Sommet de l’UE d’Hampton Court

Fin de partie, la récré est finie : Chirac et Blair sur leur chemin de Damas ?

, par Ronan Blaise

Fin de partie, la récré est finie : Chirac et Blair sur leur chemin de Damas ?

Mercredi 26 octobre, Jacques Chirac, président de la République française, à la veille de l’ouverture du sommet européen d’Hampton Court, a fait paraître une tribune dans le « Figaro », intitulée : « Force et solidarité : répondre aux attentes des Européens »

On savait que l’Europe s’était construite sur l’idée de la réconciliation des peuples, par la valorisation d’intérêts communs concrets (souvent sonnants et trébuchants...) et -par la force des choses- grâce à la bonne volonté de dirigeants pourtant, au départ, pas toujours très bien disposés les uns vis à vis des autres.

Ainsi, en juin dernier (lors du dernier sommet européen de Bruxelles...), on avait vu les dirigeants de l’Europe actuelle se déchirer et copieusement s’engueuler au nom de seuls intérêts nationaux (et sur des tons souvent à la limite de l’inavouable nationalisme...).

Et ce, pour des thématiques et sur des sujets divers et variés. A savoir : les bénéfices français tirés de la PAC, le montant du « rabais britannique » au budget communautaire : la fameuse « british ristourne », etc.

Et ce même sommet européen de juin dernier s’était donc ainsi finalement conclu par l’échec de la négociation du budget communautaire. Et ce, dans une Europe communautaire alors menacée de paralysie et très durement secouée par les récentes péripéties de la procédure constitutionnelle.

Et tout cela faisant très singulièrement désordre...

Mais aujourd’hui, il semble effectivement que les dirigeants de l’Europe actuelle -pris à la gorge par l’ampleur de la crise européenne et par l’amoncellement des questions brûlantes restant à traîter d’urgence (ex : négociations communautaires à l’OMC, actuelle crise migratoire en Méditerranée, etc.)- ont enfin compris le ridicule de leurs gesticulations passées et aient enfin repris le chemin du dialogue, de la concertation et de l’oeuvre commune, chacun cherchant désormais à « apporter sa contribution » (sic) à résoudre l’actuelle crise européenne.

Et ce, quitte à finalement -parfois- aller jusqu’à en avaler leur chapeau... (et ouf : il n’est que temps...).

Retour à la raison

Ainsi, Jacques Chirac nous expose dans sa « Tribune » ce que sera son action lors du sommet européen du lendemain.

Et -en effet- sur bien des plans, à lire le président français, on aurait presque le sentiment qu’après s’être bien déchirés, le président Chirac et le premier ministre Tony Blair soient désormais résolument décidés de faire enfin un pas l’un vers l’autre : pour -je cite- « construire ensemble une relance organisée de l’action européenne ».

Et, déjà, en convenant de l’urgence à boucler formellement pour -au pire- décembre prochain le budget de l’Union pour la période 2007-2013.

(Et, ainsi, il semblerait que le Président français ait enfin accepté de laisser -tout du moins provisoirement- en paix Tony Blair sur la thématique contestée du fameux « rabais britannique au budget »...).

De même, il semble que Jacques Chirac ait fait de grands pas vers les idées « blairiennes » de relance des économies européennes -pour la croissance et l’emploi- par la recherche d’une nouvelle révolution industrielle essentiellement basée sur le dynamisme, l’innovation, la recherche et les technologies de pointe (dans des domaines tels que les biotechnologies, les technologies de l’information et les nanotechnologies...).

Et Chirac d’abonder dans ce sens en proposant la mise en place d’une coopération européenne dans ces domaines, sur les bases d’un élargissement à l’ensemble des pays de l’Union européenne de l’actuelle coopération franco-allemande existant donc déjà à ce sujet, de façon jusque là strictement bilatérale.

Chirac, ou l’éloge des méthodes fédéralistes ?

Plus intéressant encore (surtout quand on se souvient de ses récentes sorties sur ces questions, lors de l’affaire HP...) on découvre que Chirac finalement « mange son chapeau » en acceptant ainsi -pour l’avenir- beaucoup plus d’intégration européenne qu’il ne le fit sans doute, en fait, jamais.

Ainsi, le président de la République propose ouvertement que l’on ait beaucoup plus souvent recours à des méthodes communautaires franchement intégrées :

 (1) par la mise en place d’une véritable « gouvernance économique » de l’Union (sans plus de détails, mais tout de même...).
 (2) par la mobilisation d’investissements européens (pour investir massivement dans le domaine de la recherche...).
 (3) par la mise en place de fonds européens pour amortir le choc des délocalisations (et afin de pouvoir répondre efficacement aux effets pervers de la mondialisation...).
 (4) par la mise en place d’une réorganisation des infrastructures de transport à l’échelle de l’Union (on dirait ici presque du « Delors » dans le texte : il ne manque guère qu’un programme de grands travaux et on y serait presque...).
 (5) ainsi que par la mise en place d’une stratégie européenne pour le développement du tiers monde (grâce à des projets financés à l’échelle européenne...).
 (6) ou, mieux encore, par la poursuite de l’intégration communautaire dans des domaines « réservés » aussi sensibles en France (et pour le « Post-gaulliste » Chirac...) que ceux des PESC et PEDC...

Bien entendu tout cela reste assez flou : on ne connait pas les modalités de l’action préconisée et on ne sait pas très bien si tout cela doit rester intergouvernemental ou si cela doit effectivement être géré selon des dispositions plus intégrées... (mais tout de même...).

Il est ainsi des « conversions » franchement surprenantes, même si elles ne sont jamais complètement inintéressantes.

Là, désormais, sur ce chemin de Damas qui mène plus surement vers Hampton Court (voire Bruxelles, ou Strasbourg...), on serait ainsi tenté de dire au « pénitent » repenti qu’il va néanmoins, maintenant, falloir résolument passer des seules paroles aux actes politiques véritablement tangibles.

Retour au dialogue ?

Bien sur, il semble qu’il y ait encore des lignes de clivage évidentes entre les divers partenaires, et des « lignes rouges » à ne pas franchir (et des « lignes rouges » qu’on ne peut guère forcer autrui à franchir...).

Et nul ne doute qu’on continuera encore un bon moment à s’écharper « communautairement » sur des questions aussi diverses et variées que celles de l’« Europe puissance » ou « Europe espace », de la réforme institutionnelle (dont promis, c’est juré, on reparlera plus posément sous la prochaine présidence autrichienne...), de la gouvernance économique de la zone euro (visiblement ardemment souhaitée, mais encore indéfinie...), de l’existence de « groupes pionniers » ouverts, sans même parler de la défense de la PAC à l’OMC... (et sans parler de la défense du fameux « rabais britannique » dans le seul cadre du budget communautaire...).

Néanmoins, quoi que timide à bien des égards, il semble que cette tribune signée par Jacques Chirac (certes, « en valeur absolue », bien peu ambitieuse et apparemment sans véritable plan d’ensemble...), soit néanmoins l’amorce d’une reprise nécessaire d’un dialogue communautaire : une recherche timide mais nécessaire des convergences communautaires, recherche timide mais nécessaire sans laquelle rien de bien probant ne serait sans doute possible.

Cependant, on espère que ces déclarations ne sont pas -une nouvelle fois- que de seules « paroles verbales » ayant pour seul objet d’essayer de rendre populaire à peu de frais un Président bel et bien en fin de règne (et servant sans doute à essayer de faire porter le chapeau de la discorde aux Britanniques en cas d’échec final de ce nouveau sommet...).

Les paroles volent, les actes restent

Apparemment, même si l’expression de ses idées restent parfois du domaine de l’imprécis, du flou et de l’implicite, il semble que M. Jacques Chirac sache visiblement très bien ce qu’il faut donc faire pour essayer de sortir l’Europe de la crise politique et du marasme économique actuels...

Mais faut-il encore s’en donner véritablement les moyens, ne serait-ce que financiers... Car il va sans doute être décidément bien difficile de financer tous ces beaux projets de « relance communautaire » avec un budget européen au rabais, négocié en « radins » sur la base d’un plus petit dénominateur commun.

Alors, comme les bons mots et les belles paroles ne suffisent décidément pas : dont acte ! Allez, s’il vous plaît, encore un petit effort, Monsieur le Président !

Photo : Bruxelles le 17/02/2003 © Communauté européenne, 2005

Note : Cette tribune du Président de la République Jacques Chirac, publiée dans le « Figaro » du mercredi 26 octobre, a été simultanément publiée dans les vingt-cinq pays de l’Union européenne : notamment dans les quotidiens allemand « Frankfurter Allgemeine Zeitung », belge « Le Soir », espagnol « El Pais », italien « Corriere della Sera », polonais « Rzeczpospolita » et britannique « Financial Times ».

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