Günther Oettinger

Le bannissement à Bruxelles est une chance. Pour lui et pour l’Europe

, par Traduit de l’allemand par Stéphane du Boispéan, Vincent Venus

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Günther Oettinger

En Allemagne, Oettinger était tombé en disgrâce. Tant auprès de la chancelière que du peuple. Cela ne surprend pas, mais c’étaient ses mauvais titres dans la presse qui influençaient son image auprès de l’opinion publique, puis en dernier lieu son mauvais anglais. Cependant, Oettinger n’a pas que des faiblesses.

La première peur est passée

Le 24 octobre de l’an dernier, cela devenait officiel : la chancelière Merkel nomme Günther Oettinger comme membre allemand de la Commission Européenne. Les cris d’orfraie dans le camp pro-européen en Allemagne se faisaient entendre. Un baron régional souabe au « gouvernement » de l’Europe ? Après son approbation par le Parlement Européen, il a pris ses fonctions le 10 février. Pour les cinq prochaines années, il sera en charge du portefeuille de l’énergie.

Günther Oettinger a beaucoup d’opposants : dans son parti, dans la presse mais également dans la population. Il tend lui même le bâton pour se faire battre. Un exemple est l’éloge funèbre de l’ancien ministre-président du Bade-Würtenberg et ancien juge de la marine nazie Hans Filbinger en 2007. Oettinger y affirma, que ce dernier n’aurait jamais prononcé de condamnation à mort et aurait été bien au contraire victime des nazis. Sa prise de distance avec ses propos lui évita le pire. Mais il n’en resta pas moins une adresse à l’opinion publique, qui terni sa réputation. La même année il affirma lors d’une rencontre privée avec son ancienne corporation d’étudiants que selon lui, la guerre avait résolu beaucoup de problèmes sociaux.

Les médias titrent « pire que Westerwawe » [1]

Ce n’est pas seulement de l’ironie, mais aussi de la pitié qui lui fut exprimée il y a quelques semaines, lorsqu’un de ses discours en anglais se retrouva sur youtube (l’original a été entre temps bloqué pour des raisons de droits d’auteur).

Son accent catastrophique [2] provoqua beaucoup de rires à la télé et de commentaires sarcastiques dans la presse et la blogosphère. Ce n’est pas étonnant, car il avait prophétisé par le passé que l’anglais allait devenir la langue de travail et que chacun devrait la maitriser. Dans sa fiche personnelle pour le Parlement Européen, il avait certifé une « bonne connaissance » de l’anglais. Beaucoup pensent, qu’il aurait alors enfin fourni la preuve qu’il était une erreur de casting.

Le Oettinger politique

Si l’on met de côté les polémiques politiques et si l’on admet ses dérapages malheureux, le portrait d’Oettinger n’est pas si catastrophique que cela. Né en 1953 à Stuggart, c’est aujourd’hui un parlementaire chevronné : 14 années comme élu local, et quasiment 26 ans au Parlement Régional sont à mettre à son actif. A ce chrétien-démocrate, on reconnaît des compétences sur les questions économiques et si beaucoup de commentateurs lui reprochent un manque de charisme, il parvient à prouver le contraire par ses positions opposées à la chancelière. Ainsi lors du débat sur les baisses d’impôts mais également sur la question de l’augmentation des retraites. Il a par ailleurs la réputation d’être un bon analyste, soucieux des détails, ce qui est surement lié à ses études de droit et de macro-économie. Cette caractéristique a joué en sa défaveur dans son rôle de « Père de la région ». Il avait la réputation d’être disant des gens, impopulaire et incapable, d’utiliser son administration de façon efficace. Il n’était certainement pas un homme des grands mots, mais de l’autre côté, il a, à part au niveau de l’opinion publique, « réussi beaucoup », comme le reconnaît la FAZ. C’est en particulier son sens du compromis, qui lui fut reproché comme faiblesse à l’intérieur de son parti, qui sera un grand avantage pour lui au sein de l’administration de l’UE. C’est après tout lui, qui est allé jusqu’à envisager une coalition avec les verts et qui en tant que président de la seconde « Commission sur l’avenir du fédéralisme » sauva l’inscription de la limitation des déficits dans la Constitution. La question est bien sur de savoir ce qu’un expert de l’économie vient faire dans le secteur de l’énergie. Mais cette critique ad hominem doit être relativisée par le fait que les portefeuilles à la Commission, tout comme à l’échelle nationale, sont rarement attribués en fonction des compétences, mais bien plus selon des aspects de stratégie partisanes.

Adopté par le Parlement

Son premier défi à l’échelle européenne, Oettinger l’a maitrisé. Après une audition de trois heures devant la Commission de l’Industrie et du Parlement Européen le 14 janvier, il eu droit à des compliments de beaucoup de députés. Dans son introduction, il annonça un partenariat étroit entre lui et le Parlement, pour mettre en œuvre l’européanisation de la politique énergétique européenne. Depuis le Traité de Lisbonne, il y a selon lui de nouvelles compétences à Bruxelles, qu’il souhaite « explorer courageusement ». Ceci est bien sur selon lui à faire conformément au principe de subsidiarité, mais il est prêt à prendre des risques dans les négociations avec les États-membres.

Cette annonce intrigue, mais pourrait signifier, qu’il est toujours prêt à contredire la chancelière et ainsi à justifier ce qui est pour lui une évidence, qu’il est un commissaire « proposé par l’Allemagne » et « pas un allemand ». Comme bonne nouvelle pour les amis de l’intégration européenne, il faut noter son objectif de mise en place d’une solidarité des approvisionnements sur le marché européen de l’énergie. Selon lui, cela devrait signifier que les Etats devraient s’aider lors de situations critiques et qu’il ne devrait plus y avoir d’accords qu’entre l’UE en tant que bloc et ses partenaires. Il refuse les « cavaliers seuls » et nomme comme exemple nommément le pipeline de la mer Baltique. Ce dernier doit approvisionner l’Allemagne à partir de 2012 en gaz russe, mais contourne des Etats-membres comme la politique et contredit ainsi l’idée fondamentale d’une union solidaire.

En plus de toutes ces promesses qui sont à saluer, il faut aussi mentionner le fait qu’il a seulement confirmé des décisions déjà existentes. On cherche en vain des visions nouvelles. En particulier sur les questions polémiques, comme la question de l’énergie nucléaire, il se révèle insipide. Il dit respecter la répartition des compétences et être conscient que « la question du pour ou contre l’énergie nucléaire incombe aux citoyens et aux législateurs nationaux ». Lui même considère l’énergie atomique comme une « technologie de transition raisonnable » dont on aurait encore besoin 20 ans.

Un résumé provisoire

Sur la personne et le degré de sympathie de Günter Oettinger, on peut débattre. En tant que « Père de la région » du Bade-Würtenberg il n’était pas particulièrement populaire et il doit avant tout son poste de preste à Bruxelles à sa carrière sans envergure au pays. Cependant il ne faudrait pas le considérer trop vite comme une erreur de casting, même si il n’est pas le candidat idéal. Oettinger est un technocrate qui connaît son sujet, mais qui se présente mal. Ses essais de se montrer proche des gens, se sont assez souvent soldé par la consternation des concernés. Avec ces (in)compétences, il est effectivement mieux équipé pour Bruxelles. Là bas, nul besoin d’assister aux défilés du carnaval ou de prononcer des éloges funèbres. Là bas il peut faire ce en quoi il excelle : analyser et aboutir à des compromis. Et qui sait, peut-être arrivera-t-il vraiment à faire avancer l’intégration européenne, même dans le seul secteur de l’énergie.

Illustration : photographie de l’audition de Günter Oettinger devant le Parlement européen, issue du site de la Commission européenne.

Notes

[1surnom de Westerwelle, vice-chancelier et ministre des affaires étrangères allemand

[2Note du traducteur : selon les critères allemands...

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