Garde à vue : pourquoi la France est-elle mauvaise élève ?

, par Marine Privat

Garde à vue : pourquoi la France est-elle mauvaise élève ?

Le Conseil constitutionnel français a rendu le vendredi 30 juillet une décision qui fait l’effet d’une bombe dans la procédure pénale française. Grâce à la fameuse question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil s’est prononcé sur la conformité à la Constitution française de la mise en garde à vue. Une décision coup de poing qui nécessite de faire un tour d’horizon des différentes pratiques de la garde à vue chez nos voisins européens.

Le Conseil constitutionnel français a donc déclaré non conforme à la Constitution les principaux articles du code de procédure pénale régissant la garde à vue. Selon lui, ces articles ne permettent plus de concilier « d’une part la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs de l’infraction et, d’autre part l’exercice des libertés constitutionnellement garanties ». Le Sénat français avait d’ailleurs, en décembre 2009, rendu public un rapport dans lequel il faisait une étude comparée des différents régimes de la garde à vue, montrant ainsi que la France était en retard dans ce domaine. Une occasion pour nous de revenir sur plusieurs « points noirs », en matière de garde à vue.

Des conditions éparses pour prononcer la garde à vue

Dans tous les pays européens, mettre quelqu’un en garde à vue permet aux forces de police d’immobiliser un individu afin de l’interroger sur les faits d’une affaire. Mais la réunion des conditions pour placer quelqu’un en garde à vue diverges selon les pays. Le texte posant les conditions de la garde à vue démontre la singularité française. Seule la loi française pose les principes directeurs d’un placement en garde à vue, alors que dans de nombreux pays, il s’agit de dispositions constitutionnelles.

De plus, en France, le placement en garde à vue est très large puisque tout officier de police judiciaire peut « garder à sa disposition toute personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction ». Un placement donc très large qui s’adresse même aux mineurs. Loin d’être le seul pays européen dans ce cas, la France est rejointe par l’Angleterre et la Belgique, qui posent comme principe que toutes les infractions sont susceptibles d’ouvrir un placement en garde à vue. À l’inverse, dans d’autres pays européens, le placement est beaucoup plus encadré.

Dans les autres pays européens, la garde à vue est beaucoup plus encadrée

En Allemagne par exemple, le placement est exclu pour les infractions punies de moins de 6 mois d’emprisonnement. En Italie, le seuil est de trois ans d’emprisonnement et de cinq ans en Espagne. Le placement en garde à vue est plus restreint, préservant le caractère exceptionnel du placement. En Angleterre, en Belgique et plus particulièrement en France, le placement en garde à vue tend à se banaliser, avec plus de 790 000 gardes à vue en France en 2009. Une banalisation dangereuse quand on connaît un tant soit peu les conditions même du placement et le déroulement d’une garde à vue.

Même la durée de la garde à vue peut varier d’un pays à l’autre. En France et en Belgique, la durée classique d’une garde à vue est de 24 heures, renouvelables une fois. Au total, la durée d’une garde à vue ne peut excéder 48 heures, tout comme en Allemagne. En Espagne, la durée maximale de la garde à vue est de 72 heures, et de 96 heures en Italie. On constate donc un effet inverse entre les conditions de placement en garde à vue et la durée. En effet, il paraît plutôt logique que le placement en garde à vue d’une personne ayant commis une infraction passible de trois à cinq ans d’emprisonnement puisse être prolongée jusqu’à 72 voire 96 heures. À croire que plus l’infraction est sévèrement punie, plus le placement en garde à vue peut être prolongé. Une logique ambivalente mais pas forcément mauvaise quand on sait qu’en France toute personne peut être placée en garde à vue même pour une infraction mineure.

Des droits plus ou moins protégés lors du placement en garde à vue

Au moment du placement en garde à vue, la personne suspectée est privée de sa liberté. Il parait nécessaire, en vertu de la présomption d’innocence que des droits lui soient garantis lors du déroulement de la garde à vue. En France, le gardé à vue peut téléphoner à un de ses proches, consulter un médecin et s’entretenir avec un avocat pendant 30 minutes au début de la garde à vue. Le Conseil constitutionnel a pourtant été clair sur ce sujet, les dispositions légales françaises sont contraires à la Constitution : elles ne respectent pas les droits de la défense. L’entretien avec l’avocat ne dure que 30 minutes et se fait au début de la garde à vue sans que l’avocat n’ait accès au dossier de l’enquête ni ne puisse assister aux interrogatoires.

À part en Belgique, où la présence de l’avocat est aussi limitée qu’en France, nos voisins sont beaucoup plus souples sur la question. En Allemagne, Angleterre, Italie, Espagne et Danemark, le gardé à vue a droit à l’assistance effective d’un avocat dès le début de la garde à vue, sans limite de temps. Celui-ci peut assister aux interrogatoires, à part en Allemagne où il peut y assister uniquement si le gardé à vue en fait la demande.

Ici encore, la France constitue une exception à l’homogénéité européenne qui semble se dessiner en la matière. Sa singularité est d’autant plus remise en question qu’elle est illégale. En effet, la Cour européenne des droits de l’Homme a condamné à deux reprises la Turquie concernant la présence de l’avocat. La Cour déclare dans l’arrêt Salduz contre Turquie du 27 novembre 2008 que la présence de l’avocat est nécessaire dès les premiers stades des interrogatoires. Dans son deuxième arrêt Davanan contre Turquie du 13 décembre 2009, la Cour estime que « l’équité d’une procédure pénale requiert d’une manière générale que le suspect jouisse de la possibilité de se faire assister par un avocat dès le moment de son placement en garde à vue ou en détention provisoire ». La jurisprudence de la Cour européenne s’appliquant à tous les États ayant signée la Convention, il est à craindre que la France se fasse condamner d’ici peu pour le même motif.

Des conditions de garde à vue à revoir

Un des derniers points noirs en matière de garde à vue concerne les conditions de déroulement de la garde à vue. En France, la loi ne pose aucune disposition précise concernant la privation de liberté en elle-même, ni les conditions matérielles du placement. Chaque garde à vue sera alors propre à chaque commissariat. L’état de salubrité des cellules, le nombre de personne par cellule et la qualité de chaque personne dans une cellule ne sont pas appréhendés par la loi. Les fouilles corporelles et le port de menottes est aussi monnaie courante. De nouveau, la France est à part.

D’autres pays européens ont inscrits noir sur blanc dans la loi les modalités du placement en garde à vue. À ce titre, on peut noter qu’en l’Angleterre, bien que la loi autorise le placement en garde à vue pour toute infraction, quelle qu’elle soit, elle impose néanmoins, une série d’obligation aux forces de police. Le suspect doit être placé dans une cellule individuelle, propre, chauffée, aérée et éclairée. Le gardé à vue peut même bénéficier de huit heures de sommeil continues et de vêtements de rechange. Un minimum d’exercice physique est même recommandé lorsque la garde à vue est prolongée. Par ailleurs, en Allemagne, les personnes gardées à vue ne peuvent être mises dans la même cellule que des toxicomanes. Enfin, l’Espagne prévoit que tout « excès physique ou psychologique pou obtenir une déclaration » est interdit, tel que le chantage ou la violence verbale.

Dans ce panorama européen, le placement en garde à vue parait plutôt homogène. La France fait pourtant tache dans le paysage et constitue même une exception. Il est clair que la décision du Conseil constitutionnel est un grand soulagement pour beaucoup, mais rien n’est encore fait. Le Gouvernement français a onze mois pour proposer une réforme totale de la procédure pénale française en matière de garde à vue. Un délai à la fois court et long : court pour créer un nouveau texte de loi, tenant compte de tous les intérêts en cause et long pour les personnes placées en garde à vue, sous l’empire de l’ancienne loi, toujours en vigueur.

Illustration : Arrestation

Source : Flickr

Vos commentaires
  • Le 28 août 2010 à 00:39, par Frank Stadelmaier En réponse à : Garde à vue : pourquoi la France est-elle mauvaise élève ?

    Merci, Marine, pour cette excellente étude comparative ! En effet, les conditions de garde à vue, ainsi que d’autres pratiques policières en France - l’état des prisons, le comportement des policiers lors des contrôles d’identité ... - ne peuvent que surprendre.

  • Le 29 août 2010 à 16:15, par KPM En réponse à : Garde à vue : pourquoi la France est-elle mauvaise élève ?

    C’est un article très intéressant, mais le titre n’est peut-être pas très bien choisi. En effet, après avoir lu l’article, si on sait pour quoi la France est considérée comme un mauvais élève, on ne sait toujours pas pourquoi elle se conduit de cette façon. Du coup, on reste un peu sur sa faim :)

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