Fillon III : Alain Juppé Ministre de la Défense sera-t-il un atout pour la construction européenne ?

, par Joanna Papadamaki, Marc-Antoine Coursaget

Fillon III : Alain Juppé Ministre de la Défense sera-t-il un atout pour la construction européenne ?

« L’Europe fédérale est morte, je ne m’en plains pas », affirmait il y a peu encore Alain Juppé, nouveau Ministre d’Etat, Ministre de la défense et des anciens combattants. Invité lors de l’Université d’Automne du Mouvement Européen-France samedi 13 novembre 2010, le maire de Bordeaux déclarait pourtant : « il faut progresser vers un budget fédéral » ! Ce revirement n’est pas pour déplaire aux euro-citoyens, mais est-il sincère ? Et si les compétences de M. Juppé sont indiscutables, quelle sera sa marge de manœuvre sous la Présidence de Nicolas Sarkozy ?

Alain Juppé est-il vraiment pour l’Europe ?

« L’Europe fédérale est morte, mais comme cela n’a jamais été le projet de ma formation politique, je ne m’en plains pas ». Cette déclaration d’Alain Juppé, recueillie par Le Figaro dans un débat avec Michel Rocard au sujet de la Turquie, semble démentie par les récentes déclarations du Ministre de la Défense, lors de l’Université d’Automne du Mouvement européen. « On n’est pas allés si loin pour ne pas aller plus loin », a-t-il insisté à cette occasion, paraphrasant l’effet d’engrenage devant conduire à l’Union politique espérée par les pères fondateurs de l’Europe. Celui qui s’inscrit pour la conciliation de l’Europe et de l’Etat-nation a ainsi réaffirmé, le 13 novembre dernier, sa « profession de foi européenne ».

Critique à l’égard des politiques du tout sécuritaire et des expulsions de Roms menée par le « précédent » gouvernement Sarkozy, Alain Juppé, prenant acte de la « multipolarité » du monde actuel, s’est également permis des réserves quant à la politique de Défense menée par Nicolas Sarkozy. L’initiative de Deauville pourrait mener à de « grandes désillusions » a signalé le Ministre qui sera chargé de mettre en œuvre les accords de Londres, signés le 2 Novembre dernier entre la France et le Royaume-Uni. Egalement critique face à ce projet de coopération militaire de grande ampleur, Alain Juppé a souhaité que l’accord franco-britannique ne soit pas « une voix divergente sur l’Europe de la défense ».

Nicolas Sarkozy voit d’abord en l’Europe l’occasion d’accords bilatéraux entre grandes Nations, et réduit l’Europe de la Défense à un renforcement de l’UE au sein de l’OTAN. A l’occasion de l’Université d’Automne du Mouvement Européen-France, Alain Juppé s’est démarqué de cette vision réductrice et n’a eu de cesse d’affirmer son soutien à la construction communautaire, plaidant notamment pour le « fédéralisme budgétaire », et déclarant que « le XXIème siècle devrait compter avec l’Europe  ». Sur le même ton, on peut se souvenir des premières phrases d’un billet, paru sur son blog le 1er juin 2009 dans le contexte des élections européennes : « L’Europe, c’est la chance de la France et des Français au XXIème siècle. Une fois encore, contre vents et marées, je veux faire cette profession de foi européenne ».

« Je suis droit dans mes bottes, et je crois en l’Europe », croirait-on presque l’entendre dire. Cette envie d’Europe est sans doute sincère, mais elle peut surprendre dans la bouche d’un eurodéputé pas convaincu, qui, élu en 1984, avait abandonné son mandat européen pour un mandat de député en 1986, et de nouveau, pourtant tout juste élu depuis un mois, en 1989. Toujours est-il que cette ambition pour l’Europe, additionnée aux restrictions budgétaires forçant les rapprochements d’Etats-membres en matière de Défense – récemment entre la France et le Royaume-Uni, mais également avec l’Allemagne, pourrait être l’occasion d’avancer dans la mise en place de l’Europe de la Défense.

Une compétence incontestée et une connaissance personnelle des thématiques de défense

L’ancien Premier ministre, également Ministre des Affaires étrangères, Ministre délégué au Budget, sans oublier quelques jours Ministre de l’Écologie, semble avoir toujours démontré l’excellence : reçu premier en grec et en latin au Concours général des lycées, il intégrera l’Institut politique de Paris deux ans plus tard, et encore deux ans plus tard l’Ecole nationale d’administration, effectuant son service militaire au passage.

Premier ministre de 1995 à 1997, Alain Juppé a notamment mené en 1996 la réforme de la Défense, particulièrement dans le domaine industriel avec la privatisation de Thomson CSF voulue par le Président Jacques Chirac. Premier ministre également lors de l’interruption des commissions susceptibles d’être à l’origine de l’attentat de Karachi, Alain Juppé avait commandé les écoutes téléphoniques permettant de tracer les rétrocommissions lors de l’affaire de vente de sous-marins au Pakistan, soupçonnées d’avoir financé la campagne électorale d’Edouard Balladur.

Le programme d’Alain Juppé sera chargé : mise en œuvre de la réintégration de la France au sein du commandement intégré de l’Otan, contre laquelle il avait émis des réserves, mise en œuvre des décisions prises à Deauville, desquelles il dit craindre une grande désillusion, mise en œuvre des accords tout justes signés entre Londres et Paris, dont il souhaite qu’ils ne soient pas « une voix divergente sur l’Europe de la défense ». Il semblerait qu’après Kouchner aux Affaires étrangères, ce soit au tour de Juppé à la Défense d’avaler des couleuvres...

On peut d’ailleurs s’étonner que le maire de Bordeaux soit rattaché à la Défense. N’a-t-il pas cessé, dans les jours précédant sa nomination, de plaider en faveur de l’emploi, et plus précisément d’une articulation et d’une complémentarité entre les politiques d’emploi des jeunes et d’emploi des seniors ? On peut s’interroger sur sa présence au gouvernement, dés lors qu’il n’est pas en charge de la politique qu’il appelait de ses vœux, et qu’il avançait il y a quelques semaines encore être très heureux à Bordeaux. Sa principale motivation serait de combattre le retour possible des socialistes au pouvoir en 2012. Il a ainsi reproché au PS d’être prisonnier « de ses vieilles alliances avec la gauche dure ».

Quoi qu’il en soit, Alain Juppé aura certainement l’occasion de pousser plus en avant l’Europe de la Défense. Les coupures de budget, l’émergence de défis nouveaux pour l’industrie de Défense – qu’il connaît bien pour l’avoir déjà réformée en 1996, sont des contraintes nationales mais des opportunités européennes, ainsi qu’il semblait le confirmer à Bordeaux le 13 novembre dernier en affirmant que l’avenir de la France c’est l’Europe.

Une marge de manœuvre limitée dans le sillage de Nicolas Sarkozy

« Tout le travail du Ministre de la Défense sera de convaincre les autres de nous rejoindre », répondait Nicolas Sarkozy lors de sa conférence de presse finale au sommet de l’OTAN, samedi 20 novembre dernier, avant d’ajouter « Bon courage ! » à son nouveau ministre de la Défense, présent pour l’occasion.

Certes, les pressions budgétaires pourraient incliner l’actuel président à plus d’européanisation dans le domaine de la Défense, mais la politique actuelle consiste d’abord en accords bilatéraux avec le Royaume-Uni, et peut-être bientôt avec l’Allemagne. Au-delà de la mise en œuvre de politiques, bilatérales ou relatives à l’OTAN qu’il avait critiquées avant son entrée au gouvernement, on peut ainsi espérer qu’Alain Juppé l’euro-citoyen saura utiliser l’opportunité que représente cette occasion de faire l’Europe de la Défense.

La vision qu’Alain Juppé nourrit de l’Europe, à savoir une persistance d’Etats-nations, ne serait apparemment pas antagonique à la mise en place de l’Europe de la défense : « Je suis pour les États-nations, c’est la différence entre le rêve américain et le rêve européen. L’Amérique est un État fédéral constitué à partir d’éléments qui n’étaient pas des nations. L’Europe s’est constituée à partir des identités nationales. Nous avons démontré que l’on pouvait concilier l’existence de l’Europe et de l’État-nation. Il nous faut continuer sur cette voie  ». Reste à espérer que cette ambition affichée résistera à l’épreuve gouvernementale.

Illustration : Alain Juppé, lors du colloque de Réforme et Modernité le 4 mars 2009

Source : Reformeetmodernite

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Vos commentaires
  • Le 22 novembre 2010 à 20:15, par HR En réponse à : Fillon III : Alain Juppé Ministre de la Défense et le pouvoir exécutif commandant la défense européenne.

    Dans n’importe quel Etat du monde, même si cet Etat en est encore à l’état de nation et n’a pas encore accédé à l’Etat de droit, la principale prérogative du pouvoir exécutif est le commandement de la Défense. Ou de l’attaque armée, bien entendu. Par exemple, s’agissant des prémices de l’Etat de droit à l’époque où naissait "le rêve américain", la Convention de Philadelphie décidait dans l’article II de la Constitution Américaine, inchangée depuis sur ce plan là, que le pouvoir exécutif suprême, le Président, était le "Commandant-en-Chef" des forces armées.

    Il est intéressant de commenter à la lumière de ce principe la déclaration d’Alain Juppé qui conclut l’article.

    Alain Juppé est une nationaliste. On ne peut pas le soupçonner d’avoir fait un "coming-out" sur ce plan là, tant il semble être tombé dans cette marmite quand il est né.

    Il va se retrouver dans la position intéressante de piloter la réintégration de la France dans le "commandement" de l’OTAN, puisqu’on le sait, la France n’a en réalité jamais quitté réellement l’OTAN. Il aura donc l’occasion d’y méditer sur la question de savoir quelle est la véritable armée opérationnelle en Europe, par exemple en se remémorant les souvenirs de la dernière guerre européenne, la guerre des Balkans.

    Alain Juppé va donc être dans la position du nationaliste d’obédience française placé à un poste d’observation privilégié sur la question de savoir qui est aujourd’hui le "Commandant-en-Chef" des forces armées véritablement opérationnelles de l’Union Européenne.

    Sa réflexion passera forcément par la question de savoir si, par hasard, les "éléments qui n’étaient pas des nations" constitutifs de l’Etat fédéral américain n’étaient pas, finalement... les citoyens américains. Ceux là-même qui élisent leur "Commandant-en-Chef" selon des principes quasiment inchangés depuis la Convention de Philadelphie de l’article II de la Constitution Américaine. On peut remarquer à ce propos qu’Alain Juppé-nation se voit obligé de définir les USA par une négative, « un État fédéral constitué à partir d’éléments qui n’étaient pas des nations » qui est très révélatrice. En effet, ça l’aurait fiché mal qu’il définisse les USA de manière positive en affirmant que « L’Amérique est un État fédéral constitué à partir des citoyens des Etats-Unis. L’Europe s’est constituée à partir des identités nationales. »… Alain Juppé-nation méditera-t-il ensuite sur la différence que cela a produit au cours des deux siècles suivant en Europe "constituée à partir des identités nationales " ?

    On ne peut que l’espérer si on se considère comme un citoyen de l’Union Européenne. Parce qu’il pourrait ainsi remettre en cause les deux dernières phrases de sa conclusion : " Nous avons démontré que l’on pouvait concilier l’existence de l’Europe et de l’État-nation. Il nous faut continuer sur cette voie."

    En effet, la question n’a absolument jamais été de démontrer que, par exemple depuis la Convention de Philadelphie, on pouvait "concilier l’existence de l’Europe et de l’État-nation". Tant l’histoire de l’existence de l’Europe EST celle de l’Etat-nation sur la période.

    Ce qui reste à démontrer, si on accepte de se remémorer la récente guerre nationaliste en Europe des Etat-nations des Balkans, c’est que " nous" devons encore " concilier l’existence de l’Europe et de l’État" de droit et, en plus, l’existence du maintien de la paix.

    Ce posera alors la question de savoir sur quelles forces armées elle reposera, qui en sera le Commandant-en-Chef, et, bien entendu, s’il sera, enfin, élu par les citoyens de l’Union Européenne. Bref, s’il faut continuer sur la même voie où en changer sensiblement.

    Alain Juppé-nation profitera-t-il de ce passage à « la défense » pour concevoir l’Union Européenne des citoyens et devenir réellement l’Alain Juppé citoyen de l’Union Européenne qu’il est sur le papier depuis que l’Union Européenne existe ?

    On peut en douter. Pourquoi ? On peut y répondre indirectement en disant ceci : dès que possible, à propos d’être « droit dans ses bottes », il faudrait corriger une partie de l’article en français de Wikipedia sur Philippe Leclerc de Hauteclocque. (1)

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Philippe_Leclerc_de_Hauteclocque

    1943-1945 : Libération de la France [modifier] …. Ultimes faits d’armes, ce sont les soldats français de Leclerc qui s’emparent du Kehlsteinhaus, le « nid d’aigle » d’Adolf Hitler à Berchtesgaden en Bavière, quelques jours seulement avant l’armistice du 8 mai 1945….

    En réalité, même s’il est vrai que la prise du « nid d’Aigle » avait été exigée par le « Commandant-en-Chef » de la France de l’époque, désigné selon des principes qui ont encore varié depuis, les Américains n’ont pu résister à la tentation d’une telle prise de guerre. Avec la complaisance bienveillante du commandement américain, la « Easy company » (2) du 506ème régiment de la 101ème division aéroportée de l’Armée américaine a doublé la division Leclerc et s’est emparé de l’objectif qu’ils ont d’ailleurs consciencieusement pillé. C’est ainsi que le commandant Winters, un officier sorti du rang, a toujours la possibilité de dîner avec l’argenterie du Fuhrer…

    La division Leclerc pu enfin libérer son objectif quelques jours plus tard après que le 506ème régiment l’ait évacué…

    Histoire, c’est le cas de le dire, de rappeler quelle est « la Défense » qui a été et reste le véritable « atout pour la construction européenne ».

    (1) Je compte le faire prochainement. Par contre le changement de l’article en anglais n’est pas vraiment nécessaire. (2) Cet épisode est raconté avec une délectation visible dans le dernier volet de la célèbre série produite par Stephen Spielberg et Tom Hanks : « Band of Brothers » qui raconte l’histoire de la Easy Company. Le livre éponyme de Stephen E. Ambrose dont la série est l’adaptation raconte aussi avec tous les détails le même épisode. Le livre n’a jamais été traduit en français.

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