Le Taurillon : Qu’est-ce qui rend l’art plastique polonais si unique dans l’art européen actuel ? Comment se distingue-t-il de l’art plastique français par exemple ?
Agnieszka Jacobson-Cielecka : Je pense que des années d’isolement et certaines possibilités offertes dans un contexte non capitaliste ont fait que notre expérience s’est construite différemment. Aujourd’hui nous jetons un regard neuf sur bien des choses, nous avons des histoires peu connues à faire passer et nous ne nous lassons pas encore de la société de consommation comme cela semble être souvent le cas dans les pays de l’Ouest.
En matière de design, les polonais sont tout aussi bien formés que dans le reste de l’Europe, mais ils gardent aussi une sorte d’”ingéniosité” par rapport aux matériaux utilisés. Nous nous tournons naturellement vers ce qui est à notre disposition, ce qui est facile à exploiter et pas trop cher. Les designers ont en même temps une relation très ouverte avec les industriels. On peut rapprocher la technologie Genuine Fidu d’Oskar Zieta de notre philosophie du “rien n’est insoluble”.
Le Taurillon : Comment cette exposition rend-elle compte de la pluralité (ou singularité) du point de vue polonais sur l’art plastique ?
Agnieszka Jacobson-Cielecka : Si quelqu’un pense que le design polonais ressemble aux autres ou qu’au contraire il est unique, dans les deux cas cette personne aura raison, c’est ce que nous disons dans l’introduction de l’exposition. Le design polonais ressemble aux autres aujourd’hui car les jeunes partagent les mêmes expériences. Tout le monde voyage, tout est à notre disposition et les jeunes Européens peuvent ouvertement tout explorer. Cependant nos racines ne sont pas les mêmes. De ce point de vue, lorsque l’on analyse le design polonais, on constate un ancrage très fort dans les méthodes de fabrication faisant appel à des matériaux simples et naturels. C’est un design très imprégné par les motifs traditionnels mais transformés, redimensionnés, rendu avec d’autres matériaux, utilisés pour de nouvelles fonctions et investis d’un sens nouveau.
Le Taurillon : L’art plastique polonais est-il toujours un moyen de marier histoire et art comme l’a fait l’avant-garde polonaise ou d’autres mouvements (comme le groupe de l’autodidacte Andrzej Wroblewski) ?
Agnieszka Jacobson-Cielecka : Tout est lié dans l’art. Parfois il s’agit d’une expérience liée à l’histoire, parfois d’une expérience personnelle ou autre chose. En ce qui concerne les jeunes designers polonais qui sont nés peu de temps avant ou après les bouleversements politiques polonais, ceux-ci n’ont aucun passé sombre et pesant à traiter par le biais artistique. Quand on traite du passé, cela relève maintenant plus de la remémoration positive que de la thérapie.
Par exemple les Polonais utilisent beaucoup de matériaux recyclés et naturels car nos parents et grands-parents avaient tendance à collectionner les objets ”qui seront peut-être utiles un jour ou l’autre”. Mais c’est aussi un héritage que nous pouvons apporter à la vieille Europe : les 3 R – Réduire, Réutiliser, Recycler – sont une idée que nous adoptons très naturellement mais sans grande conscience de la dimension du développement durable et de la protection de l’environnement.
Le Taurillon : Cette exposition renvoie-t-elle à l’”infraordinaire” de George Perec (un questionnement sur l’extra-ordinaire dans les objets ordinaires) ou à la banalité des objets qui sortent de l’ordinaire ?
Agnieszka Jacobson-Cielecka : Cela dépend de quelle exposition vous parlez et en fait du sens donné à l’ordinaire ou à ce qui en sort. Cela dépend du point de vue adopté.
JUST A THING traite de ce sujet comme son titre l’indique. Juste une chose, une chose ordinaire, cela renvoie au quotidien, indigne de notre attention, etc. Mais tous les designers rêvent de faire quelque chose qui sort de l’ordinaire. Des objets du quotidien (ordinaires) deviennent extra-ordinaires et durent des années, traversent les générations etc. mais en gardant leur raison utilitaire ordinaire : une chaise, un bol ou une lampe.
Il se trouve qu’avec UNPOLISHED l’interprétation des designers des objets ordinaires est extra-ordinaire. THE RADIO propose un commentaire sociologique et des propositions, avec LOG RADIO et CLOCK, l’extra-ordinaire prend forme dans la surprise, l’humour, une idée inattendue. Dans le cas de PLOOP, l’extra-ordinaire est dans la technologie, mais les objets présentés ont des technologies du quotidien : une radio, une horloge, un tabouret...
Le Taurillon : Quel public UNPOLISHED vise-t-il ? Est-il possible d’y entrer sans être initié ? Comment le visiteur français peut-il appréhender ces œuvres si éloignées de l’univers artistique auquel il est habitué ?
Agnieszka Jacobson-Cielecka : L’exposition s’adresse aux personnes qui s’intéressent au design, à la création plastique, à l’art et à la nouvelle culture polonaise. Je ne pense pas que cette exposition soit si éloignée de l’univers artistique des autres Européens mais possède une certaine identité polonaise spécifique que l’on saura distinguer si on la cherche.
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