Europe-Chine : Quelles relations avec l’Afrique ?

, par Guillaume Chomette

Europe-Chine : Quelles relations avec l'Afrique ?
Le professeur Roger Tsafack Nanfosso

L’Europe et l’Afrique partagent une histoire mouvementée depuis des siècles. Mais qu’en est il aujourd’hui à l’heure de l’Union européenne et des ensembles régionaux régionaux africains comme l’Union africaine ou la CDEAO ? Le Taurillon a interrogé, Roger Tsafack Nanfosso, professeur à l’université de Yaoundé II au Cameroun.

Le Taurillon : On parle souvent d’une « dette historique » de l’Europe du fait de la colonisation pour justifier l’interventionnisme européen en Afrique, pensez-vous que de nos jours ce prétexte est toujours invocable ? Devons nous passer à un nouveau type de relation ?

Roger Tsafack Nanfosso : Non, je ne pense pas que ce prétexte soit toujours à l’ordre du jour. Il a suffisamment illusionné les deux parties et a surtout fait beaucoup de tort aux africains en leur faisant penser qu’ils pouvaient se soustraire à un effort endogène et pharaonique de développement. Aujourd’hui, il me semble que le nouveau type de relations à entretenir devrait être emprunt de respect mutuel, même si l’Afrique ne peut faire l’économie de la coopération européenne. Elle est utile et nous en avons mutuellement besoin.

Le Taurillon : Depuis les accords de Yaoundé en 1963, la présence européenne se constate surtout par une coopération économique avec le continent africain. Le renouvellement de ces accords incluant toute l’UE à Cotonou en 2000 a-t-il été un succès ?

Roger Tsafack Nanfosso :De façon générale, on peut dire que les multiples renouvellements (car après Yaoundé en 1963 et 1969, il y a eu Lomé en 1975, 1980, 1985, 1990 et 2000 avant les accords de Cotonou le 23 juin 2000) ont à chaque fois permis de prendre en compte les facteurs des insuccès précédents et/ou de nouveaux pays candidats à cette relation singulière ; car il faut bien le dire, aucune autre relation dans la coopération internationale ne ressemble à celle-là, par son envergure, l’assiette des biens et services concernés, le nombre de pays et régions couvertes, etc. C’est le seul accord de cette nature qu’a jamais signé l’UE !

Mais à ce jour, l’Accord de Cotonou n’est pas un succès, si l’on en juge par le fait qu’aucune des régions ne l’a signé (sauf peut-être les Caraïbes) et que les accords sont aujourd’hui davantage UE-pays plutôt que UE-région, à cause de l’ultimatum fixé à l’origine en 2008 mais qui s’étire indéfiniment... Les régions ne le signent pas parce que la plupart des études convergent vers des conséquences désastreuses pour les économies concernées, en particulier en terme de disparition de l’embryonnaire tissu industriel qui ne résisterait pas à la concurrence de l’ouverture tous azimuts des frontières aux produits européens, et donc l’accroissement de la pauvreté.

Le Taurillon : Peut-on parler d’ « Europafrique » depuis que le traité de Lisbonne en 2007 a institué un partenariat continent à continent entre nos deux ensembles de peuples ? Quelle est la transparence de cette coopération rapprochée ?

Roger Tsafack Nanfosso : Si l’on peut aisément parler de "Françafrique" pour signifier les relations entre la France et l’Afrique comme étant un faisceaux de connivences à tous les points caractérisant les heurs et malheurs de cette relation sur les plans économique, social, politique et surtout secret (souvent au détriment des peuples et en faveur des gouvernants), il ne me semble pas aisé d’en faire la transposition à l’ensemble de l’UE, pour parler d’une "Europafrique", en dépit de Lisbonne. Certes, des jalons et balises d’une relation fructueuse et bénéfique entre les deux espaces ont été mieux élaborés, mais le niveau d’implication et d’imbrication plus ou moins malsaine ne sera jamais identique. Cependant, j’estime que les prémisses sont de bon aloi, en particulier aux niveaux économique et militaire où l’on voit que l’Europe s’engage généralement unie aux côtés de l’Afrique, et que les institutions régionales sont de plus en mises en avant en lieu et place des Etats.

Le Taurillon : La France garde des liens historiquement forts avec les pays de la CEDEAO, elle est la seule puissance européenne à disposer de bases militaires permanentes sur le contient africain (Tchad, Côte d’Ivoire...), pensez vous que cette coopération militaire exclusive est un frein à la coopération intercontinentale ?

Roger Tsafack Nanfosso : Oui c’est un frein. Cette exclusivité est malsaine et perpétue l’idée de la Françafrique, en ses aspects les plus sombres et désillusionnant pour les peuples d’Afrique ; en particulier parce que les régimes politiques des pays d’accueil comptent souvent sur leur présence pour s’éterniser au pouvoir, et les oppositions pour faciliter leur prise de pouvoir. Il s’agit moins de supprimer ces bases (leur présence n’a pas que des inconvénients) que d’en faire des bases vraiment européennes, et bien entendu de les étendre aussi à l’espace non francophone du continent.

Le Taurillon : Depuis 1995 on observe une croissance de plus de 600% des échanges sino-africains. L’empire du milieu a-t-il déjà ou est-il en passe de supplanter le vieux continent en Afrique ?

Roger Tsafack Nanfosso : La Chine est en train de supplanter l’Europe, à moins que de vigoureuses mesures correctives ne soient prises. Cela est lié à la différence entre les deux types de coopérations. Contrairement à la "Françafrique" ou à "l’Europafrique", la "Chinafrique" est en effet construite sur une base rationnelle, avec des principes bien établis consignés dans le "livre blanc de la coopération avec l’Afrique" publié il y a quelques années par les dirigeants chinois. Ces principes ont des relents d’équilibre et de respect qui ne sont pas pour déplaire aux Africains : le principe de réforme, le principe de l’intérêt mutuel (égalité et confiance mutuelle dans un esprit gagnant gagnant), le principe d’égalité (amitié sincère, traitement d’égal à égal, soutien mutuel, développement partagé), le principe de non ingérence (neutralité politique et absence d’exigence en matière de droits de l’homme ou de gouvernance). La coopération économique chinoise est aussi visible (infrastructures) et décomplexée (pas de tri des secteurs d’activité) ; ce qui emporte assez facilement le suffrage des peuples qui ne voient généralement pas les résultats de la coopération avec l’Europe. Les statistiques officielles de cette Chinafrique (exportations et importations) sont importantes sans être alarmantes, mais c’est plutôt leur dynamique qui est véritablement inquiétante pour l’Occident, en termes de prise de contrôle économique de l’Afrique par la Chine, avec une rapidité remarquable.

Le Taurillon : La Chine « colonise » l’Afrique avec une diaspora de plus de un million de ressortissants chinois sur le continent. Quelle cohabitation observe-t-on entre les communautés chinoises, européennes et les populations africaines ?

Roger Tsafack Nanfosso : Il y a encore quelques années, les Chinois vivaient en vase clos sur le continent. Puis petit à petit, ils se sont mis à se socialiser avec les locaux. Aujourd’hui, parce qu’ils ont adopté une coopération décomplexée, ils sont garagistes, vendeurs à la sauvette, cultivateurs, chauffeurs, coiffeurs, esthéticiens, musiciens, prostituées ; mais aussi industriels, hommes d’affaires prospères, etc. Nombre d’entre eux qui arrivent en Afrique pour un chantier de construction ne rentrent pas en Chine une fois l’ouvrage achevé. Ils créent une affaire et s’enracinent. De nos jours plusieurs chinois et chinoises ont des conjoints africains et des enfants métis aux yeux bridés... La cohabitation avec les européens est calme mais non dénuée de méfiance, car les seconds constatent bien que les premiers gagnent du terrain sur des territoires qui leur étaient historiquement acquis.

Le Taurillon : Dans quelle mesure les investissements chinois et européens participent-ils au développement du tissu industriel des pays africains ?

Roger Tsafack Nanfosso : Il me semble qu’une des grandes différences entre les deux types de coopérations réside aussi dans le transfert de technologie, qui pour le coup, est en faveur des européens. En effet, l’Afrique semble davantage tirer profit des Européens que des Chinois dans ce domaine, et sans doute est-ce une des conséquences positives de notre très (peu être trop) longue histoire commune, caractérisé par un mélange parfois détonnant d’amour fou et de haine féroce... La Chine me semble encore jalouse de ses savoirs en est tentée par la rétention d’information scientifique qu’elle considère souvent avec excès comme stratégique, mais la langue n’est sans doute pas neutre. Pour pallier à cette lacune, les chinois sont entrain de disséminer en Afrique des centres Confucius pour enseigner le Mandarin sur le continent, et cela marche !

Le Taurillon : Peut-on dire que les coopérations européennes et chinoises apprennent mutuellement l’une de l’autre ?

Roger Tsafack Nanfosso : Je pense avec certitude qu’il y a un apprentissage mutuel. La Chine commence à parler de corruption (lire le dernier discours du Président chinois sortant) comme l’Europe ; et l’Europe commence à parler de coopération visible (c’est tout le sens des contrats de désendettement-développement, les fameux C2D), comme la Chine. C’est un exemple parmi d’autres.

Le Taurillon : Vous enseignez actuellement à l’université Yaoundé II au Cameroun. Les pays voisins, le Tchad et la Centrafrique connaissent des déstabilisations internes du fait de l’incapacité des armées régulières à combattre les rebellions, ce qui freine leur développement économique. Un partenariat militaire à grande échelle de la part de la Chine ou de l’Europe pour former les armées régulières de certains pays africains pourrait-il s’intégrer dans une coopération élargie ?

Roger Tsafack Nanfosso : Bien sur, la formation des armées est nécessaire et toutes les bonnes volontés sont les bienvenues dans cette œuvre. Mais il me semble que la vraie question qui se pose est celle du rôle d’une armée aussi importante dans certains de nos pays tant qu’elle ne se préoccupe pas de développement. Je crois d’ailleurs que le concept « d’armée de développement » est appliqué dans plusieurs pays dans le monde, les aspects purement militaires et stratégiques étant laissés à des forces particulières. Consacrer plus de 4% de son PIB aux dépenses militaires (Angola ou Tchad), ou entre 3 et 4% de son PIB (Algérie, Djibouti, Swaziland, Mauritanie, Namibie) alors qu’on a tant de besoins économiques élémentaires me semble pour le moins discutable. Ce sont des choix qui pourraient être soumis à référendum et je ne suis pas certain que la victoire sera en faveur des gouvernants.

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