Jean-Pierre Chevènement : « La France est-elle finie ? »

Le pari pascalien de Mitterrand

, par Nicolas Leron

Jean-Pierre Chevènement : « La France est-elle finie ? »

O tempora ! O mores !

Du dernier livre de Jean-Pierre Chenèvement résonne un air de complainte de la décadence du Bas-Empire et des valeurs perdues de la République. La France s’est détournée de la Nation et de la République. Elle s’est doublement fourvoyée dans l’entreprise européenne et le tournant néolibéral ; et les socialistes, Mitterrand à leur tête, en portent la lourde responsabilité.

Mais la France actuelle, issue de la renaissance gaullienne, n’est-elle pas finalement que le reflet d’un astre qui aurait implosé au cours des journées de Juin 1940, comme ose le penser Régis Debray ? N’a-t-elle d’autre perspective de salut que celle de « passer à travers les gouttes », comme l’aurait confessé François Mitterrand ? Mais au-delà du naufrage moral, n’est-ce pas la chair même de cette « nation politique » qui part en lambeaux ?

Car, sans recours véritable possible à toute forme de holisme (la race, l’ethnie, le sang), qu’est-ce que la France si les valeurs civiques, républicaines et de solidarité s’estompent au profit du consumérisme ambiant, de l’individualisme narcissique et de l’apolitisme ?

Jean-Pierre Chevènement, ministre sous les trois derniers gouvernements socialistes et trois fois démissionnaire, président d’honneur du Mouvement républicain et citoyen (MRC), président de la fondation Res Publica et actuel sénateur du Territoire de Belfort, pose la question : « la France est-elle finie ? » Le point d’interrogation annonce, bien entendu, l’irréductible refus gaullien de la résignation au renoncement.

Mais avant la conclusion d’un destin ouvert, il faudra passer par l’examen de conscience tout au long de cet ouvrage de plus de trois cents pages écrites par une plume d’une qualité certaine au service d’une analyse d’une rare profondeur chez un politique. La qualité de l’écriture de Chevènement ne pallie toutefois pas le coté daté et rigide de sa pensée sur la question européenne.

Le pari pascalien de Mitterrand, l’Europe germano-centrée et la victoire des « sociaux-chrétiens-libéraux »

Jean-Pierre Chevènement fait partie des perdants de l’Histoire, ces « visiteurs du soir » qui soutenaient en 1983 « l’autre politique », celle que Mitterrand, sous la pression de Mauroy et Delors, écarta pour faire le choix de l’Europe, contre le socialisme. Le ressentiment de cette défaite historique semble toujours à fleur de peau. Jacques Delors, le social-chrétien, le social-libéral – le social-traitre ?

Le mot n’est pas lâché mais si fortement pensé – qui tient sa place dans l’Histoire grâce à une compromission de taille : servir les intérêts allemands contre ceux de la France. Nommé par Helmut Kohl, briefé par Karl Otto Pöhl, alors président de la Bundesbank, Jacques Delors est décrit comme l’auteur de l’Acte unique européen tant honni, de la directive de 1988 sur la dérégulation totale des mouvements de capitaux , de l’ « Euro-mark » , bref comme l’exécuteur testamentaire de la France au nom d’une vieille lune, l’Europe politique.

Mais c’est bien François Mitterrand qui décida du tournant historique, sous la forme d’un « pari pascalien » et au prix d’« une contradiction intime et pas forcément dialectique » , selon les mots de Chevènement. Et ce dernier d’essayer de comprendre les ressorts politiques mais aussi biographiques de ce choix funeste, quasi-suicidaire. Chevènement, au fond, nous dit que Mitterrand ne croyait plus à la grandeur « autonome » de la France. Celle-ci, inexorablement ravalée au rang de nation moyenne post-industrielle structurellement déclinante, n’aurait de choix bien compris qu’entre le lustre des étoiles mortes ou le dépassement de soi par le haut, par l’Europe communautaire. Face au mur, Mitterrand, dans un geste florentin, aurait emprunté la voie de biais, celle de l’oxymore : la poursuite de la grandeur de la France par l’Europe. « La France est notre patrie, l’Europe est notre avenir  », a professé Mitterrand ; ce qui, traduit par Chevènement, donne : « La France est notre passé, l’Europe sera notre patrie. »

Une première version de cet article est parue sur nonfiction.fr

Photo : « Jean-Pierre Chevènement au Sénat, 30 novembre 2009 », certains droits réservés par « chevenement »

Vos commentaires
  • Le 20 avril 2011 à 16:46, par HERBINET En réponse à : Jean-Pierre Chevènement : « La France est-elle finie ? »

    Si le bonheur d’une Europe unie dans la diversité m’était conté, comme les Pères fondateurs la conçurent ... François Mitterrand écrivit « la France est notre patrie, l’Europe est notre avenir ». Ne jetons aucun doute sur l’analyse fine de l’ancien Président de la République, puisque le bonheur communautaire est la finalité de toutes nos actions. Repousser aux calendes grecques le nationalisme, le populisme et l’euroscepticisme, promouvoir sans cesse le processus d’intégration, pour que ce bonheur puisse être atteint. Accepter l’inacceptable ... Dès lors pas surprenant que Pierre-Franck Herbinet, membre de la commission social-santé du Mouvement Européen, s’indigne. Pour autant, il maintient allumé la flamme fédéraliste et il inscrit son action au sein d’une démarche collective. Secrétaire Départemental du Mouvement Démocrate, Pierre-Franck Herbinet espère sincèrement que la capacité d’action d’une Europe politique, juste, solidaire et libérale, adossée à notre nec plus ultra « Weltanschauung », puissent satisfaire l’opinion publique, eu égard les forts enjeux pour les générations à venir.

    Pierre-Franck Herbinet

  • Le 22 avril 2011 à 14:40, par Krokodilo En réponse à : Jean-Pierre Chevènement : « La France est-elle finie ? »

    C’est sûr que voir la SNCF porter plainte contre Réseau ferré de France, c’est-à-dire une sorte de guerre civile juridique, ou encore EDF obligée de céder de l’électricité à ses concurrents pour qu’ils nous la renvoient soi-disant moins cher (alors que nous supportons le coût des centrales depuis des décennies, et leur futur démantèlement) tout ça au nom d’une pseudo-concurrence, assortie d’une privatisation de domaines stratégiques, de sous-traitance de la sécurité et de l’entretien des centrales, c’est un grand succès de l’UE en France.

  • Le 29 avril 2011 à 10:23, par HERBINET En réponse à : Jean-Pierre Chevènement : « La France est-elle finie ? »

    Que l’Europe soit ! Nous la voyons, nous la sentons, et pourtant ... De mots en maux, de points en poings, de voix en voies, et pourtant ... De nombreux problèmes l’assaillent. Puisée aux sources du Fédéralisme, embellissant notre avenir, l’Europe jouit de l’idéal humaniste, libéral et durable. Sublimant notre odyssée, comme un voile de soie, le vent des plages du débarquement caresse ma peau, le souvenir du cimetière blanc de croix et d’étoiles altère ma mémoire, l’audition de l’Ode à la joie me réjouit. Pierre-Franck Herbinet, Secrétaire Départemental (39) du Mouvement Démocrate, membre de la commission Social-Santé du Mouvement Européen, prévient que notre symphonie en tons majeurs doit s’attendre à temps difficiles, doit libérer des marges de manœuvre, doit s’accorder sur des instruments et prioriser les actions dans un contexte international ô combien fragile. De penser que l’homme, à condition qu’il s’organise, peut choisir son destin. Que soit l’Europe !

    Pierre-Franck Herbinet

  • Le 6 mai 2011 à 21:22, par T-A-M de Glédel En réponse à : Jean-Pierre Chevènement : « La France est-elle finie ? »

    « La qualité de l’écriture de Chevènement ne pallie toutefois pas le coté daté et rigide de sa pensée sur la question européenne . »

    Tenir ce genre de propos n’est-il pas la marque tutélaire de la rigidité intellectuelle ? Rigidité dis-je, non, l’aveuglement.

    L’Union des États européens est un discours aussi daté que le nationalisme au passage (Rousseau contre les révolutionnaires / Guizot, Saint-Simon, Hugo contre Barrès, Maurras et Déroulède...). Monnet et Schumann ont trépassé il y a 50 ans. Pourquoi leurs idéaux seraient-ils toujours si peu surannés, eux ?

    Lorsque les Catalans ou les Écossais sont en mesure d’organiser un référendum contraignant sur leur indépendance nationale d’ici 5 ans, est-ce daté ? Lorsque les pays d’Europe traverse une vague en faveur des extrêmes, l’est-ce également ? Bah non, c’est un fait, même si ça ne convient pas à votre idéal-type d’une modernité putative.

    Je suis sûr que vous tenez le même discours méprisant sur le concept de « démondialisation » avancé par Montebourg. C’est triste ce défaitisme intellectuel.

  • Le 7 mai 2011 à 09:06, par Valéry-Xavier Lentz En réponse à : Jean-Pierre Chevènement : « La France est-elle finie ? »

    Le fait est que si l’idée d’union des Européens est une idée ancienne, c’est bel est bien le nationalisme qui s’était imposé comme modèle d’organisation politique dominant depuis deux siècles. Fort heureusement en effet depuis la seconde guerre mondiale l’Europe a innové en mettant en place le début d’une structure post-nationale.

    La subsistance dans le débat public d’idéologues ultra-nationalistes tel un Chenèvement prouve toutfois que l’idée dangereuse et archaïque selon laquelle la division de l’espèce humaine en États-nations serait indépassable persiste parfois. Nous sommes là pour la combattre très précisément.

    Quand aux Catalans et les Écossais ils ne font que réagir aux nationalismes castillans et anglais. Il est plutôt heureux que s’impose l’idée selon laquelle plusieurs communautés peuvent cohabiter sans qu’il soit besoin de commettre un ethnocide comme l’ont fait en France les jacobins. C’est précisément parce que l’Union européenne se construit sur un mode post-national que nos pays n’ont pas à craindre d’y participer.

    Chenèvement se présente à la présidentielle ? Fort bien. Espérons que nos concitoyens lui feront subir l’humiliation électorale qu’il mérite.

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