ICANN : quel rôle de l’Europe dans la gouvernance d’Internet ?

, par Maël Donoso

ICANN : quel rôle de l'Europe dans la gouvernance d'Internet ?

Depuis le 1er octobre, les États-Unis partagent un peu leur contrôle sur l’ICANN, et ouvrent sa direction à d’autres acteurs internationaux. L’Union européenne est pour beaucoup dans cette évolution, qui pourrait annoncer une future gouvernance mondiale d’Internet.

L’ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers) est chargée « d’allouer l’espace des adresses de protocole Internet (IP), d’attribuer les identificateurs de protocole, de gérer le système de nom de domaine de premier niveau pour les codes génériques (gTLD) et les codes nationaux (ccTLD), et d’assurer les fonctions de gestion du système de serveurs racines » [1]. En d’autres termes, cette organisation est la pierre angulaire d’Internet. Bien que son personnel et ses participants soient issus du monde entier, l’ICANN conserve son siège aux États-Unis et reste donc régie par le droit local. Toutefois, depuis le 1er octobre, le nouvel accord signé avec le gouvernement fédéral américain ouvre la voie à une internationalisation du système.

ICANN, clé du réseau mondial

Officiellement, l’ICANN a pour mission de « préserver la stabilité opérationnelle d’Internet, de promouvoir la concurrence, d’assurer une représentation globale des communautés Internet, et d’élaborer une politique correspondant à sa mission suivant une démarche consensuelle ascendante » [2]. Cet objectif basique d’opérationnalité, de liberté et de représentativité d’Internet est partagé par bien d’autres acteurs que le gouvernement américain. C’est dans cette perspective que la commissaire européenne Viviane Reding avait demandé, en mai dernier, la privatisation complète et l’entière responsabilité de l’ICANN à partir du 1er octobre.

« Je suis convaincue que le président Obama aura le courage, la sagesse et le respect de la nature mondiale de l’Internet pour ouvrir la voie dès septembre à une nouvelle forme de gouvernance de l’internet, plus responsable, plus transparente, plus démocratique et plus multilatérale » avait-elle déclaré [3], en ajoutant que l’Europe était prête à soutenir les efforts allant dans ce sens. Partant du principe que la diffusion mondiale d’Internet rendait nécessaire la fin du monopole américain, elle avait également prédit : « À long terme, il n’est pas défendable qu’un service public d’un seul pays ait un droit de regard sur une fonction de l’Internet utilisée par des centaines de millions de personnes à travers le monde entier. »

Les souhaits de Viviane Reding se sont en partie concrétisés. Le nouvel accord entre l’ICANN et le gouvernement fédéral américain renforce le poids des gouvernements étrangers et crée quatre comités chargés d’évaluer régulièrement l’organisation [4]. Si les États-Unis occupent toujours une place centrale et particulière dans la gestion de l’ICANN, cette réforme montre que la tendance est à l’internationalisation d’Internet. L’Union européenne a réussi là un travail efficace auprès de l’administration Obama, qui a apporté au monde un signal positif en matière de partage des responsabilités et de collaboration planétaire.

Quelle gouvernance pour Internet ?

Il reste encore à déterminer si la réforme de l’ICANN sera appliquée réellement et de manière transparente. Le chemin est encore long jusqu’à une véritable gouvernance mondiale d’Internet, et sa concrétisation demandera des efforts et une implication de la part de tous les acteurs internationaux, et pas seulement des États-Unis. La situation actuelle reste assez primitive en termes de coopération renforcée, même si l’ICANN affirme que dans sa structure, « les gouvernements et les organisations de traité international travaillent en partenariat avec les entreprises, les organisations et les spécialistes » [5]. La notion de « partenariat » est moderne et intéressante, mais ne remplace pas une bonne vieille intégration avec des clauses juridiquement contraignantes.

Par ailleurs, qui aurait vocation pour décider, à terme, des grandes orientations de l’ICANN ? Si certains pays souhaiteraient confier cette mission à une agence des Nations Unies, cette solution ne plaît pas à tout le monde, étant donné l’inefficacité actuelle de l’Assemblée générale. Viviane Reding a quant à elle suggéré la formation d’un « G12 de la gouvernance de l’Internet ». Une fois de plus, nous voyons le flou auquel nous sommes confrontés dès qu’il s’agit de prendre des décisions au niveau planétaire. Dans la mesure où les Nations Unies sont actuellement la seule structure à posséder un début de légitimité mondiale, la logique voudrait qu’on confie la gouvernance d’Internet à cette organisation, une fois que son mode de fonctionnement aura été réformé. Cette réforme pourrait par exemple se concrétiser avec la mise en place d’une Assemblée parlementaire [6].

Certaines personnes pourraient se demander s’il est vraiment nécessaire qu’une institution décide des grandes orientations d’Internet. Le réseau n’est-il pas libre et multiple ? N’a-t-il pas fait la preuve de sa capacité d’autorégulation ? Il faut alors rappeler que les technologies de l’information n’ont pas émergé sur un terrain vierge, et que les nouveaux horizons numériques ne sont pas affranchis des anciens rapports de force. Il suffit de se souvenir de toutes les start-ups qui ont fleuri aux premiers jours de l’Internet commercial, convaincues de pouvoir se développer à leur guise dans un espace libre de toute concurrence, jusqu’à ce que d’autres entreprises, plus puissantes et plus anciennes, comprennent le potentiel du réseau et l’envahissent à leur tour… avec des ressources marketing bien supérieures, et écrasant au passage une bonne partie des pionniers.

Le réseau Internet connecte des réalités préexistantes. La domination totale des États-Unis sur l’ICANN était le reflet de leur hégémonie économique et militaire, et le partage récent de ce contrôle accompagne la transition vers un monde multipolaire. Le réseau n’est ni gratuit, ni neutre, ni évident : la réflexion sur l’organisation et les orientations futures d’Internet sera nécessaire pour ouvrir la voie à une intégration planétaire démocratique et fonctionnelle, seule capable de surmonter les différents défis du vingt et unième siècle. Les problématiques d’un Internet citoyen rejoignent ainsi celles d’une Europe citoyenne.

Génération Internet, génération Europe

Entre la construction européenne et l’internationalisation du réseau, le point de convergence pourrait être générationnel. La cooccurrence de la génération Internet et de la génération Europe est un facteur dont nous pouvons difficilement prévoir toutes les conséquences, mais dont le rôle sera sans doute majeur. La « génération Y » [7], celle qui a vécu le développement massif de l’informatique accessible à tous, est également la première pour laquelle l’Europe est une réalité naturelle. Paradoxalement, alors que les horizons de cette génération sont éminemment européens (Union européenne, Erasmus), ses outils de communication et d’information sont presque exclusivement américains (Google, Yahoo, Facebook, MSN, Wikipedia), et ses valeurs empruntent beaucoup au… Japon, via la culture des mangas.

Il sera sans doute intéressant de suivre comment cette génération européenne, qui a également vécu la fin de la guerre froide et le début de l’écologie grand public, procédera pour trouver sa place dans le monde. Allons-nous assister au développement en Europe de plateformes informatiques et d’entreprises de logiciel d’envergure mondiale, capables de concurrencer les États-Unis ? Serons-nous plutôt dans une logique de coopération renforcée, à tous les niveaux, avec nos partenaires américains et mondiaux ? Comment procéderont les citoyens de demain pour défricher et civiliser la jungle d’Internet ?

Une chose est certaine, l’Europe doit saisir cette occasion historique de fonder une nouvelle gouvernance du réseau mondial, et continuer à s’impliquer dans la réforme de l’ICANN et les nouvelles orientations d’Internet.

Illustration : siège de l’ICANN et de l’Institut des Sciences de l’Information de l’Université de Californie du Sud, à Marina del Rey, Californie. Source : Wikimedia.

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