. Anticipant leur propre défaite, un certain nombre de dirigeants socialistes ont préféré jouer la carte de la prudence en soutenant Barroso. Les résultats semblent leur donner raison. Sauf que cette stratégie part d’un raisonnement fondamentalement vicié : c’est bien parce que les socialistes n’ont pas réussi à apparaître unis et à incarner une véritable alternative qu’il ont échoués, pas le contraire !

Une posture trop critique, pas assez constructive

La critique est saine à partir du moment où elle sert de tremplin à une véritable alternative. Or, force est de constater que dans de nombreux pays les socialistes ont assez peu mis en valeur leurs propositions concrètes, préférant se concentrer quasi-exclusivement sur la critique du bilan de la droite. Une telle stratégie ne peut que donner des résultats contre-productifs, avec une droite apparaissant comme au centre de la campagne, et une gauche s’enfermant dans l’image de l’opposant forcené. C’est d’autant plus regrettable que des propositions crédibles (avec en premier lieu une réponse efficace à la crise) étaient présentes dans le manifeste du PSE, qui a été trop peu utilisé.

Des champs politiques inexplorés

S’il est bien sûr compréhensible que la campagne se concentre sur des enjeux économiques en cette période de crise, il est regrettable que les socialistes n’aient pas pris l’initiative pour amener le débat vers d’autres sujets d’importance. Par exemple, le refus par la droite de l’allongement du congé maternité ou de la condamnation des déclarations choquantes du pape étaient autant d’occasions (ratées) pour la gauche de mettre en valeur ses prises de position face au conservatisme ambiant. Critiquer l’ (ultra-)libéralisme de la droite ne suffit plus : si les socialistes veulent incarner la vraie force progressiste de demain, ils doivent être plus audacieux, et ce sur tous les terrains politiques.

De grosses erreurs stratégiques, donc, mais le tableau n’est pas si noir : une critique vigoureuse, de nombreux échanges de campagne, et un manifeste largement reconnu comme excellent. Basé sur ce bilan critique, espérons que les socialistes tirent de cette campagne les conclusions nécessaires. Car l’Europe, elle, n’attendra pas, et les défis à relever sont nombreux.

Illustration :Documentation du Parti Socialiste Européen

Source :Flickr

Vos commentaires
  • Le 12 juin 2009 à 12:42, par Maël Donoso En réponse à : Un Maël peut en commenter un autre

    En ce qui concerne le besoin de rénover la gauche française et européenne, on peut recommander l’excellente Lettre à ces socialistes qui nous désespèrent d’Edwy Plenel. Relevons en particulier cet avertissement clair, qui reste d’ailleurs valable sous d’autres couleurs politiques :

    C’est votre quatrième renoncement, et peut-être le plus sourdement inquiétant : non seulement vous ne travaillez pas assez votre culture générale, mais surtout vous ne dialoguez plus avec le monde du savoir, vous n’affrontez pas l’audace des idées, vous n’écoutez pas avec humilité ce qu’auraient à vous dire tous ces historiens, sociologues, économistes, mathématiciens, physiciens, biologistes, etc., scientifiques authentiques qui fréquentent laboratoires et bibliothèques plutôt que les allées du pouvoir et de la notoriété.

    À l’échelle plus directement européenne et quitte à enfoncer encore une fois des portes ouvertes, ce ne serait effectivement pas trop demander que la gauche sorte désormais de ses logiques nationales, qu’elle utilise davantage son excellent Manifesto, et (par pitié...) que le PSE se prépare désormais, au début de chaque campagne européenne, à proposer systématiquement un candidat pour la Commission.

    À nous d’être vigilants sur tous ces points durant les cinq prochaines années. Et de mettre fortement la pression à droite également...

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