L’Europe est-elle sur le point de perdre l’Ukraine ?

, par Charles Nonne

L'Europe est-elle sur le point de perdre l'Ukraine ?
Drapeau de l’Union européenne et drapeau ukrainien Auteur : thisisbossi - Certains droits réservés

Le 28 octobre 2012, plus de 36 millions d’électeurs ukrainiens se sont rendus aux urnes pour élire une nouvelle assemblée législative. A l’issue de ce scrutin, la Rada est à nouveau dominée par le Parti des régions du président Ianoukovitch. Gouvernée par un président autoritaire et en l’absence d’une opposition unie et vindicative, l’Ukraine s’apprête à connaître à nouveau des troubles démocratiques majeurs. L’Union européenne s’illustre une fois de plus par son inéluctable impuissance.

Un échec grandissant de la révolution orange

Depuis la victoire de Viktor Ianoukovitch aux élections présidentielles de 2010, l’Ukraine a déçu les espoirs de nombreux voisins occidentaux. Deux décennies après la chute de l’empire soviétique, le pays connaît de profondes divisions géographiques, religieuses et linguistiques, que la Révolution orange n’a pas su estomper. Malgré l’insistance du Conseil de l’Europe et de la Cour européenne des Droits de l’Homme, l’Etat de droit n’a que très peu progressé en vingt années d’indépendance. Quant à l’économie, elle se trouve en état de stagnation depuis deux ans, assortie d’un climat peu favorable à l’investissement étranger.

En deux ans, l’essentiel du pouvoir fut progressivement concentré entre les mains de Viktor Ianoukovitch, au gré des modifications de la Constitution et des manifestations d’autoritarisme de la part de la nouvelle oligarchie au pouvoir. Le Parlement, où le Parti des régions est majoritaire, a approuvé sans hésitation les réformes constitutionnelles qui le dépossédèrent, ainsi que le Premier ministre, de nombreuses prérogatives. Quant au pouvoir judiciaire, il n’a pas connu les réformes qui s’imposaient lors de l’indépendance de l’Etat ukrainien. La Révolution de 2004, suscitant pourtant une véritable espérance dans la société, n’a pas engendré le train de réformes économiques et politiques dont le pays, rongé par la corruption et un modèle économique obsolète, avait cruellement besoin.

Certes, l’Ukraine ne pourrait être assimilée à certains régimes vassaux de la Russie, dont la Biélorussie, qui dépendent exclusivement de l’aide russe et se maintiennent en place en opérant une répression féroce et cruelle de l’opposition. Cependant, de nombreux observateurs prédisent un effondrement du pays à horizon de quelques années en raison de son incapacité à s’extraire d’un conservatisme dévastateur.

La campagne des législatives a vu deux forces politiques remettre en cause la domination du président Ianoukovitch. L’opposition fut en grande partie incarnée par le parti « Batkivshchyna » et par sa dirigeante charismatique et contestée, l’ancienne chef du gouvernement Ioulia Timochenko. Le parti OUDAR, mené par l’ancien champion de boxe et héraut de la lutte anti-corruption Vitali Klitschko, s’est également frontalement opposé au pouvoir en place. En outre, le petit parti Svoboda, antisémite et antirusse, a pu canaliser une partie du mécontentement à l’égard du régime en place.

Pour le malheur de la démocratie ukrainienne, les deux principaux partis d’opposition ne sont pas parvenus à conclure d’accord pré-électoral, ni à s’entendre sur un projet commun afin de provoquer la chute du Parti des régions. En l’absence de vecteur de la contestation ukrainienne, la campagne d’octobre n’aura vu émerger aucun véritable débat de fond. La conquête des électeurs s’est ainsi résumée à une gigantesque œuvre de clientélisme de la part du premier parti d’Ukraine.

Une confirmation de l’isolationnisme pour les années à venir ?

Les élections obéissent à un scrutin à la fois majoritaire et proportionnel. Sans pour autant accorder un pouvoir total au parti du président, leur résultat n’offre à l’opposition aucune chance de gouverner le pays. En outre, et malgré la présence d’observateurs étrangers, les soupçons de fraude entourent les résultats du scrutin, non encore proclamés au jour du 12 novembre.

Malgré la baisse de popularité du président Ianoukovitch, le Parti des régions est le vainqueur incontestable de ces élections avec 30% des suffrages. Il est suivi de près par le parti de Ioulia Timochenko (25,55%) et par la formation OUDAR (13,97%), qui auraient pu dominer le Parlement s’ils étaient parvenus à constituer un bloc uni. Le parti communiste ukrainien a quant à lui obtenu 13,18% des suffrages. Russophone, il sera probablement le partenaire du Parti des régions dans un gouvernement de coalition.

Egalement remarquable est la progression du parti ultranationaliste Svoboda (10,45%), qui n’avait obtenu aucun siège lors des précédentes élections législatives de 2008. Plus qu’un regain d’antisémitisme et de xénophobie dans la société ukrainienne, la montée en puissance de ce petit parti semble davantage témoigner d’une lassitude muée en protestation véhémente.

Un élément positif peut néanmoins ressortir de ces élections : même au sein d’une alliance avec le Parti communiste ukrainien, Viktor Ianoukovitch ne disposera pas d’une « majorité constitutionnelle » correspondant aux deux tiers des 450 sièges du Parlement. Si les résultats lui avaient accordé une telle majorité, celle-ci lui aurait permis de modifier le mode d’élection présidentielle – actuellement au suffrage universel direct – et de conforter ses chances de réélection – par le Parlement lui-même – en 2015.

Une totale aphonie de l’Europe occidentale

Au cours des dernières années, afin de contrebalancer l’influence du Kremlin, l’Europe a initié plusieurs tentatives de rapprochement. Ces tentatives se sont notamment concrétisées par la négociation d’un accord de libre-échange et d’une hypothétique union douanière. Cependant, l’entrée en vigueur de ces accords est aujourd’hui suspendue. De même, la diplomatie européenne a longtemps plaidé en faveur de réformes susceptibles de rapprocher l’Ukraine et l’Europe. Des Etats comme l’Estonie s’étaient prononcés pour une adhésion à terme du pays à l’Union. L’euro 2012 a également remis le pays sur le devant de la scène médiatique européenne, mais face à l’ambigüité permanente du régime, l’Europe est désormais contrainte à attendre une improbable manifestation d’ouverture et de crédibilité.

Pourtant cruciales, les élections législatives ukrainiennes se déroulèrent dans la plus parfaite indifférence des médias occidentaux, et notamment français. Les chancelleries de l’Union européenne rivalisèrent de prudence et de parcimonie à l’approche du scrutin, sans exprimer le moindre message ambitieux à leur issue. Fait rare, Catherine Ashton a fait exception au silence européen en publiant, aux côtés d’Hillary Rodham Clinton, une tribune dans le New York Times, à la fois encourageante et désabusée. Les inquiétudes que les deux diplomates avaient exprimées quelques jours avant le 28 octobre se sont révélées fondées.

Aucun rapprochement d’envergure ne sera possible entre l’Ukraine et la sphère européenne, tant que le pays n’aura pas connu une véritable transition économique, politique et sociétale. En période de crise économique et budgétaire, les Etats européens semblent aujourd’hui se désintéresser d’une puissance dont le potentiel géopolitique et économique est patent, mais qui subit une dérive incertaine.

Néanmoins, le récent recours de Ioulia Timochenko auprès de la Cour européenne des Droits de l’Homme pour détention illégitime et traitements inhumains et dégradants, laisse à penser que le pays sera bientôt replacé au centre de la scène médiatique européenne. Face à l’inaction de Bruxelles, l’opposition ukrainienne renaîtra peut-être à Strasbourg.

Pour aller plus loin :

Presseurop, Lentement mais sûrement hors de l’ère soviétique (du New Eastern Europe).

Courrier International, Les mauvais calculs de l’opposition (du journal Oukraïnski Tyjden)

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