La soirée de l’eurovision m’a renforcé dans la conviction que l’Eurovision est pris bien plus au sérieux ailleurs en Europe qu’en France, où tout de même près de 5 millions de téléspectateurs ont regardé la compétition, une meilleure audience que la finale de la Coupe de France de football.
Un ami allemand rêvait d’une deuxième victoire consécutive de sa compatriote Lena Meyer-Landrut, première artiste à défendre son titre, tandis qu’une autre amie suédoise semblait confiante dans la victoire de Eric Saade. Chacun se prête au jeu des pronostics, mais c’est finalement la victoire surprise de l’Azerbaïdjan qui marquera le scrutin. Récompensé alors qu’il s’agissait de sa 4e participation, la présence de l’Azerbaïdjan dans cette compétition musicale s’explique par son appartenance à l’Union européenne de radiotélévision.
Le concours fut aussi ouvert et serré qu’annoncé. Le système de vote mixte – 50 % jury, 50 % public – introduit pour limiter les alliances géographiques, a pour autre conséquence l’élimination de concurrents sérieux dès le stade des demi-finales : ce fut notamment le cas de l’israélienne Dana International, première transsexuelle à remporter la compétition en 1998 avec Diva. De même, la Turquie, coutumière des bonnes places grâce aux votes de sa diaspora, est passée à la trappe, tout comme 4 pays des Balkans ayant pour habitude de s’attribuer mutuellement des points : l’Albanie, la Bulgarie, la Croatie et la Macédoine.
Exit également les provocateurs du groupe révolutionnaire portugais Homens de la Luta, qui avait choisi de s’entourer de choristes grimés en stéréotypes de la société portugaise, au point qu’une partie de la presse les a surnommés les Village People du Portugal (http://www.euranet.eu/fre/Programme-complet/Programmes/Le-Portugal-souffle-un-air-de-revolte-sur-l-Eurovision-2011).
Le vote géographique a pourtant été encore d’actualité cette année : la Grèce recevant une nouvelle fois les fameux « twelve points » de Chypre, Moldavie et Roumanie s’échangeant également 12 points. Et cette alliance stratégique de fait a également été le cas pour l’Europe de l’Ouest : l’Espagne a reçu la moitié de ses 50 points grâce à la France et au Portugal, et l’Italie a récolté le score maximum avec les votes de l’Albanie, de l’Espagne et de Saint-Marin.
Pour autant, ce vote géographique n’est pas déterminant dans la victoire : l’Azerbaïdjan n’a reçu que trois « 12 points ». Un pays ne peut espérer gagner sans le soutien d’un maximum de pays – et en effet, les trois premiers sont ceux ayant reçu des points de presque tous les pays participants. Il sera intéressant de voir la publication des votes séparés du public et du jury, lesquels pourraient révéler de fortes disparités, comme l’année dernière.
Ell & Nikki ont ainsi remporté la compétition avec leur ballade doucette, Running Scared, sur le plus petit score pour un gagnant depuis l’introduction des demi-finales en 2008, avec 221 points. Etonnamment, les Australiens, qui pouvaient regarder l’Eurovision et voter pour leur chanson favorite, les ont classés… derniers !
La prochaine compétition devrait donc avoir lieu dans la capitale de l’Azerbaïdjan, à Bakou. Une aubaine pour ce pays qui souhaite développer davantage son industrie du tourisme [1]. Mais aussi un mètre-étalon des relations géopolitiques entre les pays du Caucase : si l’Eurovision est un moyen pour les Européens d’exprimer leur identité européenne, elle n’empêche pas les querelles entre États.
L’Azerbaïdjan a ainsi été condamné pour avoir déréglé, en 2009, son signal télé au moment du passage du candidat arménien, alors que Bakou est en conflit avec Erevan quant à la revendication territoriale du Haut-Karabagh, que cette dernière contrôle militairement [2].
Final Eurovision 2011 - Azerbaijan HD par alexandru2006
Le chanteur lyrique français Amaury Vassili, qui a interprété en corse Sognu, annoncé comme favori, aura déçu tant par sa prestation (mal coiffé, habillé d’un gilet faisant penser à Napoléon et chantant d’une voix mal posée lors du premier couplet) que par sa place (15e) ou son manque de fair-play.
Cette édition 2011 de l’Eurovision aura notamment été marquée par le retour de l’Italie, pays qui n’avait plus participé depuis 1997. En tant que gros contributeur de l’Union européenne de Radiotélévision, elle a été dispensée, comme tous les autres pays du « Big 5 » (Allemagne, Espagne, France, Royaume-Uni) et le pays hôte (l’Allemagne cette année) de passer par le stade des demi-finales.
Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’Italie a réussi son come-back avec une très belle 2e place pour le pianiste de jazz Raphael Gualazzi, qui s’est satisfait d’avoir redonné de la popularité à ce style musical à l’Eurovision (voir les interviews des 3 premiers ainsi que de la gagnante de la précédente édition). L’autre perle de la compétition, de ces chansons avec de bonnes qualités musicales mais habituellement sous-notées à l’Eurovision, Love in Rewind de la star bosniaque Dino Merlin, termine néanmoins à la 6e place.
Dans la bataille des belles gueules, c’est le Suédois Eric Saade, donné parmi les favoris du concours, qui a eu le dernier mot avec une chanson très pop et une performance fracassante : Popular. Il donne ainsi sa meilleure place à Stockholm depuis la victoire de Charlotte Nilsson en 1999. Le boys band britannique Blue marque son retour sur scène avec une 11e place.
La gagnante de l’année dernière n’aura pas réussi son pari d’entrer dans la légende aux côtés de Johnny Logan, « Mister Eurovision », seul concurrent à avoir remporté trois fois la compétition pour l’Irlande, deux en tant que chanteur, en 1980 et 1987, une en tant que parolier, en 1992. Avec une performance plus assurée et sensuelle (manquant cette spontanéité qui avait tant séduit ?) l’Allemande Lena Meyer-Landrut décroche une honorable 10e place avec Taken by a Stranger.
Au rayon des performances kitsch, sans lesquelles l’Eurovision ne serait pas l’Eurovision, les jumeaux irlandais de Jedward et leur très Lady-Gagaesque Lipstick auront tenu toutes leurs promesses : cheveux en pointe d’obus, tenues rouges criardes et gesticulations, ils sont finalement arrivés 8e. Les Moldaves de Zdob şi Zdub, affublés de chapeaux de nains de jardins, finissent eux 12e avec So Lucky.
Les sosies n’auront pas eu grand succès cette année : la Céline Dion hongroise, Kati Wolf, n’arrive que 22e et la Katty Perry estonienne, Getter Jaani, 24e.
1. Le 31 mai 2011 à 00:00, par Thibaut Temmerman En réponse à : Eurovision 2011 : victoire surprise de l’Azerbaïdjan
L’Union européenne de radio-télévision a dévoilé le partage des votes entre le public et le jury : http://www.eurovision.tv/page/news?id=36713&_t=ebu_reveals_split_televoting_and_jury_results
Comme l’année dernière, cela a révélé quelques surprises.
– L’Italie doit essentiellement sa 2e place qu’au jury, qui a classé Raphael Gualazzi premier, loin devant le 2e en nombre de points, l’Azerbaïdjan. Mais le public n’a placé le concurrent italien qu’en 11e position.
– La Suède aurait peut-être pu remporter l’Eurovision si le jury l’avait mieux classée : Eric Saade avait reçu quasiment autant de points du public que le duo gagnant Ell & Nikki, mais était 9e pour le jury.
– La Grèce mais surtout la Russie, peuvent remercier également le public. Le concurrent russe, Alexey Vorobyov, donné dernier par le jury, arrivera au final 16e grâce à la 7e place accordée par le public.
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