Fédération de Russie et liberté de la presse

Rapport « Goodbye to Freedom »

, par Manana Aslamazyan et Gillian Mc Cormack, Traduit par Charles Edouard Le Bon

Fédération de Russie et liberté de la presse

Le rapport sur la liberté de la Presse en Europe « Goodbye to Freedom » vient d’être publié par l’Association des Journalistes Européens. Le Taurillon a décidé de publier le résultat de cet énorme travail. Aujourd’hui, voici la situation en Russie.

Présentation générale

Les niveaux d’évaluation sont bas aussi bien pour la presse locale qu’internationale. Le rapport 2007 de Reporters sans Frontières « La liberté de la presse dans le monde » souligne les meurtres non élucidés de 21 journalistes depuis l’année 2000 et les prises de contrôle de médias par des intérêts proche du Kremlin dont le développement « menace sérieusement la diversité d’informations et la liberté d’expression » en Russie. Les classements de la liberté de la presse mondiale en 2006 produits par Freedom House place la Russie à la 158ème place des 194 pays et décrit son statut comme « non libre ».

Cependant, la Russie possède un marché des médias dynamique et très diversifié avec approximativement 1 400 entreprises de télévision, allant des énormes groupes nationaux aux petites stations locales servant les communautés. Il y a environ 3000 stations de radio et 25 000 journaux, magazines et revues, du journal majeur de couverture nationale et à grande diffusion aux journaux de village. L’usage d’Internet croît rapidement, le pourcentage d’utilisateurs de plus de 18 ans a augmenté de 16 % (ou 20,9 millions de personnes) en 2004 à 19 % en 2005, selon les chiffres publiés de la Fondation de l’opinion publique dans l’Index de durabilité des médias 2005, Irex. Le marché de la publicité russe est l’un dont la croissance est la plus rapide en Europe, augmentant en valeur de plus de 50 % par an.

La production de programmes de télévision prospère également, avec des productions russes ayant complètement pris les heures de grande écoute aux films étrangers et autres séries. La concentration des médias est un problème grandissant, spécialement au regard des entreprises de média fortement concentrées et aux mains de l’Etat ou des entreprises dite indépendantes mais loyales au pouvoir. Par exemple, depuis la prise de NTV par Gazprom media, les trois télévisions fédérales sont passées sous le contrôle de l’Etat.

Il est juste d’indiquer que l’éthique professionnelle est devenu une préoccupation parmi les journalistes russes. Les journalistes russes résistent à toute forme d’auto-régulation, qu’ils considèrent comme une limite supplémentaire à leur expression à un moment où l’autocensure est déjà élevée. Il sont généralement cyniques sur l’éthique car il y a un manque de soutien professionnel des syndicats et des associations, et ils ne peuvent pas s’attendre à un soutien de l’opinion publique ; leurs propres employeurs tendent à ignorer de telles préoccupations à cause des fortes pressions de la concurrence.

Les journalistes, à l’exception de ceux travaillant pour les télévisions fédérales, sont mal payés et tendent à combiner leurs activités journalistique avec le secrétariat de rédaction ou la publicité afin de compléter leur revenu. Alors que la qualité technique a augmenté, il y a eu un mouvement vers plus de production de divertissement que d’actualités. Cela reflète en partie une tendance mondiale de « l’actu-divertissement » (Infotainment en anglais), mais ici c’est principalement basé sur le désir d’éviter le conflit avec les autorités locales ou fédérales. Le reportage d’investigation doit encore être trouvé , principalement dans la presse papier et Internet mais le fait que de nombreux reporters, ayant menés leurs investigations vers les autorités ou les grandes entreprises, aient été tués agit comme un élément dissuasif pour les autres. Les coupables de ces meurtres ont rarement été poursuivis.

...les émissions politiques sont préenregistrées afin de retirer les commentaires qui pourraient être critiques à l’égard des autorités

Il y a deux écoles de pensée contrastées au regard de la liberté de l’état des médias en Russie. Une est que les médias russes sont en effet libres. La preuve en est l’existence de journaux et de radios dont les vues exprimées sont critiques à l’égard du gouvernement, le dynamisme et la croissance de la publicité et du blog en ligne, le travail des courageux et journalistes hors pair qui ont exposé la corruption et le crime, et l’augmentation de la production de films documentaires et d’émissions politiques.

L’autre opinion est que la liberté des medias en Russie est largement anéantie. Ce point de vue est soutenu par la prise de contrôle de médias anciennement indépendants par des entreprises contrôlées par l’Etat, le nombre de procès en calomnie et diffamation contre des journalistes, l’échec de la police à identifier avec succès et condamner ceux responsables de l’assassinat de journalistes, la prévalence de l’autocensure et l’intervention du gouvernement dans les nouveaux programmes à des fins de propagande. Ces deux positions sont soutenables. Le nombre de documentaires et d’émissions russes augmente mais les documentaires tendent à être pro-gouvernementaux et les émissions politiques sont préenregistrées afin de retirer les commentaires qui pourraient être critiques à l’égard des autorités.

Etude de cas : les barrières à la liberté des médias

1) La manipulation gouvernementale des médias

Les pressions manifestes du gouvernement sur les sorties des principaux media cherchant à produire une couverture favorable sont bien documentées. Le 24 février 2004, Novaya Gazeta a publié des extraits d’un document provenant de la principale chaîne russe nationale Channel One. Il s’appelait « Temnik n°11 », un pamphlet d’instructions hebdomadaires détaillant comment des évènements spécifiques devaient être couverts dans les informations et produit par des analystes de plusieurs think tanks du gouvernement et du Ministère des Affaires étrangères. Au regard des évènements couverts en Georgie, il contient cette recommandation explicite : ...au moment présent, il est utile d’employer les pouvoirs d’information et les programmes analytiques pour commencer une campagne de propagande de masse contre Shervardnazde personnellement, utilisant les hommes politiques anti-Shevardnaze et les pouvoirs au seins de la Géorgie et de sa diaspora en Russie. En mai 2007, huit journalistes du Service des informations russes ont démissionné en protestation quand la nouvelle direction de la chaîne d’Etat introduisit une nouvelle politique d’information incluant une « liste noire » des candidats de l’opposition devant être exclus des ondes et un quota minimum de 50 % « d’informations positives sur la Russie ».

En plus de faire attention à de telles instructions concrètes et listes noires, des figures supérieures des principaux medias assistent chaque semaine à une réunion au Kremlin pour discuter de la politique d’information avec des membres de l’administration présidentielle. Et comme précaution supplémentaire, les journalistes et les éditeurs tendent à exercer une autocensure, prenant garde à ne pas blesser le Kremlin.

2) Les lois criminelles sur la calomnie et la diffamation utilisées à l’encontre des journalistes

La diffamation et la calomnie sont toujours traitées par le Code Criminel et non sous le Code Civil. L’article 319 du Code Criminel Russe fait un crime d’ « insulter les représentants du pouvoir ». Le manque d’indépendance judiciaire créé la possibilité de l’arbitraire et des condamnations injustes, et il y a peu d’avocats spécialisés dans la défense des affaires de médias.

Selon le contrôle effectué par le Centre pour le journalisme basé à Moscou, dans des cas extrêmes, 38 poursuites ont été menées contre des journalistes et d’autres membres des médias en 2005, et 22 poursuites en 2006. Un des incidents les plus troublants fut la condamnation du journaliste de la radio de Smolensk Nikolai Goshko à 5 ans de prison en 2005 pour diffamation. En 2000, le propriétaire de Radio Vesna, Sergey Novikov, a été tué après avoir allégué de la corruption au sein du bureau gouvernemental. Le jour après le meurtre, qui demeure irrésolu, un Goshko choqué pris l’avion et accusa publiquement deux officiels de Smolensk puis le gouverneur d’avoir orchestré le meurtre. La condamnation de Goshko à cinq années fut extrême, considérant que la peine maximale selon la législation criminelle traitant de la diffamation est de trois ans. Dans ce cas, le juge a arbitrairement ajouté deux années supplémentaires, citant une condamnation précédente mineure comme justification. Actuellement, cinq journalistes russes sont en prison pour crimes d’ « insultes ».

Conclusion et Action Future

Les organisations de média plaident que de tels sentences sont injustes et que la Russie devrait retirer les cas de calomnie et diffamation du code Criminel et les faire passer en tribunaux civils. Elles soutiennent également fortement que l’article 319 du Code Criminel, qui fait d’un délit d’insulter les représentants du pouvoir d’Etat, est inacceptable dans un système démocratique. Pas plus tôt qu’en 1986, la Cour européenne des droits de l’homme, qui applique la Convention européenne des droits de l’homme à l’ensemble des pays membres du Conseil de l’Europe, a établi le principe que les politiciens devaient bénéficier de moins de protection s’agissant de la diffamation que les citoyens ordinaires, pas plus, par l’intérêt public qui est servi en ayant leurs actions scrutées par les journalistes et le public. Dans les mots du jugement de la cour du 8 juillet 1986, « les limites acceptables de la critique sont en conséquence plus larges au regard des politiciens comme telles qu’au regard d’une personne privée ». La Russie a rejoint le Conseil de l’Europe en 1996.

Les observateurs internationaux du bureau de l’OSCE pour les institutions démocratiques et les droits humains (ODIHR) et le Conseil de l’Europe ont marqué au fer rouge les élections parlementaires russes tenues en 2007 comme « Non justes », citant les irrégularités de vote et le lourd biais des medias. L’entreprise de recherche Medialogia, contracté par le journal russe en ligne Gazeta.ru pour contrôler la couverture médiatique des élections, dénombra plus de 3000 exemples de couverture TV, radio et journal. Ils ont trouvé que le parti au pouvoir Russie Unie, mené par Vladimir Poutine, a reçu deux fois plus de couverture que n’importe quel autre parti durant les trois mois de la période de campagne pour les élections, et que cette couverture de Russie Unie était également plus positive que celle des autres partis rivaux.

Les critiques franches et bien documentées des observateurs internationaux, incluant celles sur le biais des médias, furent écartées sans examen détaillé par la commission électorale centrale de Russie. Et la fédération de Russie se plaça plus loin en désaccord avec ses engagements internationaux quand elle refusa de donner à l’OSCE/ODIHR les facilités ordinaires, incluant les visas, pour autoriser les contrôles électoraux et remplir leurs mission d’observation de l’élection présidentielle russe programmée le 2 mars 2008. Dans un communiqué du 7 février, l’OSCE a listé différentes parties importantes du processus électoral que les autorités russes ont donc rendu impossible aux observateurs électoraux à vérifier- incluant le droit des partis politiques de conduire leur campagne dans une atmosphère équitable sans obstacles administratifs et l’accès aux médias sur une base non discriminatoire.

Le 10 janvier 2008, Ekho Moskvy (Radio Echo de Moscou) a rapporté que des journalistes de la chaîne de Vladimir TV6 ont été poursuivi pour diffamation du Président Poutine par un membre du parlement de la ville appartenant à Russie unie. Durant un reportage télé d’actualités sur un meeting politique tenu par des jeunes supporters de Poutine, des journalistes ont utilisé le mot « Puting » pour décrire les réunions pro-Poutine (une combinaison des mots « Putin » et « meeting »). Mikhail Babich, qui conduisait la poursuite judiciaire, plaide que l’utilisation de ce mot est blessante. Ce cas a té transmis au comité d’investigation du bureau local du procureur pour décider si oui ou non un procès en diffamation sera initié.

En mai 2006, l’éditeur d’un journal russe en ligne Ivanovo a eu ses bureaux fermés et une enquête criminelle a été lancée contre lui pour calomnie à l’égard du président russe après avoir publié ce qui était décrit comme un article élogieux appelé « Vladimir Poutine, le symbole phallique de Russie ». L’éditeur a dû finalement verser l’équivalent de 850 $.

Ajouté à cela, une journaliste moldave travaillant pour le magazine russe d’information The New Times, critique à l’égard du président, fût empêché de revenir en Russie en janvier 2008, sur la base de l’article 28 de la loi sur l’immigration, qui dit qu’un étranger peut être expulsé « pour préserver la défense nationale, la sécurité de l’Etat, l’ordre public ou la santé publique ».

Ses problèmes d’immigration doivent avoir été liés à ses activités de journaliste d’investigation et un récent article présentant l’utilisation d’un fond « sale » du Kremlin pour financer les partis qui participaient aux élections parlementaires.

Le Taurillon remercie l’Association des Journalistes Européens pour l’autorisation de publier cet issu du rapport « Goodbye to freedom » et de sa mise à jour du mois de février 2008.
Illustrations :

 le drapeau de la Russie ; source Wikipedia

 le logo du rapport "Goodbye to freedom"

 le logo de l’AEJ

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