L’Europe de la défense avec le traité de Lisbonne

Interview de Patricia Golfier publiée sur alliancegeostrategique.org

, par Patricia Golfier

L'Europe de la défense avec le traité de Lisbonne

Le traité de Lisbonne opère une refonte des politiques de l’Union européenne, et apporte un nouveau cadre pour la Politique Européenne de Sécurité et de Défense (PESD). Patricia Golfier fait le point sur ces évolutions.

Alliance Geostratégique : Quels sont les principales avancées présentées par le Traité de Lisbonne sur la PESD ? En particulier, la création du poste de Haut Représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité peut-il avoir un réel impact sur l’unité européenne sur la scène internationale ?

Patricia Golfier : Le traité de Lisbonne apporte un certain nombre d’avancées. En créant un poste de Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, le Traité fusionne là plusieurs anciennes responsabilités en une seule et permet de gagner en lisibilité. Le Président du Conseil européen, lui aussi nouveau poste, sera l’autre grand interlocuteur en matière de PESD.

Au-delà des postes clarifiés, c’est le champ d’action qui se trouve élargi. En étendant les missions dites de Petersberg, la PESD s’étend aux missions de désarmement, de conseil et d’assistance en matière militaire, de prévention des conflits et de stabilisation à la fin des conflits. Ce qui impliquera une lutte accrue en matière de terrorisme. L’institutionnalisation de l’Agence européenne de défense (AED), l’instauration d’un fonds de lancement pour financer les activités préparatoires des activités militaires de l’Union européenne, et enfin la possibilité d’adopter des décisions à la majorité qualifiée au sein du Conseil pour certains aspects de la PESD sont autant d’avancées encourageantes.

Pour revenir sur le Haut représentant. Son rôle est bel et bien de coordonner les actions et décisions du Conseil européen et du Conseil. Il devra également exprimer la position de l’Union dans les organisations internationales. Cette cohérence dans l’action permettra donc de toute évidence une plus grande unité européenne.

AG : Quel chemin reste-t-il à parcourir pour que la question de Kissinger “l’Europe, quel numéro de téléphone ?” trouve une réponse ?

Patricia Golfier : Quand Henry Kissinger posait sa fameuse question, en 1970, la rotation des Etats pour représenter l’Union Européenne ne permettait pas une prise en charge complète des dossiers. La présidence tournante du Conseil, à savoir que tous les 6 mois un nouveau pays et une nouvelle figure représentaient l’Union Européenne pouvait donner le tournis au reste de l’échiquier mondial, surtout lorsqu’il s’agissait de présidences assurées par des États moins connus. Le Traité de Lisbonne change la donne. Tout n’est bien sûr pas parfait. Le mode de désignation et la faible notoriété extérieure des deux nouveaux représentants de l’UE dans le monde peuvent laisser sceptiques. L’ex-eurodéputé Jean-Louis Bourlanges s’en amusait ainsi : « Henry Kissinger demandait : “ L’Europe, quel numéro de téléphone ? ”, avec le Traité de Lisbonne, c’est plutôt un standard téléphonique ». Aujourd’hui, nous préférons répondre : « Quel service de l’Union Européenne cherchez-vous à joindre ? »

AG : Comment s’articule la clause d’assistance en cas d’agression armée avec les engagements de l’article 5 de la Charte de l’OTAN pour les pays qui en sont membres ? Plus généralement, la perspective d’une Europe de la défense indépendante de l’OTAN est-elle utopique ?

Patricia Golfier : L’article 28 A du Traité de Lisbonne stipule : « La politique de sécurité et de défense commune inclut la définition progressive d’une politique de défense commune de l’Union. Elle conduira à une défense commune, dès lors que le Conseil européen, statuant à l’unanimité, en aura décidé ainsi (…). La politique de l’Union au sens de la présente section n’affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains Etats membres, elle respecte les obligations découlant du traité de l’Atlantique Nord pour certains Etats membres qui considèrent que leur défense commune est réalisée dans le cadre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et elle est compatible avec la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans ce cadre ».

Une Europe de la défense indépendante de l’OTAN n’est pas une Utopie puisque ce n’est pas vraiment le but recherché. L’Union Européenne se doit certes d’être plus autonome, de gérer seule sa défense, mais elle n’entend pas mettre en place une structure qui vienne se substituer à l’OTAN ou la concurrencer. Les deux sont complémentaires, et l’Europe entend surtout par sa défense commune être mieux représentée à l’OTAN. L’Union Européenne tient au Soft Power. Et celui-ci prendra toute sa force dans cette situation qui ne sera pas un choix par défaut mais bien un choix idéologique.

Dans son discours pour la réintégration de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, Nicolas Sarkozy déclarait d’ailleurs : « Il nous faut une Europe forte. Construire l’Europe de la défense et de la sécurité, c’est une priorité absolue. L’Europe doit s’affirmer comme elle l’a fait l’été dernier dans la crise géorgienne (…) Les Européens doivent pouvoir agir par eux-mêmes si c’est nécessaire, et avec leurs alliés s’ils le décident. Et je sais qu’avec nos alliés américains, nous sommes d’accord pour dire qu’il faut renforcer les moyens militaires européens. Et les Américains ont parfaitement compris qu’avoir des alliés faibles, cela ne sert à rien »…

AG : Le concept de “coopération structurée permanente” dans le domaine de la défense va-t-il réellement permettre d’améliorer les capacités de projection de l’UE hors de ses frontières ? N’y a-t-il pas un risque de créer une Europe de la défense à plusieurs vitesses ?

Patricia Golfier : Le protocole sur la coopération structurée permanente précise clairement que « afin d’assurer le maintien de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale conformément aux principes de la charte des Nations unies ; l’exécution de ces tâches repose sur les capacités militaires fournies par les États membres, conformément au principe du “réservoir unique de forces” ». Les Etats qui s’engagent mettront donc à disposition des Hommes et du matériel mais ils s’engagent également à « prendre des mesures concrètes pour renforcer la disponibilité, l’interopérabilité, la flexibilité et la capacité de déploiement de leurs forces »… Il va de soi que plus de moyens disponibles plus rapidement est un atout majeur qui permettra à l’Union européenne de se projeter plus facilement lors d’OPEX.

Cela dit, il risque d’y avoir en effet dans un premier temps une certaine disparité entre les pays qui participent ou non à cette coopération : c’est à ce niveau là que nous pouvons parler de plusieurs vitesses. Mais les pays qui s’engagent s’engagent également à « améliorer progressivement leurs capacités militaires » (Article 28 A) afin d’obtenir une homogénéité entre les pays participants. L’Europe de la défense passera donc peut-être par plusieurs vitesses, mais ce sera pour mieux atteindre sa pleine vitesse de croisière.

Illustration : Drapeau européen incrusté

Source : Alliance Géostratégique - Charles Bwele

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