Johan Swinnen : un diplomate au coeur de la présidence belge

Interview de Johan Swinnen, ambassadeur de Belgique à Madrid, ex-ambassadeur de Belgique au Congo et au Rwanda

, par Pierre-Alexandre Denoël

Johan Swinnen : un diplomate au coeur de la présidence belge

Ancien Ambassadeur de poids au Congo et au Rwanda, Johan Swinnen est maintenant en poste à Madrid. À un an et demi de la retraite, cet apprécié et très expérimenté diplomate belge a représenté son pays à des postes prestigieux comme New-York ou la Haye. Docteur en droit de la Katholieke Universiteit Leuven, ce limbourgeois d’origine nous a reçus pour un entretien exclusif sur la présidence belge du Conseil de l’UE.

Plus d’un mois après la clôture de la présidence espagnole et à quelques jours de la rentrée belge à la présidence du Conseil, la présidence de la Belgique débute dans un contexte de crise économique mondiale et de crise politique belgo-belge. La crise financière devenue aussi économique va rentrer dans sa troisième année, alors que le pays qui préside le Conseil depuis le 1 juillet 2010 vit une attaque existentielle sans précédent. Comment un pays incapable de définir le « vivre ensemble » peut-il prendre la présidence ? Quel rôle pour les nouveaux venus du Traité de Lisbonne ?

Le Taurillon : Les présidences espagnole, belge et hongroise sont organisées en trio, qu’est-ce que cela implique et comment cette coopération se fait-elle ?

Johan Swinnen : C’est avant tout un programme commun, travaillé, étudié et négocié qui s’étale sur une période d’un an et demi. Le travail de préparation a, quant à lui, duré plus de 2 ans ! Le socle commun du programme a été présenté au Parlement Européen, discuté, soumis et finalement adopté par la Commission Européenne. En soit la négociation d’un programme entre trois présidences tournantes est un exercice utile mais assez difficile.

Qu’est-ce que cela implique ? Avant tout beaucoup de contacts, à tous les niveaux : de l’administration aux Ministère en passant par les cabinets et les secrétaires d’État. Ces contacts sont permanents et continuent encore pendant la présidence. Ils permettent aux trois gouvernements de peaufiner et d’adapter chaque jour leurs orientations et leurs ambitions. Cela permet enfin de mieux évaluer les évolutions en Europe et dans le monde, parce que justement la présidence tournante du Conseil de l’UE se fait à trois !

Le Taurillon : Le Traité de Lisbonne est entré en vigueur en décembre 2009 sous présidence espagnole, quel jugement portez-vous sur le travail effectué par l’Espagne pour sa mise en œuvre ?

Johan Swinnen : Tout d’abord, s’il nous appartient d’évaluer la présidence espagnole, on peut difficilement faire abstraction du fait que cette présidence est intégrée un trio. Et donc l’évaluation n’a de sens que si elle est faite pour dans ce cadre.

La présidence espagnole en tant que telle s’est trouvée devant plusieurs défis. D’abord la crise économique qui nous est littéralement tombée dessus. Ensuite l’application du Traité de Lisbonne, effectivement. Dans ce nouveau contexte, avec cette nouvelle crise et ces nouveaux acteurs, la tâche n’était pas aisée !

Malgré ce contexte difficile, la présidence espagnole a fait preuve de beaucoup de volontarisme. Peut-être que celui-ci était trop affiché et qu’il a engrangé trop d’attentes d’un certain nombre d’acteurs. Il vaut mieux parfois rester sobre dans ces déclarations d’ouverture de présidence, pour ensuite donner plus de valeur aux résultats qui n’étaient pas attendus ou pas forcément évidents.

Le Taurillon : Quels sont les principaux objectifs de la présidence belge ?

Johan Swinnen : La Présidence belge sera sobre et pragmatique. Elle s’inspire d’un programme qui a été mis sur pied à trois et qui est le fruit de longue négociations. Il est maintenant confronté à la réalité et aux nouvelles évolutions. Mais celui-ci n’empêche pas non plus à une présidence de mettre ses accents propres. Nous pensons que la Présidence tournante a un rôle à jouer et qu’il ne faut pas non plus s’effacer derrière les 27 et la Commission.

La première priorité est bien évidemment la lutte contre la crise économique. Il faut donner une réponse européenne aux citoyens européens. En effet, les pays individuels ne sont pas suffisamment armés pour mener cette lutte seul. Dans cette bataille, il ne faut pas perdre de vue la dimension sociale, c’est notre deuxième objectif. Je vous rappelle que 2010 est l’année européenne de lutte contre la pauvreté !

Trois, le climat. Notre présidence mettra tout en œuvre pour que le nouveau rendez-vous de Cancun soit un succès. Nous voulons un rôle plus éminent et visible de l’Europe pour arriver plus près d’un résultat digne de ce nom. Á cette fin nous estimons que des alliances avec des continents ou groupes de pays, avec lesquels nous avons des liens étroits, pourraient représenter un atout.

N’oublions pas non plus l’espace de justice et de liberté auquel nous voulons donner plus de corps, via le programme de Stockholm adopté sous présidence suédoise : la lutte contre terrorisme, la mise en place d’un régime commun d’octroi d’asile, un échange d’information dans le domaine judiciaire et la reconnaissance mutuelle du jugement dans sphère pénale. Enfin, la mise en place effective du service diplomatique européen est notre dernier objectif. La place de l’UE dans le monde est menacée. Des signes inquiétants (e.g. Copenhague) nous font penser que l’Europe doit juger le rôle qui est le sien dans le monde d’aujourd’hui. Pour cela nous avons besoin d’outils, c’est pourquoi la mise en place du SEAE est appelée de tous nos vœux.

Le Taurillon : En présence d’un gouvernement en affaires courantes, c’est-à-dire en l’absence de nouveau gouvernement, ces objectifs sont-ils menacés ?

Johan Swinnen : Je serai être bref : ayons confiance. En effet, c’est la douzième présidence belge du Conseil de l’UE depuis sa création. Nous disposons d’une expertise collective incroyable. De plus, les ministres démissionnaires sont entourés de fonctionnaires et de collaborateurs, très expérimentés dans la plupart des cas. N’oublions pas non plus ce phénomène typiquement belge : nous disposons de plusieurs gouvernements régionaux aux compétences importantes ! Eux ne sont pas démissionnaires et seront aussi appelés à présider des réunions ministérielles. Le point le plus important serait sans doute le consensus dont dispose les orientations européennes en Belgique. Il n’existe pas de controverse ni de divergence sur ce sujet en Belgique.

Rappelons aussi que la Belgique n’est pas le seul acteur ! Le Traité de Lisbonne introduit le poste de président du Conseil européen et de Haut Représentant de la Politique Extérieure. Enfin, le travail législatif est préparé en étroite collaboration avec la Commission Européenne et le Parlement Européen.

Avec la présidence belge et un gouvernement démissionnaire, nous n’allons pas à l’aventure ! Certains désirent même que le gouvernement actuel reste en place jusqu’à la fin de la présidence belge. En effet, un nouveau gouvernement pourrait ne pas être aussi bien préparé que celui qui fait actuellement fonction. Néanmoins, ni un gouvernement démissionnaire ni un gouvernement fraichement installé ne pourrait servir d’excuser à d’éventuelles lacunes de la présidence belge.

Le Taurillon : Quelle est la position belge concernant le « Gouvernement économique européen » ? Quelles solutions la Belgique va-t-elle proposer pour sortir l’Europe de la crise économique et financière ?

Johan Swinnen : Beaucoup de conviction côté belge s’est manifestée en faveur d’une gouvernance économique européenne. L’absence d’une telle gouvernance pourrait être la cause des turbulences que connait aujourd’hui l’Union Monétaire. Que peut faire la Belgique ? Encourager pour plus d’efforts en vue de la création de cette gouvernance en mettant en place des structures et des procédures comme le contrôle le contrôle anticipé des budgets nationaux par les autorités européennes avant qu’il ne soit adopté sur le plan national. Nous devons aussi encourager le travail de la Task Force de Herman Van Rompuy qui doit faire en sorte que cette coordination soit réelle et cohérente. Des efforts conjoints sont de plus nécessaires pour assainir et solidifier nos économies et les armer contre d’éventuelles nouvelles crises.

La Belgique est également favorable à l’application de sanctions contre les pays qui ne se conforment pas aux exigence économiques. Si on avait sanctionné à temps ceux qui ont pris à la légère le pacte de stabilité et de croissance, on n’en serait sans doute pas là ! Des sanctions financières sont envisageable mais concentrons nous d’abord sur des sanctions politiques et juridiques. Le retrait du droit de vote sur certains dossiers ou le retrait d’aides financières des programmes de cohésion font partie de cette gamme de possibilités qui s’offrent à nous. En ce sens la Présidence belge doit réfléchir à des modalités de sanction avec les autres institutions et les 27, sans oublier la Task Force du président de Conseil européen. Je remarque audn même un point positif, c’est la prise de conscience générale de la nécessité de sanctionner.

Le Taurillon : Le Conseil de l’UE vient d’établir le Service européen d’action extérieure. Certains avancent la date du 1 décembre pour la mise en place effective de cette nouvelle diplomatie européenne. Quelle est l’ambition de la Belgique sur ce dossier ?

Johan Swinnen : Que la diplomatie européenne fonctionne, qu’elle soit crédible et constituée d’éléments valables et compétents. Mais ça ne suffit pas d’avoir des gens compétents, il faut aussi travailler ensemble selon les règles du jeu préétablies. Ce sera indéniablement un défi d’envergure et la présidence belge ne pourra pas réaliser de « Big Ban ». Il faudra laisser la place au pragmatisme et à la coutume. Mais pour que ces pratiques évoluent de façon cohérente il faudra aussi des règles. Et donc il sera question de structure et de règlement.

Nous estimons qu’il ne faut pas perdre de vue que la Commission et le secrétariat du Conseil ont aussi de l’expertise à fournir. Il ne faut pas sous-estimer non plus ce que les diplomaties nationales peuvent continuer à apporter. Quand on laisse Moratinos s’exprimer et agir dans le cadre des relations hispano-cubaines, pourquoi pas ? Il ne peut pas se substituer à Madame Ashton mais peut quand même, par ses contacts, apporter quelques éléments et étayer le dossier de la Haute Représentante. De même que quand les belges expliquent leur vision des évènements au Rwanda, ils peuvent peut-être être mieux placés que d’autres pays de l’UE pour compléter la vision de Madame Ashton.

Le Taurillon : Malgré les promesses de l’Espagne, la candidature turque a très peu avancé. Au contraire celle de l’Islande semble emprunter la voie expresse d’adhésion à l’UE. Quelle politique d’élargissement pour l’UE la présidence belge envisage-t-elle ?

Johan Swinnen : En premier lieu, on ne peut pas comparer les deux candidatures. Il ne faut pas sous-estimer l’importance de l’Islande comme futur membre de l’UE, mais la Turquie dans l’UE c’est encore autre chose ! Ce pas de géant doit être bien préparé, du coté de l’UE comme du côté de la Turquie. Ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose que le processus avance si lentement, en effet, il faut que les esprits murissent et qu’on travaille sur du solide. Côté belge il n’y a aucun doute à avoir quant à l’honnête avec laquelle notre présidence travaillera sur la candidature turque.

La Belgique est souvent qualifiée de « Honest broker ». Avec modestie, mais aussi suffisamment d’énergie et de bonne volonté, nous voulons faire avancer le dossier. Pour que la aussi – et ceci vaut pour tous les candidats – on examine sans complaisance et sans arrière pensée, la candidature de la Turquie. Si les conditions ne sont pas réunies, le rythme ne doit pas être accéléré. C’est sur le mérite propre de chacun qu’on avancera. Il reste du chemin à parcourir, des deux côtés, en j’en appelle à travailler sincèrement et sereinement, mais aussi avec volonté et une bonne dose de réalisme de part et d’autre.

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