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Espagne : vers une « Constelación » territoriale ?

L’Espagne, une fédération qui ne dit pas son nom ?

, par Julien Dijol

Espagne : vers une « Constelación » territoriale ?

L’Espagne est entrée dans une période cruciale de son histoire institutionnelle. Le président du Gouvernement, José Luis Rodriguez Zapatero avait annoncé dès son entrée en fonction vouloir renouveler la démocratie territoriale en Espagne, après les années de statu quo sous le gouvernement Aznar.

Les réactions parfois violentes à l’occasion de la discussion sur la proposition de nouveau statut d’autonomie de la Catalogne révèlent la difficulté pour les partis politiques et notamment le Parti socialiste de trouver une voie où la régionalisation soit conciliable avec l’intégrité de l’État. Alors, réforme ou révolution territoriale ?

Une fédération qui ne dit pas son nom ?

L’Espagne propose un modèle constitutionnel intéressant puisqu’elle reste officiellement un Etat unitaire qui reconnaît pourtant le droit à l’autonomie pour certaines de ses entités territoriales.

C’est en effet un État qui comprend trois niveaux de collectivités locales : les communes (8106), les provinces (50) et les Communautés autonomes (17) plus deux villes autonomes, Ceuta et Melilla sur le continent africain, en face de Gibraltar.

La Constitution de 1978, dans son article 2, si elle affirme que la nation espagnole est la patrie commune et indivisible de tous les espagnols, reconnaît et garantit le droit à l’autonomie des nationalités et régions qui y sont intégrées.

La Constitution reconnaît donc le droit pour chaque Communauté d’édicter des statuts d’autonomie propres, une sorte de constitution interne élaborée par une assemblée d’élus locaux (députés et sénateurs), mais adoptée par les Cortes Generales (le Parlement espagnol qui est constitué de deux chambres, la Chambre des Députés et le Sénat).

Les Communautés autonomes assument des compétences exclusives dans de nombreux domaines : les institutions gouvernementales locales (parlement, gouvernement, administration, écoles), l’aménagement du territoire et la protection de l’environnement, les chemins de fer et les routes (qui ne traversent qu’un seul territoire d’une Communauté autonome), l’agriculture et l’exploitation forestière, la chasse et la pêche, le développement économique, la culture, l’enseignement et l’emploi des langues, la santé et l’assistance sociale, le tourisme et le loisir, la police.

Les Communautés autonomes disposent ainsi de larges pouvoirs qui leur permettent de se gouverner localement, mais les municipalités ne sont pas assujetties aux gouvernements communautaires ; elles demeurent complètement autonomes dans leurs champs de compétence.

Quant à l’État espagnol, il s’est réservé des compétences exclusives, notamment le Code civil, l’immigration, la justice, les relations internationales, la monnaie, les aéroports et ports d’intérêt général, les Forces armées, les poids et mesures, les douanes, etc.

L’Espagne, si elle n’est pas constituée officiellement en fédération, en a tous les traits constitutifs, car elle fonctionne avec ses Communautés autonomes comme le Canada avec ses provinces par exemple. On pourrait parler à cet égard d’Etat plurinational.

Il faut noter enfin qu’à l’instar d’autres pays unitaires comme la France, l’Espagne voit son architecture territoriale évoluer sous l’influence de l’intégration européenne et des nouveaux débats ouverts par elle (par exemple l’intercommunalité). Ainsi l’Espagne a signé en 1985 la Charte européenne de l’autonomie locale et l’a ratifiée en 1988.

L’épineux problème de l’ « Estatut » catalan

En 1979, le Roi Juan Carlos I a promulgué le Statut d’autonomie de la Catalogne ("Estatut" en catalan) et de ses institutions (qui forment la « Generalitat ») par la loi organique 4/1979. Pour la Catalogne, il s’agissait d’une revanche historique puisque le franquisme avait été également synonyme de centralisme autoritaire.

Le 30 septembre 2005, le Parlement de Catalogne a approuvé la proposition de réforme de ce Statut pour permettre, selon ses promoteurs, de renforcer les droits historiques de la Catalogne, s’adapter aux réalités économiques, politiques et sociales du monde moderne et favoriser la démocratie participative.

Ce texte, avant d’être présenté aux Cortes pour approbation en tant que loi organique, doit être débattu par toutes les parties concernées (gouvernement espagnol et partis politiques nationaux et catalans).

Or de nombreuses critiques ont déjà été adressées à cette proposition, pourtant soutenue par le Président socialiste du gouvernement catalan, M. Pasqual Maragall.

Les points controversés sont les suivants :

 La référence à la Catalogne comme « nation » à l’article 1 du Titre 1 du projet de nouveau Statut. Jusqu’à présent, le Statut d’autonomie, conformément à la Constitution espagnole, parlait de la Catalogne comme « nationalité ».

Or ce changement de vocable peut être très lourd de sens. En effet dans la Constitution espagnole, c’est l’Espagne qui est la nation, la patrie commune de tous les espagnols.

Reconnaître à la Catalogne le caractère de nation, c’est, selon les opposants au Statut, aller plus loin que la reconnaissance du caractère historiquement spécifique de la Catalogne et du peuple catalan - caractère aujourd’hui reconnu par l’Etat au même titre que pour le Pays Basque et la Galice-, c’est donner la possibilité, ouverte à toute nation, de l’autodétermination et donc de l’indépendance.

 Cette référence à la nation catalane est renforcée par l’article 5 concernant les droits historiques du peuple catalan. Il est en effet indiqué que le présent Statut ne signifie pas la renonciation du peuple catalan à ses droits en vertu de son histoire.

Cette référence rappelle celle faite, dans la proposition de nouveau statut d’autonomie du Pays-Basque (adoptée par le Parlement basque mais rejetée par le Congrès des Députés), à la singularité culturelle, sociale et historique du peuple basque.

 Au delà de ces questions sur la nature de la Communauté autonome catalane, des critiques ont été lancées également sur les articles concernant les compétences de la Generalitat : le texte actuel prévoit des compétences larges en matière d’immigration (ce qui relevait de l’Etat jusqu’à présent), d’éducation, de régime linguistique ou de services financiers (notamment les caisses d’épargne).

De plus la Catalogne souhaite une participation aux institutions et organismes européens (article 187 du Statut).

Le texte n’a pas été accepté par PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol), ni par le gouvernement, alors que le Parti socialiste catalan (PSC) le soutenait.

Le PSOE a donc fait une contre-proposition de texte aux partis et gouvernement catalans. Ce texte maintient un certain nombre de propositions faites par les Catalans : participation de la Catalogne aux délégations espagnoles lorsque les compétences de celles-ci sont en jeu, reconnaissance de la compétence exclusive de la Catalogne sur la régulation des caisses d’épargne domiciliées en Catalogne ; compétence exclusive de la Catalogne en matière de politique agricole.

En revanche deux points restent en suspens car inacceptables en l’état actuel : le référence à la nation catalane et les dispositions sur le financement de la Communauté autonome (qui reposaient notamment sur l’utilisation par la Catalogne de ressources normalement destinées à l’Etat).

Un accord devrait bientôt être conclu par les parties présentes. Pour PSOE et le gouvernement de M. Jose Luis Rodriguez Zapatero, qui furent très critiqués pour leur ambiguïté dans ce dossier, il s’agit de trouver rapidement une issue afin de dépasser l’éternel débat entre jacobinisme et fédéralisme au sein des socialistes.

Le gouvernement souhaite aussi montrer qu’il ne navigue pas à vue mais qu’il souhaite un statut catalan renouvelé et conforme à la Constitution, afin de favoriser un renouveau démocratique et de s’inscrire dans l’évolution de la gouvernance européenne.

De nouvelles relations entre l’Etat et les régions : une tendance générale en Europe ?

Le débat sur le Statut d’autonomie de la Catalogne est à replacer dans le cadre du projet territorial du Gouvernement socialiste.

Celui-ci, après avoir mis en place en novembre 2004 une Conférence des Présidents des Communautés autonomes (sur le modèle de ce qui se passe avec les Länder allemands), vient de rendre public une proposition de loi sur la coopération entre l’Etat et les Communautés.

Celle-ci, selon les mots du Gouvernement, « n’entend pas rouvrir les débats sur les compétences des Communautés autonomes et de l’Etat mais améliorer la gestion de celles-ci » au regard de l’énorme processus de décentralisation et de régionalisation que connaissent l’Espagne et l’Europe.

Les points importants de la loi sont la réforme du Sénat, qui deviendrait une véritable chambre des Communautés, la plus grande implication des Communautés autonomes dans les affaires de l’Etat, la fixation de droits, d’obligations et la définition des responsabilités de chaque entité afin notamment de mieux coordonner les politiques.

La politique territoriale menée actuellement en Espagne pourrait influencer d’autres Etats membres de l’UE, notamment la France, parce qu’elle entend éviter le délitement de l’Etat-Nation en se montrant volontariste sur la régionalisation.

Alors que le slogan de l’ « Europe des Régions » connaît ces derniers temps un moindre succès, l’Espagne semble vouloir expérimenter un mode de coopération entre les différents échelons de gouvernement qui soit démocratique et efficace.

 Illustration : Joan MIRO, L’étoile du matin (série des "Constellations"), 1940. Fondation Miro, Barcelone.

 Cet article est publié avec l’aimable autorisation de son auteur et du site les « Euros du village ». Il est soumis au copyright et à la licence d’utilisation définis par ce dernier.

Vos commentaires
  • Le 29 janvier 2006 à 10:14, par Ronan Blaise En réponse à : La Catalogne vers une autonomie élargie (Et l’Espagne vers le fédéralisme ?).

    Epilogue dans le débat sur cette fameuse ’’question catalane’’ qui aura tenu en haleine une partie des Espagnes pendant ces dernières semaines : ce samedi 21 janvier 2006, il semblerait donc que le gouvernement ’’central’’ espagnol (PSOE, dirigé par José Luis Zapatero) et le gouvernement autonome de Catalogne (Convergencia y Union / CiU) dirigé par Artur Mas soient enfin parvenus à un accord global sur la réforme du statut d’autonomie.

    Accepté par les parties en présence, cet ’’Estatut’’ sera encore -jusqu’en avril prochain- amendé et ’’affiné’’ par une Commission constitutionnelle spéciale. Avant d’être présenté -pour approbation définitive- aux Cortes (Parlement espagnol) puis au Parlement autonome de Catalogne. Enfin, juste souligner que ce nouveau statut d’autonomie élargie sera par la suite soumis à référendum en Catalogne.

    Sur le plan symbolique de la reconnaissance mutuelle entre Espagne et Catalogne autonome, ce document reconnaît donc (dans son Préambule) l’existence de la « nation catalane » tout en réitérant le principe de « l’indissoluble unité de la nation espagnole » (Article 1).

    Cela fixe donc un plafond à l’adresse des indépandantistes catalans d’Esquerra (ERC) ainsi qu’à l’adresse des nationalistes basques modérés du PNV (dont le fameux plan ’’Ibarretxe’’, rejeté l’an dernier par les Cortes, visait à faire du Pays basque un « Etat indépendant associé à l’Espagne »).

    En pratique, la Catalogne gérera donc désormais la moitié de la TVA percue en Catalogne et la moitié de l’impôt sur le revenu (35%, actuellement) grâce à une agence fiscale propre qui doit être créée d’ici à deux ans. Soit, pour le gouvernement autonome de Catalogne (la « Generalitat ») l’équivalent de 4 milliards d’euros supplémentaires injectés dans ses caisses.

    Tout en respectant l’unité des Espagnes et tout en s’inscrivant dans une discipline intégrationiste peu ou prou fédérale, l’Estatut consacre ainsi un nouveau modèle de gouvernance décentralisée à travers un nouveau type de financement (la gestion de la moitié des impôts) qui sera désormais applicable, à terme (mais sur demande), aux 14 autres communautés autonomes espagnoles (la Navarre et le Pays basque bénéficiant déjà d’amples privilèges fiscaux).

    Un accord, qualifié d’historique par les parties en présence, qui conduit l’Espagne vers un modèle de gouvernance fédéral et vers une reconnaissance supérieure de sa diversité plurinationale.

    Ainsi, cet accord (si ratification définitive...) met fin à quatre mois d’intenses négociations et à quatre mois d’une intense polémique dans l’opinion publique espagnole.

    Une violente polémique où on aura vu toutes les forces conservatrices de la Société espagnole (la Direction du Parti conservateur PP, ainsi que certaines voix dans l’Episcopat, et mêmes certaines voix dans l’Armée...) (Cf. ’’Affaire’’ Mena Aguado de début janvier 2006) se liguer contre les aspirations autonomiques catalanes, sur le thème national-populiste outrancier de la ’’balkanisation’’ et du ’’démembrement de l’Espagne’’.

    Saluons donc, dans la négociation de cet accord, la confirmation d’une réalité politique réconfortante : hormis ces propos réactionnaires et archaïques d’un autre âge (fort heureusement minoritaires...), l’Espagne démocratique et pluraliste d’aujourd’hui n’a décidément plus rien à voir avec l’Espagne centralisée et nationaliste de l’époque franquiste.

    En effet, lors de ce débat, malgré la violente controverse que l’on sait, l’Espagne moderne a donc apparemment su trouver -pacifiquement et démocratiquement- la voie vers un plus grand respect de ses composantes historiques et de ses citoyens dans leur plus grande diversité.

    Car si l’Espagne devait demain -unie dans la diversité- devenir un Etat fédéral (n’en déplaise aux archéo-nationalistes de la Droite et de l’extrême Droite espagnole), ce sera surtout pour permettre à tous les Espagnols de mieux vivre ensemble, dans le respect de chacun.

  • Le 19 mars 2006 à 22:22, par ? En réponse à : La Catalogne vers une autonomie élargie (Et l’Espagne vers le fédéralisme ?).

    Bravo !

    C’est encourageant de voir que certains pays n’ont pas peur des reformes, surtout quand elles vont dans un sens pacifiste et egalitaire et de meilleure

  • Le 25 septembre 2006 à 09:08, par marc sabatés En réponse à : Espagne : vers une « Constelación » territoriale ?

    catalunya som una nacio, visca catalunya lliure //// marc-sabates.com barcelona estat català ////

  • Le 25 septembre 2006 à 09:12, par marc sabatés En réponse à : La Catalogne vers une autonomie élargie (Et l’Espagne vers le fédéralisme ?).

    visca catalunya lliure , catalonia is not spain, si per les seleccions catalanes al mon ! marc-sabates.com barcelona nacio catalana ////catalunya no és espanya .

  • Le 12 octobre 2006 à 11:31, par marc sabatés i laporta En réponse à : Espagne : vers une « Constelación » territoriale ?

    merci à vous de me laisser m ’ exprimer ! je voterai pour le candidat qui fera obtenir le titre de nation à notre pays la catalogne. artur mas , àmène un souffle nouveau ! marc-sabates.com barcelona nacio catalana ////.

  • Le 28 juillet 2007 à 21:49, par ? En réponse à : La Catalogne vers une autonomie élargie (Et l’Espagne vers le fédéralisme ?).

    la catalogne fait partie de l’histoire commune de l’Espagne. Et l’Espagne fait parti de l’histoire de la catalogne. Les 2 histoires sont indissociables. Arrêtons de cracher sur l’Espagne. Vive l’Espagne et la Catalogne !!!

  • Le 2 décembre 2010 à 13:51, par justice En réponse à : Espagne : vers une « Constelación » territoriale ?

    C’est fou, ce mec Marc Sabates, il pollue tous les forums possibles et imaginables. C’est bien la démocratie elle laisse s’exprimer. Ce qui serait bien c’est que tu prennes conscience que la tu t’exprimes pas, tu assènes des slogans politiques et à vrai dire on s’en moque de qui tu défends.

    Débat d’idées, pas d’idéologies.

    Merci.

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