Géopolitique

Fédéraliser la Chine

Les Hans, les Tibétains, les Ouïgours et les autres…

, par Ronan Blaise

Fédéraliser la Chine

Ce vendredi huit août (à 08 heure - 08 minutes - 08 secondes), s’ouvriront donc les XXIXe Jeux Olympiques de l’ère moderne : à Pékin ou Beijing (capitale de la République populaire de Chine). Des Jeux placés sous la protection du chiffre huit, chiffre bénéfique de la culture chinoise, chiffre symbole d’harmonie et de prospérité...

Des Jeux qui doivent également marquer l’entrée de la Chine dans le XXIe siècle. Des Jeux censés officiellement consacrer le rang international de la Chine en tant que nouvelle "grande puissance" sur la scène internationale.

Or, ces derniers mois, la vocation (l’ambition...) olympique de la Chine "populaire" (et son désir de "reconnaissance’’ et de "bonne publicité" sur la scène internationale...) auront été contrariés, notamment en Occident, par bien des manifestations marquées par un franc désaccord.

Une crise à plusieurs visages

L’actuelle crise internationale qui se développe autour des prochains « Jeux Olympiques » de Pékin comporte plusieurs dimensions, chacune révélant un problème politique bien spécifique.

 Une dimension "nationale" : Cette crise révélant aux yeux de l’opinion publique mondiale l’antagonisme existant au sein même de la RPC [1] entre le peuple - dominateur - des « Hans » (i. e : les Chinois "ethniques", qui représentent aujourd’hui plus de 90% de la population totale de l’actuelle RPC) et les 55 minorités nationales avec lesquelles il doit depuis toujours cohabiter : Tibétains (ou « Böds »), Mongols, Mandchous (anciens Jürchens), peuples turcophones « Ouïgours » du Sinkiang (ou Turkestan chinois), peuples minoritaires du Yunnan, etc.

De l’extrême difficulté de transformer un "Empire" sous direction "ethnocentrée" en une Nation moderne et unie, pourrait-on dire... D’autant plus qu’on constatera que le drapeau de la « RPC » reprend très strictement la couleur rouge emblématique de l’Ethnie-Nation chinoise « han » [2] : un drapeau « rouge étoilé » dont l’une des lectures symbolique représenterait l’Ethnie chinoise (la grande étoile) protectrice des principales minorités nationales du pays : Mandchous, Tibétains, Mongols et Huis (ici, les quatres petites étoiles...).

Nationalités en Chine

(Ci-dessus, une carte tirée du site internet de l’université Laval de Québec représentant les différentes populations de Chine : en jaune : les Hans ; en vert : les Mongols ; en rouge-orangé : les Tibétains ; en violet : les populations turcophones des Kazakhs et Ouïgours ; en marron : les Coréens de Chine ; en bleu : d’autres minorités nationales de Chine (Mandchous, Yi, Thaïs, Khmers, Zhuang, etc).

 Une dimension "politique" : Cette crise révélant le conflit mettant actuellement aux prises le « parti communiste chinois », son régime dictatorial et les aspirations à plus de démocratie et à plus de libertés (et à un plus grand respect des droits de l’homme) d’une part croissante de la population de la Chine, toutes ethnies confondues.

De la difficulté de transformer une dictature bureaucratique - soumise à la direction autoritaire d’un parti unique (ici, le parti communiste) - en une véritable Démocratie apaisée, donc.

 Une dimension « diplomatique » et « internationale » : Le gouvernement chinois ayant décidé de faire de ces futurs Jeux Olympiques une "vitrine" de l’excellence de son pays (de son régime politique ?) précisément au moment où l’affirmation de la Chine en tant que nouvelle puissance émergente sur la scène mondiale gène pour le moins les grandes puissances déjà établies.

Bref : de la difficulté de se faire une place au soleil pour une grande puissance émergente ; surtout si celle-là a longtemps subi une pesante domination coloniale de la part de ces mêmes "grandes puissances occidentales" qui la critiquent tant aujourd’hui.

 Une dimension « sportive », sinon "philosophique" : L’octroi par le CIO - à Moscou, en 2001 - de l’organisation des J.O. de 2008 à la ville de Pékin (et à la RPC) - mais sans avoir pour autant obtenu de véritables contreparties quant à la démocratisation du régime chinois - ayant donc notablement fragilisé un idéal olympique dégradé et désormais suspecté de compromission politique et financière avec les pires dictatures…

De la difficulté de confronter un idéal politique - comme l’Olympisme - aux lourdes - mais sinueuses - contingences de la "realpolitik" internationale.

Crise olympique, crise internationale, crise interne

« Droits de l’Homme, Dictature politique, affirmation nationale, vitrine internationale à grand spectacle, conflits ethniques internes, rancoeurs historiques vis à vis du reste du monde » : tous les ingrédients d’une crise diplomatique internationale majeure semblaient donc être réunis.

Et, comme on le voit bien ici, la question du seul « Tibet » ou des seuls « Droits de l’Homme » semblent bel et bien n’être que prétextes ponctuels à l’expression publique de heurts dont l’origine est beaucoup plus à chercher dans la longue durée du contexte international.

De même, d’après une récente étude publiée par le Pentagone (et relayée par la « Far Eastern Economic Review » de Hong Kong), la Chine nouvelle - soumise aux tensions de nouveaux régionalismes économiques - aurait une chance sur deux d’éclater, dans un proche avenir, en plusieurs entités.

Une possible future "désintégration de la Chine" qui serait due - avant toute chose - à l’absence d’institutions politiques démocratiques vraiment capables de canalyser, d’atténuer et/ou de contenir ces actuelles graves tensions économiques et sociales.

Face à quoi, faute de pouvoir vraiment incarner quelque véritable renouveau politique interne, le « parti communiste chinois » semble aujourd’hui orienter sa communication publique (et canalyser le mécontentement interne) vers quelque nouvelle rhétorique nationaliste, volontiers agressive à l’égard du monde extérieur.

C’est pourquoi, afin de remédier aux actuels problèmes "existentiels" de la Chine, l’ancien président taïwanais Lee Teng-Hui (au pouvoir en 1988-2000) avait - en son temps - avancé des propositions originales allant dans le sens d’une souhaitable fédéralisation de l’espace "civilisationnel" chinois.

« République fédérale de Chine » [3]...

Ainsi, dans un ouvrage publié en août 1999 sous le titre de « With the people always in my heart » [4], M. Lee [5] y pressait en effet le régime communiste de Pékin d’abandonner définitivement son concept de « Grande Chine » centralisée pour accepter la division de la Chine en plusieurs "grandes régions autonomes".

Lee Teng-Hui, fédéraliste chinois ?!

« Si Pékin cherche à créer un grand empire chinois, cela peut créer de sérieux problèmes en Asie » (…) « Les autorités de Pékin doivent tenir compte des traits distinctifs des diverses régions de manière à assurer la paix et la stabilité de l’Asie et du Pacifique » (...)

« Pékin devrait donc abandonner son immuable concept de « Grande Chine » et accorder l’autonomie aux régions ayant des traits distinctifs. Qu’on laisse les régions coopérer et rivaliser entre elles et cela facilitera le maintien de la stabilité dans le pays »

Des propositions "fédéralistes" de réorganisation politique du territoire chinois qui renouent alors avec tout un passé de réformes politiques remontant à la « révolution républicaine chinoise » de 1911-1912 et à divers projets du tout début des années 1920, dans l’époque troublée des "Seigneurs de la guerre" (projets alors formulés par des hommes politiques de tout premier plan comme le "Père de la Patrie" Sun Yat-Sen ou son adversaire politique Chen Jiongming) [6].

Ou « États-Unis de Chine » [7] ?!

Des propositions alors diversement accueillies en Chine : les autorités communistes de Pékin (et les partisans taïwanais d’une future réunification) accusant alors le président Lee d’encourager au séparatisme [8] ; mais les nationalistes et indépendantistes taïwanais - tels l’ancien maire de Taipeh (chef de l’État en 2000-2008), Chen Sui-bian (du Parti démocrate progressiste) - l’accusant également de brader ainsi les libertés de l’île face au gouvernement communiste de Pékin (dont la position officielle est d’affirmer que Taïwan est et reste une parcelle inaliénable de la Chine).

Quoi qu’il en soit, dans le projet du président Lee, la Chine serait ainsi "redécoupée" en sept grandes régions autonomes. Lesquelles seraient alors le pays "Han" (i. e : Chine proprement dite et pays de peuplement « Han »), l’île - aujourd’hui dénoncée par Pékin comme "séparatiste" - de Taïwan, le Tibet (actuelle région autonome du Xi-zang), l’actuelle Mongolie-intérieure, l’actuel Xinjiang (soit l’ancien Turkestan chinois) et l’ancienne Mandchourie [9].

Des propositions qui reçurent en tout cas un écho favorable dans l’opposition démocratique, dans la diaspora chinoise ou parmi les leaders politiques des minorités nationales. Notamment de la part du « Gouvernement tibétain en exil » et de la part d’un Dalaï-Lama dont, rappelons le, les revendications à l’égard de la Chine se limitent à demander pour le Tibet une "plus grande autonomie" et non pas une "indépendance totale", jugée "hors de question" par les deux parties.

Ainsi, l’intellectuel et politologue chinois Yan Jiaqi - réformateur vivant aujourd’hui en exil aux États-Unis, membre de l’ « Association pour la Réforme constitutionnelle en Chine » - a récemment proposé la future mise en place d’une « République fédérale de Chine » (i. e : « Zhonghua Lianbang Gongheguo ») rassemblant les territoires de la RPC, de Macau, Hong Kong et Taiwan.

Une "Troisième République" de Chine (suivant en cela la « Première République » [10] : fondée par Sun Yat-Sen, en octobre 1911 ; et la « RPC » [11] : fondée par Mao Zedong, en octobre 1949) qui serait organisée comme suit : Il s’agirait là d’un système "confédéral" constitué de deux cercles ; un "cercle extérieur" rassemblant des territoires bénéficiant d’une très large autonomie (i. e : Hong Kong et Macao, Taiwan, Tibet, Mongolie intérieure et Xinjiang) et un "cercle intérieur" regroupant des territoire "hans" plus étroitement intégrés. Avec, comme compétences réservées au pouvoir central : la défense, les affaires étrangères, les douanes extérieures et le système légal.

Comme on le voit dans ces deux propositions - celles de Lee Teng-Hui (des "sept Chine(s)") et celles de Yan Jiaqi (des "deux cercles") - il s’agirait en fait là de "fédéraliser la Chine" en respectant ses grandes identités culturelles et régionales.

Avec pour objectif politique que cela permette ainsi d’atténuer les lignes de fractures internes qui menacent aujourd’hui la Chine ; ainsi que les tensions existant - aujourd’hui - entre le pouvoir central de Pékin et certaines de ses provinces, comme le Tibet...

Mais également pour empêcher l’apparition d’une « Nation chinoise » impériale et dominante en Asie orientale, susceptible d’inquiéter voire de menacer ses voisins.

- Illustration :

Le visuel d’ouverture de cet article est un « timbre-poste » chinois, parution de l’année 1988 (à l’occasion du 7e Congrès national chinois). Document disponible sur le site : www.flags/on/stamps.info.

- Sources :

« Un Empire du milieu en sept morceaux ? » : un Article de la « Far Eastern Economic Review » de Hong Kong ; document publié dans le « Courrier International » n°451 du 24 juin 1999 (page 26).

« Towards the Federal Republic of China / Yan Jiaqi outlines his proposals for a Third Republic » : propos repris et publiés par « The Office of Tibet » (the official agency of His Holiness the Dalai Lama in London) (sic).

- Pour en savoir plus :

« Nation-Ethnie chinoise et Minorités nationales de Chine », sur wikipédia.

Mots-clés
Notes

[1« RPC », i. e : « République populaire de Chine » ou « Zhōnghuá Rénmín Gònghéguó » en « mandarin » (langue chinoise du pouvoir, de l’administration et de Pékin).

[2Couleur rouge du drapeau de la RPC qu’on retrouve également sur le drapeau de la « République de Chine » de Taïwan.

[3« République fédérale de Chine » ou, en langue chinoise : « Zhōnghuá Lianbang Gònghéguó ».

[4Puisqu’il s’agit là du titre de l’édition internationale d’un ouvrage publié à Taïpeh - en août 1999 - sous le titre "chinois" suivant : « Le Point de vue de Taïwan ».

[5Nb : Chez les chinois - comme chez les japonais et chez de nombreux asiatiques - dans l’énoncée de l’état civil (Hu Jintao, Lee Teng-Hui, Mao Zédong, Tchang Kaï-chek, Sun Yat-Sen, etc) le nom de famille précède toujours le prénom...

[6A ce titre, on jettera un coup d’oeil attentif sur l’article (en langue anglaise) de l’Encyclopédie en ligne wikipédia consacré au « Fédéralisme en Chine ». Article partiellement traduit à l’adresse suivante : « Fédéralisme chinois ».

[7« États-Unis de Chine » ou, en langue chinoise : « Zhōnghuá Hezhongguó ».

[8D’autant plus que le président Lee y revendiquait également fortement l’identité taïwanaise, se disant même prêt à mourir pour son pays et défendant la cause de la démocratie sinon de l’indépendance totale de l’île.

[9Devenue, depuis 1956, « Provinces du Nord-Est » : provinces chinoises du Heilongjiang (Harbin), du Jilin (Changchun) et du Liaoning (Shenyang-Moukden).

[10« République démocratique de Chine » ou, en langue chinoise : « Zhōnghuá Mínguó ».

[11« République populaire de Chine » ou, en langue chinoise : « Zhōnghuá Rénmín Gònghéguó ».

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