Energie

Et si la solution venait de la politique énergétique ?

Comment relancer la construction politique de l’Union européenne ?

, par Fabien Cazenave, Pauline Gessant

Et si la solution venait de la politique énergétique ?

Il n’existe pas à proprement parler aujourd’hui de politique commune de l’énergie à l’échelle européenne. Cette lacune semble paradoxale puisque le secteur énergétique a joué un rôle fondateur dans les premiers pas de la construction européenne avec l’établissement de deux traités concernant l’énergie : le Traité de la Communauté Economique du Charbon et de l’Acier (CECA) en 1952 et l’Euratom, la Communauté Européenne de l’Energie Atomique (CEEA) en 1957.

Une Europe bien faible au niveau énergétique

Les enjeux actuels énergétiques sont aujourd’hui encore d’une grande importance. L’Europe souffre d’une dépendance croissante en matière énergétique. Les importations énergétiques européennes pourraient passer de 50 % aujourd’hui à 70 % dans 20 ou 30 ans. Les réserves d’énergie sont concentrées dans quelques pays en dehors de l’Union européenne : Russie, Norvège et Algérie par exemple pour le gaz. Dans le même temps, la demande mondiale d’énergie augmente fortement avec la montée en puissance des économies chinoises et indiennes.

Au-delà de l’aspect strictement technique, la question énergétique est une question hautement politique car elle concerne à la fois la question de l’influence géopolitique de l’Europe, celle de son indépendance énergétique et les questions écologiques.

Ainsi la Russie compte notamment utiliser ses ressources énergétiques pour retrouver sa place sur la scène mondiale. Sergueï Ivanov, Ministre des Affaires Etrangères de la Russie et pressenti pour être candidat pour succéder à Vladimir Poutine en 2008 comme prochain président de la fédération de Russie, a récemment déclaré qu’en politique extérieure, le pétrole et le gaz comptaient autant que les armes nucléaires pour la défense des intérêts nationaux.

Face à cette situation, la Commission européenne a d’ailleurs précisé son intention de placer la question énergétique au centre de tous les sommets que l’Union Européenne tiendra avec des pays tiers au cours de 2007.

Mais nous ne sommes pas dans une position favorable pour pouvoir négocier avec la Russie, notre principale partenaire dans ce domaine, compte tenu de notre dépendance énergétique. De plus, les négociations ne se font toujours pas à un échelon européen mais bien à un niveau national sans recherche du bien commun. On peut citer par exemple, les négociations qui ont eu lieu à la fin du gouvernement Schröder sur la construction d’un gazoduc russe et qui ont créé de vives tensions avec la Pologne et les pays baltes qui n’avaient pas été associés aux discussions. La pression que Vladimir Poutine a exercée sur l’Europe au moment de la renégociation des prix de la livraison du gaz avec l’Ukraine a également mis en exergue la faiblesse des nations européennes à ce niveau.

Un embryon de politique énergétique ?

Les objectifs fixés par le dernier Conseil Européen du 9 mars 2007 sont en accord avec les propositions faites par la Commission en janvier 2007 : une politique énergétique ciblée et contraignante devrait permettre d’atteindre l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 20% d’ici 2020 par rapport à 1990.

Le compromis adopté mentionne explicitement la contribution de l’énergie nucléaire à la réduction des gaz à effet de serre, une demande pressante de la France, soutenue par la Finlande, la Roumanie, la Bulgarie, la Slovénie, la Slovaquie ou la République tchèque. Au sein des énergies renouvelables, les 27 ont en outre décidé de s’imposer un sous-objectif obligatoire consistant à porter la part des biocarburants dans leur consommation totale de carburants à 10% d’ici 2020.

Cependant, chaque pays membre va désormais devoir se fixer des objectifs nationaux, ce qui montre bien à quel point l’Europe intergouvernementale ne donne pas les moyens à l’Union européenne de peser dans le concert mondial. Comment faire dès lors pour que l’Europe à 27 ne soit pas qu’une simple zone commerciale ? Comment mettre en place une politique environnementale si au niveau énergétique nous ne nous organisons pas ?

Après les référendums français et néerlandais, les gouvernements nationaux cherchent une solution pour relancer la construction européenne : les uns parlent d’Europe des projets, les autres de la nécessité d’un projet pour l’Europe. Il semble possible de rassembler ces deux visions, en proposant une politique énergétique européenne dans un secteur sensible pour l’opinion publique et où il semble urgent d’apporter une réponse européenne. Il serait ainsi bon de se rappeler de l’Histoire et de favoriser une approche communautaire. Car sinon, nous risquons fort de voir nos différents pays tenter avant tout de tirer à eux la couverture énergétique.

Pour une relance du projet communautaire : refaire le coup de Messine

Après l’échec du 30 août 1954 du projet de la Communauté Européenne de Défense (CED), les six Etats membres de la CECA relancèrent la construction européenne en adoptant à Messine, le 3 juin 1955, une résolution favorable à la poursuite de l’établissement de l’Europe unie. La déclaration de Messine établissait notamment parmi les objectifs fixés que la mise à disposition des économies européennes d’énergie plus abondante à meilleur marché constituait un élément fondamental de progrès économique.

La question énergétique est donc aujourd’hui comme hier beaucoup plus qu’une question de politique sectorielle. Elle revêt un caractère politique essentiel comme la CECA le fut en son temps. La politique énergétique pourrait ainsi permettre de relancer la construction européenne suite aux référendums négatifs en France et aux Pays-Bas. L’aventure européenne est née du traité établissant la CECA, mettant en place une politique industrielle du charbon et des industries de l’acier et fut relancée notamment par Euratom après l’échec de la CED. Il n’est donc pas complètement utopique de penser que la relance de la construction européenne aujourd’hui pourrait passer entre autre par la mise en place d’une politique commune énergétique.

Dépasser les intérêts nationaux pour y gagner collectivement

Nous retournerions ainsi aux origines de la méthode communautaire et à la supra-nationalité qui fait de l’intérêt général un intérêt supérieur aux intérêts nationaux. C’est ce qui avait fait la force de la CEE à ses débuts. Dès que cette manière de faire a été pervertie par la prédominance des négociations intergouvernementales, nous avons eu les premiers trous dans la mécanique européenne.

Par exemple, lors de l’interruption d’électricité que nous avons connu en France le 4 novembre 2006, il a été tentant de dire qu’il fallait soit tout organiser par les Etats soit laisser faire le marché. Mais ne faudrait-il pas plutôt instituer une agence supranationale chargée de s’occuper notamment de la maintenance des structures d’acheminement de l’électricité ? Les Etats pourront ainsi d’autant plus choisir une des options énergétiques disponibles pour leur propre marché s’ils sont assurés de la qualité du service offert à la source.

A ce sujet, il est intéressant de mentionner la résolution de l’UEF adoptée lors de son XXIème Congrès à Vienne à l’été 2006 et intitulée « Quelle politique industrielle et énergétique pour l’Europe ? ». Dans cette résolution, l’UEF souligne que l’Union Européenne doit être dotée d’une politique énergétique commune, au travers de la transformation de l’EURATOM en une autorité européenne de l’énergie avec des compétences étendues au pétrole, au gaz naturel et à la promotion des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique.

L’agence pourrait assurer son propre financement par la levée de taxes propres et l’émission d’emprunts, tout comme la CECA d’autrefois. Elle serait chargée de réaliser des investissements dans le réseau européen de transport de l’énergie, de promouvoir les paiements de l’énergie en euros, de doubler avant 2010 la production d’électricité à partir des ressources énergétiques renouvelables, de négocier avec les pays tiers fournisseurs (Russie, pays de la CEI, …).

C’est l’intérêt général européen qui donne tellement de valeur ajouté à l’intérêt de chacun des états-membres. Et la politique énergétique européenne peut être, suivant cette logique, un des grands enjeux européens permettant de relancer l’Europe et sa méthode communautaire.

Mais y a-t-il assez de leaders européens qui en soient convaincus aujourd’hui ?

Illustration : photographie prise sur le site de la Commission européenne.

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