Défense

En garde ! Défense européenne : la révolution sarkozyste

, par Traduit par Sophie Gérardin, Daniel Fiott

En garde ! Défense européenne : la révolution sarkozyste

Lorsque la France prendra la présidence du Conseil européen en juillet, on espère que le président Sarkozy programmera une série de mesures ambitieuses visant à renforcer les capacités de défense européenne. Entamera-t-il une révolution en la matière ou sa direction à la tête de l’Union européenne (UE) se révélera-t-elle infructueuse ?

La question de la défense a depuis longtemps été au centre de nombreux débats européens. La majorité des États membres considèrent toujours la défense comme relevant de la politique régalienne et l’un des derniers bastions de la souveraineté dans un monde globalisé. Cet état de fait se reflète dans la nature même de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) qui se révèle très médiocre, minée par un manque de ressources, des querelles intergouvernementales et la concurrence avec d’autres partenariats militaires, tels que l’OTAN.

Néanmoins, des avancées significatives ont eu lieu pour faire avancer la capacité militaire européenne. L’année 1997 a vu l’intégration des missions de Petersberg au sein de la politique de défense et de sécurité commune (PDSC), lesquelles demandaient à l’UE d’entreprendre des missions humanitaires, de rétablissement et de maintien de la paix. Cela s’est conclu en 1998 par la signature l’Accord de Saint-Malo, dans le but de lancer une coopération militaire renforcée et de consolider l’harmonisation militaire.

La protection de l’élite

Cependant, Sarkozy a récemment laissé entrevoir ses sentiments sur l’inertie dans laquelle se trouve la politique de défense européenne, lorsqu’il a déclaré que les efforts pour protéger les Européens étaient insuffisants. Cela fait écho à un sentiment largement répandu d’animosité envers l’incapacité de l’UE à prévenir les atrocités, telles que celles perpétrées dans les Balkans. C’est dans ce contexte que Sarkozy a révélé ses mesures afin de créer une force militaire d’« élite » composée de la France, de l’Allemagne, de l’Italie, de la Pologne, de l’Espagne et du Royauem-Uni.

Pierre Lellouche, le porte-parole de Sarkozy en matière de défense, a révélé ces propositions lorsqu’il a détaillé huit missions spécifiques nécessitant l’action, au cas où des progrès se feraient sentir dans le domaine de la défense européenne. Les missions incluent la formation d’une force de réaction rapide de 60000 hommes – des mesures initiales en la matière n’ont jamais décolé – un engagement financier annuel de 2% du PIB, une « européanisation » des bases et de l’approvisionnement militaires et l’établissement de capacités militaires propres à l’UE.

Le plan a été révélé fin novembre 2007, lors du discours de Sarkozy prononcé au Parlement européen, dans lequel il a clairement fait savoir que l’on devait faire plus pour créer une identité militaire commune. Depuis, le président français a engagé des troupes en nombre au sein de la force européenne au Tchad et effectué une visite récente en Afrique, afin de renégocier notre présence militaire sur place. Quand bien même cette impulsion a été donnée, il ne sera pas facile pour Sarkozy de régler les problèmes de fond qui minent la PESC et la PDSC.

Nourrir la Bête

Ces problèmes sont à la fois financiers et politiques. D’un point de vue financier et pour emprunter l’une des observations de Mark Leonard, l’UE dépense pour l’instant davantage en frais de ménage pour ses bureaux à Bruxelles que pour la PESC. Ceci rejoint le fait que l’UE dépense peu pour la recherche et le développement et qu’elle ne possède pas de modèles d’économie d’échelle en matière de défense, ce dont elle aurait besoin pour réduire les coûts. Six Etats membres ne peuvent à eux seuls mener à bien ces missions gigantesques. D’un point de vue politique, Sarkozy ne devrait pas prendre son ardent désir de coopération militaire pour une réalité. Lors d’un récent exposé au Collège de l’Europe à Bruges, David Miliband, le ministre des affaires étrangères britannique, a déclaré qu’il était certes « embarrassant » pour l’UE de ne pas avoir de réelle politique de défense commune, mais que le Royaume-Uni avait des différences notables avec la France en matière de politique étrangère– au rang desquelles l’entrée de la Turquie dans l’UE – et qu’il préférerait poursuivre sa politique au sein des instances européennes existantes et de l’OTAN.

Qui plus est, alors que la proposition de Sarkozy d’une présence européenne militaire forte dans le monde devrait être approuvée, elle ne pourra être atteinte au détriment de la solidarité. Six Etats devraient-ils entreprendre une action militaire au nom des vingt-sept ? Devraient-ils encore le faire sous la bannière de l’UE ? Il est certainement prudent de bâtir un environnement dans lequel la PESC et la PDSC seraient marquées par le consensus au sein du Conseil, plutôt que menées par les caprices de quelques individus.

Six mois plus tard…

On espère donc une présidence française du Conseil européen pleine de frénésie, mais aussi que les propositions ambitieuses de Sarkozy échouent. Il aura trop à faire pour entreprendre l’énorme tâche de réorganiser la PESC et la PDSC en six mois, cela a pris presque seize ans pour aboutir à la PESC telle qu’on la connaît aujourd’hui. Néanmoins, si sa détermination permet de mettre en lumière l’importance que les ressources militaires et la recherche et développement doivent prendre, elle marquera l’impulsion dont l’UE a besoin.

Les Etats membres de l’UE devraient prendre au sérieux les propositions de Sarkozy, notamment s’ils veulent devenir une force politique et militaire de poids pour défendre le bien dans le monde. C’est dans ce sens que l’on partage les frustrations du président français, mais reste à prouver que la meilleure réponse à de telles insatisfactions réside dans la formation d’un groupe militaire d’élite.

Illustration : visuel pris du site du Royal United Services Institute for Defence and Security Studies (RUSI).

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Vos commentaires
  • Le 24 mars 2008 à 10:42, par Ronan En réponse à : En garde ! Défense européenne : la révolution sarkozyste

    Finalement j’ai le sentiment qu’il n’y a pas grand chose d’original de la part de notre président de la république sur ce sujet de la défense européenne : tout juste relancer le projet de « force de réaction rapide » aujourd’hui visiblement assoupi, et relancer l’idée d’un « pilier européen de l’alliance atlantique » (dont serait la France). Soit rien de franchement bien neuf.

    Alors qu’il y aurait pourtant tant à faire. Ne serait-ce qu’en renforçant la cohésion de l’Eurocorps par une véritable politique de standardisation des matériels et équipements. NB : Rappelons qu’à ce jour, d’un soldat à l’autre (de nationalités différentes), même les armes blanches individuelles utilisées sont différentes...

    A l’heure où la France cherche à moderniser sa force de frappe (et à « réactualiser » sa doctrine de dissuasion nucléaire...) un geste fort et véritablement révolutionnaire était pourtant possible : mutualiser notre force de frappe nucléaire et la mettre vraiment au service de l’UE.

    Ne serait-ce qu’en « invitant » systématiquement un officier de liaison « européen » (en relation directe avec un Etat-major militaire et politique - européen - créé « ad hoc ») dans nos sous-marins lanceurs d’engins nucléaires. (Et leur confier l’une des clefs du tir ?!).

    PS : Quid de la coopération navale européenne ?! Quid de l’Euromarfor ?! Quid de son calendrier « communautaire » de présence et rotation en mer de nos grandes unités navales ?! Quid de la présence navale « communautaire » en méditerranée, proche et moyen orients, mer rouge et océan indien ?! Quid de la vocation « européenne » de la base navale française de Doha, Qatar ?! Quid du « second » porte-avion nucléaire français ?! Quid des projets de construction navale franco-britannique ?! (etc)

  • Le 24 mars 2008 à 21:14, par dhalber DD En réponse à : En garde ! Défense européenne : la révolution sarkozyste

    Le constat de départ est simple et clair. C’est même la seule chose qui soit claire en Europe : aucun pays membre de l’union à 27, n’a plus du fait de sa faible taille et de sa faible masse à l’échelle mondiale, la capacité ( moyens matériel et financiers) de se créer seul et d’entretenir seul une force armée suffisante pour peser réellement sur le cours des choses.

    La conséquence de cette évolution à la baisse est que l’autonomie des politiques « nationales » est devenue une chimère, mais l’on continue de vouloir faire « comme si... » Cet auto-aveuglement est très préjudiciable.

    Deuxième chimère : que les pays les plus importants continuent leur politique « nationale » en cherchant les forces d’appoint qui font défaut dans l’Union. Selon ce point de vue traditionnel sous-jaçant dans l’article, ce sont les états membres qui confisquent la politique de l’UE. La politique de l’UE doit être déterminée et conduite non par les Etats exangues au nom de l’UE, mais par l’UE elle-même, pour son propre compte. Il est vrai que faute de consensus suffisant, cette « politique commune » n’ira pas très loin. Et alors ? Il vaut mieux une petite politique commune avec de petits moyens que pas du tout de politique commune.

    Enfin, dernier « tabou » à méditer : l’efficacité et l’utilité de la « dissuasion nucléaire française ». Il est clair qu’elle nous coûte la peau des fesses pour une rentabilité nulle ( heureusement d’ailleurs en un sens vu, la nature infernale de ces armes dévastatrices...). D’autant plus inefficace qu’elle ne protège aucunement contre les menaces terroristes ! Encore le problème des lignes « maginot »...que l’ennemi peut contourner.

    Aussi, ne vaudrait il pas mieux mutualiser cet arsenal dispendieux voué à ne pas servir en le transférant intégralement à l’union européenne, qui en aurait la charge exclusive ? Ce transfert se ferait contre compensations financières à négocier ( cher bien sûr...). Nous bénéficierions de toutes façons, comme chacun des états-membres de l’Union, de son effet de couverture ( « dissuasion ») contre une éventuelle attaque nucléaire, mais les frais d’entretien annuels de cette force spéciale seraient dilués dans l’Union et nous pourrions en contrepartie consacrer d’avantage de ressources financières aux forces armées nationales classiques qui, elles, sont parfois utiles au moins.

    On peut même avancer que, à capacité militaire égale, la dissuasion nucléaire « européenne » aurait plus d’effet que laissée à l’initiative de notre seul petit pays, dont le champ d’action est trop étroit pour peser réellement dans la décision de l’agresseur supposé. En revanche, l’effet de « bouée » financière résultant de ce transfert négocié ne serait pas seulement « marginal »pour notre budget militaire qui retrouverait ainsi une certaine capacité d’autonomie sur le plan classique.

    Mais le bon sens n’est sans doute pas français et surtout pas ...gouvernemental. Les « responsables »(?) nationaux préfèrent de loin la politique de l’autruche...qui consiste à nier la réalité déplaisante pour s’accrocher fébrilement et jusqu’au bout aux apparences. Conserver jalousement chez eux les oripeaux, même devenus inutiles et vains, de la puissance en masquant à leur peuple pressuré le fait que cette puissance/symbole n’est plus qu’un rêve...qu’elle a changé de nature et de dimensions.

    Comme il est dur d’admettre une réalité mouvante qui échappe aux dogmes ! Que les mentalités conservatrices peinent à quitter le « pays des nuages », ultimes refuges des rêves séculaires. Péter plus haut que son cul ! n’est pas réservé aux individus...ça fait aussi tellement de bien au moral des nations !

    Et puis, on ne consulte jamais le citoyen/contribuable pour faire des choix raisonnables. On décide à sa place. Lui paie seulement la note...et la casse...Et après on ne comprend pas l’irruption des émeutes et des révolutions.

  • Le 26 mars 2008 à 16:26, par Vincent Guerre En réponse à : En garde ! Défense européenne : la révolution sarkozyste

    Le discours prononcé par Sarkozy vendredi dernier lors de l’inauguration d’un nouveau sous-marin nucléaire me conduit à penser que les propositions du président en matière de défense européenne seront très loin de la création d’une CED bis.

    Sarkozy a en effet invité les Etats membres de l’UE à participer à un « dialogue » sur le rôle de la dissuasion nucléaire française dans la protection de l’Europe. Selon lui, la force de frappe française est par son existence même un « élément clé » de la sécurité du continent ; il est donc nécessaire d’en « tirer les conséquences logiques » en incluant l’ensemble de l’UE dans les intérêts vitaux de la France. Mais cela est déjà le cas, et depuis longtemps !

    Sarkozy n’est pas favorable à une défense européenne intégrée et supranationale. Son discours de vendredi est faussement généreux pour les autres Etats membres car il ne consiste en fait qu’à mettre en avant une doctrine de dissuasion issue de la guerre froide. Dans l’optique néo-gaulliste du président, la France doit conserver sa souveraineté en matière de défense tout en faisant bénéficier ses alliés de son bouclier.

    Cela est une parade très dangereuse des tenants de l’intergouvernementalité face à la popularité montante d’une défense européenne : on propose une alliance classique pour mieux empêcher un traitement supranational de la question. On peut observer la même chose en matière d’immigration : Brice Hortefeux fait actuellement le tour des captiales européennes pour négocier un accord européen intergouvernemental de renforcement des contrôles aux frontières. Il prétend jouer la carte européenne alors qu’il s’efforce au contraire d’éviter à tout prix une intervention de la Commission dans un domaine jugé régalien.

  • Le 26 mars 2008 à 19:56, par Ronan En réponse à : En garde ! Défense européenne : la révolution sarkozyste

    En plus, la « force de frappe » nucléaire française était initialement - i. e : lors de sa mise en place, dans les années 1952-1957 (et avant même la « captation » et la « nationalisation » du projet par De Gaulle...) - un projet très clairement atlantiste et européen : un projet de bombe franco-allemande, à vocation européenne, dans le cadre de l’alliance atlantique...

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