Horia-Victor Lefter : Appartenez-vous à un mouvement politique ? Si oui, auquel et pourquoi à celui-là en particulier ?
Piotr Kuznetsov : Je suis membre du mouvement biélorussien « Za svobodu » (Pour la Liberté) et, je dirige la section de cette organisation dans la région de Gomel. Mais je n’appellerais pas notre mouvement « politique ». Il est plutôt « sociopolitique ». Nous nous définissons ainsi parce qu’il est plus large que les partis politiques standards. Les partis ont un programme politique et, en théorie, ils essaient de le mettre en œuvre quand ils arrivent au pouvoir. Mais la situation au Bélarus est plus compliquée. Il est difficile de parvenir au pouvoir par le biais de méthodes légales. La dictature n’organise pas des élections. Elle les simule.
Ainsi le mouvement « Pour la Liberté ! » résout un éventail plus large de problèmes : nous nous battons pour un changement de législation, pour la rendre plus démocratique. Nous essayons de sensibiliser la population en faveur du choix européen pour le Bélarus. Nous agissons pour rendre la population consciente des valeurs démocratiques, essayant de faire en sorte que la majorité des Biélorussiens soutiennent la démocratie, au lieu du régime autoritaire qui domine maintenant. Mais il n’est pas si simple de faire un tel choix, car plus de soixante-dix ans auparavant ce pays était dirigé par une dictature communiste et cette habitude entrave l’évolution vers la démocratie. Par conséquent, nous considérons comme une priorité le fait de changer la manière dont le monde est perçu et les préférences des Biélorussiens.
Sachant que vous habitez Gomel, comment est-ce appartenir à l’opposition en province ?
C’est différent de multiples manières. Les gens sont différents et agissent comme tel. Mais ce n’est certainement pas de manière heureuse. Il n’y a pas beaucoup d’opposants en province. C’est en partie aussi parce qu’il y a moins d’habitants. Par conséquent, il est plus simple pour les services secrets de nous contrôler. Nous sommes toujours visibles et, ainsi, toujours sous le risque de se voir attaqué.
En ce qui me concerne, je n’ai pas autant de problèmes que les autres opposants provinciaux. Je suis fier d’être dans l’opposition et j’en parle ainsi que je l’écris ouvertement. Les gens en ville me connaissent, me reconnaissent dans la rue et (par exemple) me font des réductions au marché.
J’ai beaucoup d’amis et de personnes qui pensent de la même façon et je me sens à l’aise avec eux. On peut dire peut-être que si l’opposition n’avait pas peur de parler ouvertement avec les gens et de s’exprimer tout le temps par le biais d’internet, des flyers et des journaux, alors les gens la verraient et lui poseraient des questions, réfléchiraient et la soutiendraient. Enfin, toute la publicité négative que les autorités nous font, serait compensée par celle positive que les gens simples s’en feraient par eux-mêmes.
Ce mois ci l’anniversaire des élections présidentielles de 2010 est célébré. Nombreux ont entendu de ces événements qui ont eu lieu commençant par la nuit d’après les élections. Comment la campagne s’est déroulée en province ? Et que s’est-il exactement passé en province après les élections ?
Rien de comparable aux événements survenus dans la capitale ne s’est passé en province, à part la peur qui avait accaparée nos esprits quand nous regardions ce qui se passait dans la capitale. D’ailleurs, c’est une pratique courante du gouvernement biélorussien. A tous les évènements similaires aux protestations de Décembre à Minsk, les autorités rassemblent la police et le KGB dans la capitale, pour renforcer leurs effectifs. C’est peut-être une raison pour laquelle ils n’ont pas assez d’effectifs en province et nous étions assez tranquilles. La seule contrainte, c’est que presque tous les sites internet indépendants ont été bloqués et la seule source d’information que nous avions restait Twitter.
Et c’est après que tout a commencé…Peu de temps après nous avons goûté à tout ce que s’était passé avant dans la capitale : arrestations, perquisitions, saisies de l’équipement de bureau et des biens personnels. Et cela a continué jusqu’en mars, avant le printemps !
Comme Gomel a été la première région contaminée par les effets de l’explosion de Tchernobyl, est-ce que votre mouvement est plus impliqué dans la question environnementale que les autres régions ? Ou est-elle (votre opposition) plus justifiée par la manière dont les autorités gèrent les zones contaminées que les autres régions du Bélarus ?
Sans doute. Nous voyons que le gouvernement ignore la catastrophe qui continue dans notre région. Selon l’idéologie officielle, notre président est le meilleur du monde. Pour que les gens croient à cela, il doit leur être dit qu’ils vivent mieux que les autres. Partant de ce principe, affirmer que quelque part, comme dans la région de Tchernobyl, il y a un problème, n’est pas acceptable. Et si on ne parle pas des problèmes – ils persisteront.
Et le gouvernement installe des gens sur ces terres polluées, des femmes accouchent ici, des personnes âgées y vivent, on y produit de la nourriture etc. Entre temps, même les statistiques officielles indiquent que 72% des nouveaux nés dans la région de Gomel sont nés avec diverses maladies. Le nombre de cas de maladies oncologiques est 150 fois plus important qu’il y dix ans. Les gens meurent ! Et on nous dit que tout est bien. Comment est-il possible de rester indifférent ?!
Puisque nous parlons du désastre de Tchernobyl, quelle est la situation actuelle à Gomel ?
J’en ai déjà parlé précédemment. Mais la principale conséquence concerne la santé de la population. Il y a des choses que j’ai constaté chez moi, bien que je me considère en bonne santé. La principal problème c’est que la solution aux problèmes actuels dépende du gouvernement en place. Comme je l’ai précédemment dit, les autorités préfèrent prétendre qu’il n’y a point de problème. C’est plus simple que de s’en occuper. Par conséquent, des légumes y sont cultivés, des aliments y sont produits et par la suite distribués dans tout le pays. La nation souffre donc.
On a constaté une augmentation catastrophique des maladies cardiaques, oncologiques et concernant les enfants dans notre région. Et aucun de ces problèmes n’est résolu. Le président rassure la population depuis les écrans de télé : « Alors, quel est donc le problème ? Où est-il ? Je ne le vois pas ». Et les gens non instruits en font écho : « Il n’y a pas de problème », et s’assoient après à la queue pour consulter le médecin. De nombreux problèmes pourraient être résolus, si les autorités n’avaient pas une telle position vis-à-vis de la situation dans la région.
Que pensez-vous de la manière dont l’Europe a réagi vis-à-vis de ce qui s’est passé au Bélarus cette année ? Comment commenteriez-vous la déclaration de Stefan Füle selon laquelle « le Bélarus est placé en haut de l’agenda européen » et que « nous voulons renforcer le dialogue avec l’opposition et la société civile au Bélarus et offrir aux gens une vision claire d’un meilleur avenir européen » ? [2]
Je salue les initiatives de M. Füle ainsi que celles d’autres personnalités européennes. Cela fait plaisir de savoir qu’ils ne nous oublient pas. Toute aide est maintenant importante pour les Biélorussiens, même la simple preuve de Solidarité.
Dans les cercles de l’opposition biélorussienne, circule l’idée que l’Europe pourrait occuper une position plus active et, ainsi, aider d’avantage et de manière plus puissante. Mais je ne partage pas cet avis : nous avons vu que cette année l’Europe a du faire face à de nombreux problèmes, en commençant par les opérations militaires en Libye jusqu’à la crise de la zone euro. Il est clair qu’il y a de nombreux autres problèmes et que nous ne sommes pas une priorité. Ainsi, l’attention qui a été accordée au Bélarus, à sa société civile, a été très précieuse, et nous en sommes reconnaissants.
Quel avenir voyez-vous depuis la province pour le Bélarus ?
Le Bélarus est un pays très compact et unitaire et, par conséquent, la manière de percevoir sa condition et ses perspectives pour l’avenir dans la province n’est pas très différente de celle de la capitale. L’avenir du Bélarus me semble maintenant très confus du fait que le pays soit pris en otage par un groupe très restreint de personnes qui usurpe le pouvoir. Tout dépendra de la capacité de la société biélorussienne à rassembler ses forces et à faire la différence.
Quels liens sont établis entre vous (le mouvement auquel vous appartenez) et l’Europe (l’Union européenne) ?
Il y a des liens très variés, en commençant par ceux avec des gouvernements spécifiques, par l’intermède du Ministère des Affaires étrangères an passant par le Parti Populaire européen et les députés européens. Tous ces liens nous sont très utiles dans notre travail.
Les difficultés que le Bélarus rencontre ces derniers temps, particulièrement sur le plan économique et, le fait que la population se retourne de plus en plus contre Loukachenka, sont elles la seule raison d’une opposition civile en expansion ?
Certainement pas ! En 2006, après la campagne pour l’élection présidentielle, l’opposition avait mobilisé, selon différentes estimations, environ 30 000 personnes. Mais comme ensuite le pays a connu une croissance économique, les Biélorussiens n’ayant jamais vécu aussi bien qu’en 2006, la population a cessé de protester avec la même vigueur contre le régime. En 2010, la situation s’est répétée : le niveau de vie s’était encore élevé au moment de l’élection présidentielle (pour baisser ensuite), mais le nombre de protestataires avait déjà augmenté pour atteindre 50 000 personnes ! En fait, les Biélorussiens sont très fatigués du système actuel : de l’injustice, des mensonges à la télévision, des autorités se vantant de manière infondée sans arrêt.
Pendant l’augmentation du niveau de vie, la majorité de la population avait accepté de supporter le pouvoir en place. SUPPORTER – un mot clef. Quand le niveau de vie a baissé, cette raison a cessé d’exister et, la population a commencé à dire ouvertement : il est impossible de continuer à vivre ainsi ! Il est nécessaire de faire en sorte que ces mots deviennent des actes…
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