Echec à l’OMC : décidément, une autre agriculture semble impossible !

L’Afrique, grande perdante du récent échec des négociations

, par Jean-Baptiste Mathieu

Echec à l'OMC : décidément, une autre agriculture semble impossible !

L’échec des négociations OMC qui se sont déroulées - les 23 et 24 juillet derniers, à Genève - entre l’Australie, le Brésil, les Etats-Unis, l’Inde, le Japon et l’Union Européenne est une nouvelle illustration de la crise que traversent actuellement les institutions internationales. Et ce, au détriment des plus faibles, comme toujours...

Le cycle de Doha qui avait pour ambition d’être un « cycle de développement », selon l’expression même des pays du G6, n’a pas même passé le cap des négociations sur l’agriculture. Pourtant, l’examen des questions agricoles étaient le préalable de discussions au cours desquelles devait être débattue, entre autres choses, la mise en place d’une meilleure distribution des médicaments dans le monde.

Ainsi le voilà abandonné, le rêve d’un commerce international mieux régulé : sur l’autel des sacro-saintes subventions agricoles.

Quand l’Europe manque de cohérence...

Il serait faux de faire de l’Union Européenne l’unique responsable de cet échec. Et les Etats-Unis, qui subventionnent tout autant leur agriculture que nous, ne sont pas exempts de tout reproche. A la différence près que l’administration Bush ne s’est jamais présentée comme le héraut du multilatéralisme. Et, finalement, voir les Etats-Unis faire preuve de protectionnisme pour défendre leurs intérêts ça peut être choquant mais en aucun cas étonnant : puisqu’ils n’ont jamais prétendu faire autre chose.

Cependant, l’Union Européenne et surtout la France se gargarisent souvent d’incarner sur la scène internationale le visage d’une politique internationale plus humaniste, plus soucieuse du développement mondial. Alors c’est vrai que Bruxelles représente 56% de l’aide au développement mondial, et que Chirac prône l’émergence d’une politique multilatérale : « le multilatéralisme est efficace, car il a permis, à Monterrey, à Johannesburg, de dépasser l’affrontement Nord-Sud et d’ouvrir la voie à des partenariats porteurs d’espoir, notamment avec le continent africain ».

Mais « paroles, paroles, paroles que tu sèmes au vent », car ce que donnent les européens d’une main, ils le reprennent de l’autre : en subventionnant leur agriculture et en pratiquant des prix de douanes élevés.

Quelles sont nos responsabilités ?

L’agriculture représente 90% du PIB de nombreuses économies africaines et uniquement 3 % de celle de l’Europe. Le développement du continent noir passera par l’agriculture ou n’aura jamais lieu. L’Afrique est le seul continent du monde où l’agriculture représente une part aussi importante de l’économie. Ce qui en fait aussi le plus soumis au bon vouloir des pays riches.

La question du développement africain passe par la faculté et le courage pour le Nord - l’Europe notamment et principalement la France - de repenser ce que doit être l’agriculture sur le vieux continent.

Rappelons que la PAC représente 40% du budget de l’Union Européenne. Mais ne serait-il pas justement temps d’en finir ? L’avenir de l’Europe est-il plus dans les nouvelles technologie, la recherche, l’innovation ou dans la production et l’exportation de sucre ?

La question du développement africain passe par la faculté et le courage pour le Nord - l’Europe notamment et principalement la France - de repenser ce que doit être l’agriculture sur le vieux continent.

Soutenir le multilatéralisme - ça veut dire changer en acceptant que notre politique ne soit pas la protection de nos intérêts, mais le souci que tous trouvent aussi le leur quelque part.

Or, c’est exactement le contraire de ce que dit Dominique Bussereau, Ministre de l’agriculture :

« Evidemment, cet échec n’est pas une bonne nouvelle pour le multilatéralisme. Or, le cadre multilatéral reste la meilleure option pour promouvoir des relations commerciales équilibrées et profitables aux pays développés comme aux pays en développement. Mais il n’a jamais été question pour la France d’accepter un accord déséquilibré et contraire à nos intérêts, pour prix de la survie du multilatéralisme ».

Cruelles incohérences...

C’est évidemment très facile de dénoncer l’incohérence de nos politiques. Et, si l’on veut être honnête, on doit reconnaître que bien souvent en tant que consommateurs, au moment de faire nos courses, nous prenons soin d’acheter des produits bien de chez nous et surtout pas les tomates espagnoles !

Alors trouvera-t-on un jour sur nos marchés des produits africains, même si cela va à l’encontre les intérêts du producteur du coin (s’il existe encore...) ? C’est sans doute à nos hommes politiques de nous permettre de franchir ce pas, mais est-ce vraiment envisageable ?

Enfin j’ai peut-être tort : je devrais sans doute crier victoire comme Jose Bové, me réjouir du triomphe de « la souveraineté alimentaire » c’est-à-dire la possibilité de produire plus que ce dont on a besoin pour inonder l’Afrique de sucre à betteraves. Puisque notre avenir, c’est les betteraves ! Vous voyez bien que vous n’y croyez pas. Les alter-mondialistes qui se réjouissent dès qu’une institution internationale a du plomb dans l’aile doivent passer de bons moments, ces derniers temps, en sirotant du jus de betterave sous le soleil.

L’échec des négociations « OMC » c’est le retour des accords bilatéraux pour le commerce international, c’est-à-dire les pays riches qui imposent à l’Afrique leurs conditions. Mais ’’ça’’ Dominique Bussereau et Jose Bové s’en foutent, puisqu’un autre monde est possible...

- Illustrations :

Photographie d’un fermier Backweri travaillant dans un champs de Taro sur les pentes du mont Fako, au Cameroun (Sources : Encyclopédie en ligne wikipédia).

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Vos commentaires
  • Le 16 août 2006 à 19:39, par Ronan En réponse à : Echec à l’OMC : décidément, une autre agriculture semble impossible !

    Juste une petite note complémentaire pour bien comprendre de quoi il retourne :

    Comme on le sait bien, les êtres humains échangent des produits, divers et variés : des produits agricoles, des combustibles, des produits manufacturés et des services (etc). Lesquels représentent aujourd’hui respectivement environ 7% du commerce mondial (pour les produits agricoles), 12% (pour les combustibles), 61% (pour les produits manufacturés) et 20% (pour les services), etc.

    Or, comme le pétrôle (c’est à dire les transports...) ne représente finalement en fait pas grand chose dans le prix de vente des produits trimbalés (i. e : entre 2 et 10% des prix), les hommes échangent beaucoup. (Sans même parler des services : beaucoup moins dépendants des transports depuis la création et le développement d’Internet). C’est pourquoi, tous les jours, des avions apportent à Paris des haricots venus du Ghana, des moutons de Nouvelle Zélande, des pommes du Chili et des escargots de Bourgogne.

    Alors on se dit : « c’est cool, vive le commerce ! » car le Sud (agricole et pauvre...) (population active se consacrant à l’agriculture : jusqu’à 40%) va ainsi pouvoir vendre tranquillement au Nord (industriel et riche...) (population active consacrée à l’agriculture : environ 5%) ses produits agricoles (et le Nord riche : ses produits industriels au Sud pauvre...). Et on se dit : « chouette, on va respectivement s’échanger nos produits et la prospérité générale est au coin de la rue ». Mais patatras - tout faux - en fait ça ne marche pas comme ça. Mais alors pas du tout.

    En effet le Nord riche et industrialisé vend bien des produits industrialisés (ainsi que des services...) au Sud (jusque là, tout va bien, si j’ose dire...) mais aussi (aïe, aïe, aïe) des produits agricoles. Donc le Sud ne vend absolument rien à personne. (En effet, depuis 1980, la part de l’Afrique dans le commerce mondial est même tombée de 6 à 2%...).

    Et pour cause : les produits agricoles du Sud ne sont pas compétitifs sur le marché. Et pourquoi donc ? Car les produits du Nord qui les concurrencent sont subventionnés de telle manière à ce qu’ils soient, eux, beaucoup plus compétitifs. Ainsi, l’Europe consacre annuellement 20 milliards de dollars de subventions à son agriculture (23 pour les Etats-Unis). De même que les USA donnent 4,3 milliards de dollars à leurs producteurs de coton. Résultat : les cours mondiaux plongent, le coton américain et les excédents agricoles européens envahissent le monde. Et tout ça, au détriment des agriculteurs du sud.

    Car les Etats-Unis se moquent de l’OMC (et lui préférent les accords bilatéraux qu’ils négocient avec leurs obligés...) et car l’Europe (la France surtout) sont -en raison du poids politique de ses agriculteurs- arc-bouée sur sa PAC. La France : un pays qui produit des services (70%), des produits industriels (25%) et des produits agricoles (les 25% qui restent) mais dont la population agricole ne représente que 3% de la population active. Alors que la proportion de paysans dans la population active des pays du sud est beaucoup plus élevée. Avec plus de 40% pour un continent comme l’Afrique. Lesquels n’arrivent pas à vendre leur production et, donc, n’arrivent pas à en vivre. Cherchez l’erreur...

    D’où la nécessité non pas d’interdir ni d’empêcher les échanges, mais d’essayer d’établir des règles qui ne profitent pas toujours aux mêmes...

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