Le Taurillon : Les régions ont toujours été au cœur du projet communautaire. Pourrait-on imaginer, dans une future Europe fédérale, que l’échelon administratif national disparaisse, ce « au profit » des régions, qui deviendraient l’échelon immédiatement inférieur à l’échelon supranational ?
Jo Leinen : Les nations européennes existent depuis des siècles. Mais certaines régions sont encore plus anciennes [1] ! De plus, depuis quelques décennies, on observe une certaine régionalisation de la culture et de l’économie. Sur le plan économique par exemple, la région est un espace cohérent et bien défini, dans la mesure où la concurrence pour attirer les investissements des entreprises s’organise en bonne partie à l’échelle régionale. La question est de savoir si les institutions vont s’adapter à cette évolution. Je pense que les efforts de l’Europe, qui finance par l’un de ses fonds structurels, le FEDER [2], de nombreux projets au niveau régional, vont se poursuivre. Les grandes tendances à venir sont, à mon avis, d’une part l’internationalisation de l’espace européen, d’autre part sa régionalisation croissante.
L. T. : Une mesure souvent mise en avant pour l’élection du Parlement en 2014 serait que chaque « parti » européen présente un candidat à la présidence de la Commission. En tant que député européen, que pensez-vous de ces deux autres propositions :
- d’abord, un changement dans la pratique politique : impliquer les médias, les partis et les citoyens pour que le débat précédant les élections ne soit plus centré sur des problématiques nationales mais européennes
- ensuite, une réforme institutionnelle : que le scrutin soit désormais proportionnel, majoritaire à une circonscription (tout le territoire de l’U.E.), au lieu de ce que chaque Etat « envoie » un certain nombre de députés au Parlement, élus dans des circonscriptions nationales selon diverses modalités ?
J. L. : On n’a pas pour l’instant de vraies élections européennes, mais plutôt vingt-sept élections nationales. Or les citoyens sont frustrés par cette situation, par le fait que les débats tournent autour d’enjeux nationaux. Je pense que les partis politiques européens doivent constituer des listes en amont des élections [3], constituées de personnalités très engagées sur la question européenne.
Cela devrait permettre un véritable débat politique européen, avec des alternatives claires pour les citoyens : une Europe conservatrice, ou sociale-libérale, ou verte, etc… Cette transparence des différents choix politiques pourrait aider à ce que la participation soit plus élevée.
Je suis pour le scrutin proportionnel strict, où la part de suffrages obtenus correspond à la part de sièges. A terme, j’envisage que les citoyens puissent avoir deux votes : un pour les listes européennes dont on a parlé, un autre pour un candidat au niveau de la circonscription [4].
L.T. : Vous avez été élu dans la Sarre, région qui a longtemps été l’objet de conflits entre la France et l’Allemagne. Aujourd’hui, comme vous l’avez expliqué lors de la conférence, elle est au contraire au centre d’échanges transfrontaliers fructueux. Pourriez-vous revenir sur ces changements ?
J.L. : Le transfrontalier, c’est le charme de l’Europe. Dans la grande région SarLorLux [5], c’est 220000 personnes qui vont travailler chaque jour dans un autre pays, et des centaines de milliers qui traversent la frontière pour leurs achats et leurs loisirs. Ce modèle est en train d’être largement imité dans tout le continent [6]. Des régions qui étaient à la périphérie de leur pays sont à présent au centre de l’Europe. Le développement économique, mais également la compréhension mutuelle, sont favorisés.
L.T. : Que sont pour vous les déclarations récentes de M. Barroso [7] à propos d’une « Fédération d’Etats-nations » [8] ? Un compromis vague et tiède ? Ou au contraire le fédéralisme dans lequel vous vous reconnaissez ?
J.L. : Tout d’abord, et sur le fond, le Mouvement européen et moi sommes pour une Europe des citoyens, et pas seulement des Etats. La source des institutions doit être les élections européennes, qui leur donnent leur légitimité démocratique. Les citoyens font leur choix sur quelle est l’Europe qu’ils veulent, sur quelle direction ils souhaitent lui donner. Le « gouvernement de l’Europe », la Commission, doit découler directement de ces élections. Ensuite, et sur la forme, l’expression « fédération d’Etats-nations » n’est pas claire. Elle ne se traduit même pas facilement, elle n’a par exemple aucun sens en Allemand. Je pense que cela résulte effectivement de la volonté de M. Barroso de réaliser un compromis entre souverainistes et fédéralistes. Pourtant, on ne peut s’y arrêter, il faut une Europe fédérale des citoyens.
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