Défense européenne : l’opération Atalanta, une réussite ? 2/2

, par François Gorin

Défense européenne : l'opération Atalanta, une réussite ? 2/2

Dans le contexte d’affaiblissement supposé de la politique européenne de défense suite à l’accord bilatéral entre France et Royaume-Uni, retour sur une réalisation concrète : l’opération Atalanta, menée par la force navale de l’Union Européenne pour la Corne d’Afrique.

Une participation étendue à l’ensemble de l’UE

On trouve au sein de la force européenne réunie dans le cadre de l’opération Atalanta des navires allemands, français, néerlandais, danois, suédois, italiens, grecs, espagnols, belges et anglais. Même le Luxembourg, qui n’est pas réputé pour sa puissance maritime, s’implique en envoyant un avion de patrouille maritime et des officiers d’états-majors, comme le font aussi l’Irlande et Chypre. Ce dernier pays contribue aussi à l’opération Atalanta en envoyant des hommes armés constituer des équipes de protection embarquée sur les navires du programme alimentaire mondial.

Au quartier général à Northwood (Nord-ouest de Londres), à la base de soutien logistique à Djibouti, ou même à bord du navire amiral, des représentants de toutes les nations collaborent quotidiennement. La force navale européenne a su innover, notamment lorsque le La Fayette disposa, depuis la mer, des équipes de protection embarquée sur des navires du programme alimentaire mondial.

Par la suite, St Vincent des Grenadines donna son accord de principe pour la disposition de telles équipes sur les navires battant son pavillon. L’Europe de la défense est vivante, même si cette vie s’ébat loin du territoire européen, et ses succès sont tangibles.

Un succès réel, mais à nuancer dans la perspective de l’OTAN

Cette efficace coordination des forces européennes doit beaucoup, il faut bien l’avouer, aux origines atlantistes des armées européennes. L’organisation de la force et des états-majors est calquée sur les normes de l’OTAN, les messages échangés quotidiennement sont au format OTAN, les tactiques et procédures ont été développées par l’OTAN.

Ensuite, il faut bien comprendre qu’envoyer des éléments militaires est nécessaire : la piraterie gène tout le monde, et en conséquence chacun veut la combattre. L’effort militaire dans la zone est considérable, et l’on croise dans l’IRTC des navires de guerre à longueur de journée, et de toutes les nations : en plus des Européens, il y a bien sûr des Américains, mais aussi des navires de pays riverains, des Australiens, des Sud-Coréens, des Russes, etc. Même Singapour annonça au premier semestre sa volonté d’envoyer un avion de patrouille maritime. En un mot, lutter contre la piraterie somalienne, c’est à la mode. Et avec ou sans Atalanta, les nations d’Europe auraient surement rejoint le mouvement, certes nécessaire.

Il existe d’autres coalitions sur place, comme la Task Force 150 autour des Etats-Unis, ou le groupe maritime standard de l’OTAN Ocean Shield. Toutes ces coalitions sont rassemblées et coordonnées par le Combined Maritime Forces, sorte de coalition des coalitions. L’effort de guerre et de coordination d’Atalanta s’intègre en fait à un mouvement global. Les autres coalitions font d’ailleurs concurrence à Atalanta, non pas dans la réalisation du travail – l’étendue de la zone d’opération et le nombre de pirates font qu’il y a largement assez de travail – mais dans l’attribution d’un navire : si la Grèce envoie le HS Elli participer à Ocean Shield et que la France envoie le Guépratte au sein de la TF 150, ce sont autant de navires qui ne participeront pas à Atalanta.

Enfin, si l’on enquête un peu, on remarque que Ocean Shield a aussi son QG à Northwood, et que les Etats-majors voisins travaillent en symbiose, planifiant même des opérations en commun (opérations Iron Fist et Artic Whaler le long des côtes somaliennes en mai 2010). Encore une fois, l’Europe de la défense a du mal à s’affranchir de l’OTAN.

Néanmoins, les résultats chiffrés d’Atalanta sont bien supérieurs à ceux des autres coalitions.

Au-delà des coalitions militaires, la nécessité de plans de soutien

L’efficacité des différentes coalitions est prouvée par une réduction des attaques dans l’IRTC, zone ou se concentre le transit marchand. Mais sous la contrainte des militaires, les pirates vont plus loin, et prennent plus de risques. Le 17 avril 2010, des pirates somaliens capturent une flotte de trois navires de pêche thaïlandais (les Prantalay 11, 12 et 14), soit 77 marins, à plus de 2200 km des côtes somaliennes, et à 1000km du navire de guerre le plus proche. Les pirates en viennent ainsi à quitter leur aire d’action originelle, allant au-delà de la zone d’opération officielle d’Atalanta.

Enfin, seulement 13% des pirates arrêtés par les forces de la coalition sont effectivement traduits en justice : personne ne veut plus supporter le coût de l’emprisonnement, ni les pays riverains ni les grandes puissances, et les prisons kenyanes et seychelloises sont déjà pleines de pirates somaliens. De fait, les « présumés pirates » appréhendés par les forces navales sont la plupart du temps désarmés et relâchés. Ils rentrent, se réarment et repartent. Et l’on s’aperçoit, d’une arrestation à l’autre, que certains pirates étaient déjà connus des forces maritimes…

Le principal danger pour les pirates n’est donc pas de se faire arrêter par les destroyers lourdement armés, mais plutôt de se faire emporter par une vague ou de mourir de faim et de soif, lorsque l’appât du gain les a emmenés au-delà du point de non retour et qu’ils n’ont pas réussi à aborder un navire marchand. Le réarmement quasi-immédiat des « présumés pirates » montre que si les moyens navals ne manquent pas, l’absence d’un dispositif judiciaire adéquat nuit à la lutte contre la piraterie.

Enfin, tout le monde s’accorde pour dire que la lutte navale contre la piraterie n’est qu’un pis-aller. La piraterie n’est que le volet d’un problème plus large, celui de la stabilité. Tant que ceux qui étaient auparavant de simples pêcheurs ne se verront pas offrir une alternative économique et politique viable à la piraterie, ils n’arrêteront pas. Mais les problèmes de la Somalie semblent souvent insolubles, et les tentatives occidentales, telle l’opération Restore Hope, se sont avérées périlleuses.

Cela étant dit, l’Union Européenne n’est pas en reste sur cet aspect : depuis avril 2010, une Mission de formation de l’Union europénne en Somalie (European Union Traning Mission for Somalia) est mise en place en Ouganda : sous les ordres du Colonel Ricardo Gonzales Elul, un groupe d’officiers européens participe à l’entraînement des forces de sécurité du gouvernement fédéral de transition de Somalie.

Cette seule initiative ne suffira sûrement pas à changer la donne, mais elle montre que l’Union Europénne veut inscrire son action dans la région à travers une politique compréhensive et globale.

Atalanta représente une première dans l’histoire de l’Europe de la défense, et cela mérite d’être salué. Son action, d’un point de vue strictement militaire, est une réussite. Et elle ouvre la porte à d’autres réalisations futures pour la PeSDC.

Illustration : passation de commandement entre le contre-amiral Thörnquist et le contre-amiral Coindreau

Source : eunavfor.eu

Vos commentaires
  • Le 23 novembre 2010 à 12:02, par HR En réponse à : Défense européenne : jawohl herr kommandant !

    « Encore une fois, l’Europe de la défense a du mal à s’affranchir de l’OTAN. »

    Certes. Mais pourquoi les Européens s’affranchiraient-ils des Européens ? L’OTAN, ce sont aussi, et même surtout, des Européens, faut-il le rappeler ?

    Comme finit par le conclure l’article, (Enfin, si l’on enquête un peu, on remarque que Ocean Shield a aussi son QG à Northwood...), la question fondamentale que pose la question de la Défense européenne est la question d’assurer son propre commandement.

    C’est une question qui est, au dela des problème militaires, éminemment politique. Mais son aspect militaire a l’avantage de renvoyer à un problème fondamental aujourd’hui qui, en éclairant l’Union Européenne sous deux angles sensiblement différents, lui donne tout son relief.

    On voit bien comment ces deux articles sur la Défense européenne finissent par admettre que les forces armées de l’Union Européennes ne parviennent toujours pas à s’affirmer autrement que dans un rôle de supplétifs des forces armées américaines, et que notamment elles ne peuvent toujours pas se passer de son commandement.

    C’est sous cet angle que ces articles posent évidemment, même indirectement, non pas la question de savoir si les Européens sont aujourd’hui capables de se défendre eux-mêmes, parce que le premier éclairage de l’article y répond, même indirectement, mais posent la question de savoir si les Européens aujourd’hui sont capables de se gouverner eux-mêmes.

    L’Europe de la défense a du mal à s’affranchir de l’OTAN, certes, pour employer un euphémisme, mais c’est parce que l’Union Européenne a du mal à s’affranchir de la tutelle politique des USA.

  • Le 24 novembre 2010 à 08:05, par Valéry-Xavier Lentz En réponse à : Défense européenne : jawohl herr kommandant !

    Tout à fait d’accord : l’OTAN c’est nous. Sur un sujet comme le piratage dans l’Océan indien il est logique qu’il y ait des synergies avec nos alliés.

    L’essentiel est que les Européens puissent avoir les moyens opérationnels d’agir sans la participation de ceux-ci et sans l’implication directe de l’OTAN en tant qu’organisation lorsque le contexte ne s’y prête pas. Il me semble que sur ces points il y a eu des progrès ces dix dernières années.

  • Le 24 novembre 2010 à 10:40, par N. Bossut En réponse à : Défense européenne : l’opération Atalanta, une réussite ? 2/2

    Très bon article. Je nuancerais cependant par rapport à la place de l’OTAN. Pour une fois, les rôles me semblent inversés.

    L’opération Ocean Shield n’est somme toute qu’une opération de marketing habilement lancée par l’OTAN. A lire la presse, Ocean Shield et Atalanta semble se valoir. Pourtant, sur le terrain, il n’y a pas véritablement de flotte battant le pavillon de l’OTAN. Occasionnellement, des bateaux passant dans les parages et appartenant aux forces alliées se mettent temporairement sous le commandement du QG de l’OTAN. Il n’existe pas réellement de volonté de l’Alliance d’être présente.

    Il existe plusieurs raisons à ce désengagement. Bien entendu, l’OTAN a d’autres chats à fouetter mais il y a un autre élément plus important me semble-t-il. Seule l’UE a été en mesure de signer en temps et en heure des accords de transferts vers les pays riverains des pirates arrêtés. Seule elle disposait des capacités (principalement des juristes) pour monter une opération d’une telle complexité.

    OTAN et UE ne partaient pas ici avec les mêmes armes. La seconde était bien plus équipée, notamment grâce à ses capacités civiles. C’est cela, selon moi, qui explique le succès de cette opération.

  • Le 24 novembre 2010 à 12:01, par HR En réponse à : Défense européenne : jawohl herr kommandant !

    Certes. Mais on peut réduire tout ce que j’écris à deux questions. Est-ce que, finalement, en l’état actuel des choses, l’OTAN, ce n’est pas l’Armée de l’Union Européenne ? Et dans ce cas, l’Union Européenne est-elle capable de prendre le commandement de l’OTAN, et comment ?

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