L’UE face à l’Iran : la fin d’une politique étrangère commune ?

, par Quentin Weber-Seban

L'UE face à l'Iran : la fin d'une politique étrangère commune ?

L’Union européenne est le premier partenaire commercial de l’Iran, qui en retour constitue un marché important pour les Européens. Au-delà de ces liens économiques, la politique iranienne de l’UE s’est avec succès longtemps distinguée de celle des États-Unis. Cette politique commune innovante est cependant de plus en plus menacée.

Sur le fond, les États-Unis et l’UE poursuivent les mêmes buts de politique étrangère : à la défense d’intérêts nationaux se mêle la défense de la démocratie et des droits de l’Homme.

L’attitude européenne envers l’Iran : le dialogue au lieu des sanctions

Les moyens de parvenir à ces fins sont cependant radicalement différents : face à un pays « ennemi », les États-Unis mettent les sanctions au centre, avec comme préalable à toute négociation un infléchissement de la politique du pays incriminé. Au contraire, pour l’UE, les sanctions économiques telles qu’un embargo général et les conditions mises à des négociations sont globalement contre-productives.

Cette différence de philosophie est particulièrement visible dans le cas iranien : depuis la prise d’otage à l’ambassade américaine en Iran, les États-Unis n’ont jamais renoué de liens directs avec la République islamique, et ont progressivement durci les sanctions à son encontre.

En revanche, après la fin de la guerre Iran-Irak, le régime iranien a proposé à l’Union européenne un développement de leurs relations. Cette invitation rencontra un certain écho chez les gouvernements européens, au moment de la naissance de la Politique étrangère de sécurité commune (PESC).

Le Conseil d’Édimbourg de décembre 1992 a alors décidé de lancer un dialogue critique : pour « faire passer » le développement de relations économiques avec un régime perçu comme intolérant et rétrograde par les opinions publiques européennes, des thèmes problématiques furent listés, principalement en rapport avec le respect des droits de l’Homme et la stabilisation de la région. Il s’agissait en quelque sorte d’un donnant-donnant : plus l’Iran faisait des efforts sur ces thèmes, plus les entreprises européennes étaient encouragées à s’installer en Iran.

Ce dialogue critique connut des hauts et des bas, mais c’est surtout sous la présidence de Mohammad Khatami qu’il fut le plus efficace, sous le nom de dialogue constructif. En effet, pour les Européens, il existait un mouvement réformiste au sein même du pouvoir, et un changement de régime n’était donc pas nécessaire. L’élection en 1997 du réformiste Khatami, porté par une jeunesse éduquée et moderniste, collait parfaitement à cette analyse.

D’autre part, l’administration iranienne adopta un ton plus conciliant envers l’Occident, ce qui facilita le dialogue et les avancées concrètes. Les réunions devinrent ainsi régulières, tous les 6 mois.

Le dossier nucléaire : du rôle central de l’UE à l’alignement sur les États-Unis

En 2003, avant l’arrivée au pouvoir de Mahmoud Ahmadinejad, un groupe d’opposition iranien révèle l’existence d’un site caché du programme nucléaire iranien. Cette révélation est un coup de tonnerre : en tant que signataire du Traité de non-prolifération nucléaire, le TNP, l’Iran est soumis à des inspections de l’Agence Internationale de l’énergie atomique – l’AIEA, chargée de vérifier que son programme nucléaire reste civil.

L’Iran a constamment répété ne pas chercher à acquérir la bombe, et il y a maintenant un quasi-consensus sur le fait que, au moins depuis 2003, c’est la vérité. Toutefois, la présence d’au moins un site clandestin n’incite pas à la confiance.

Alors que c’était un point mineur du dialogue UE-Iran, le dossier nucléaire est devenu le seul thème de négociation, les multiples atteintes aux droits de l’Homme pouvant alors continuer en toute impunité.

Dans un premier temps les négociations semblèrent bien se dérouler : deux fois, les Européens obtinrent du régime la renonciation volontaire à tout enrichissement d’uranium, en attendant un accord plus large et plus durable.

En posant ces conditions, les Européens allaient plus loin que le TNP. Il s’agissait de redéfinir clairement ce à quoi l’Iran avait droit en matière nucléaire. En 2005, un tel accord fut proposé aux Iraniens, qui le refusèrent et le déclarèrent inacceptable. Deux points étaient particulièrement problématiques : la non-reconnaissance de l’Iran à enrichir son uranium en Iran, et l’absence de garanties de sécurité de la part des États-Unis et d’Israël.

L’Iran était alors en campagne présidentielle. Or, comme en France le nucléaire y est une question de fierté et d’indépendance nationale. Aucune faction ne pouvait apparaître comme prête à faire des concessions. Le maire de Téhéran, alors largement inconnu même en Iran, remporta les élections à la surprise générale. Son succès fut assuré par la volonté affichée de « revenir aux sources » de la Révolution, avec une rhétorique fortement antioccidentale et antisioniste.

Face à ce négociateur plus radical, la communauté internationale confia la conduite des négociations à Javier Solana, alors Haut représentant pour la PESC. Négociations qui continuèrent d’achopper sur les deux points de la sécurité du régime iranien et de son droit à enrichir l’uranium sur son sol.

Là où les réformistes de Khatami se montraient conciliants, notamment en évitant à tout prix que le cas soit déféré au conseil de sécurité de l’ONU, l’administration d’Ahmadinejad fit son cheval de bataille en matière de politique étrangère, toute concession étant une défaite face au « Grand Satan » occidental. Les pays de l’Union européenne finirent par se résoudre à durcir leurs sanctions contre l’Iran, jusqu’au 26 juillet 2010 : les sanctions économiques, qui étaient jusqu’alors limitées à un embargo sur les armes et les biens pouvant servir au programme nucléaire, furent considérablement durcies, notamment pour le transport et le paiement.

Pourquoi l’UE a-t-elle échoué ?

De plus en plus d’États européens considèrent que l’on ne peut pas discuter avec l’Iran, que ses dirigeants ne sont pas dignes de confiance, et le président Ahmadinejad en est l’exemple flagrant. L’UE a abandonné sa politique de dialogue pour privilégier les sanctions. Celles-ci ne se limitent désormais plus au dossier nucléaire, mais sont aussi vues comme un moyen efficace d’améliorer les droits de l’Homme en Iran. Une partie de cette évolution vient du contexte politique : alors que les élections en Europe portèrent au pouvoir des gouvernements plus enclins aux sanctions, notamment en France et en Grande-Bretagne, deux des principaux interlocuteurs diplomatiques de l’Iran, l’élection de Barrack Obama marqua au départ une politique de la main tendue qui tranchait avec celle de son prédécesseur.

Cependant, si l’UE a échoué, c’est avant tout parce qu’elle a manqué d’expertise, en sous-estimant l’importance du programme nucléaire pour les Iraniens.

Elle n’a pas pu profiter de la fin du mandat réformiste pour arriver à un accord, et s’est ensuite heurtée à l’intransigeance de la nouvelle administration. Elle s’est enfin desservie en sortant le dossier du nucléaire de discussions plus globales. En ne poussant plus pour un plus grand respect des droits de l’Homme, elle a laissé les ultraconservateurs renforcer leur emprise sur le pays. Lorsqu’en 2009 les Iraniens sont massivement descendus dans la rue pour réclamer leur vote, l’administration en place était ainsi assez stable pour ne pas rompre.

Toutefois, il est encore temps de rétablir une politique ambitieuse : l’Iran a toujours désespérément besoin de partenaires commerciaux, et son programme nucléaire, même civil, a pris beaucoup de retard en raison de son isolement.

En rétablissant des instances de dialogues, en intensifiant les échanges, économiques, mais aussi culturels et académiques, l’UE pourrait mieux comprendre la position iranienne sur le nucléaire, et, en adoptant une position plus souple, en réaffirmant par exemple le droit de l’Iran au nucléaire civil, elle renforcerait les réformistes au sein du régime. Ces derniers l’ont déjà montré, ils constituent une majorité en Iran.

Photo : « Mideast Iran Presidential Elections », Certains droits réservés par « SIR : Poseyal : KNIGHT of the DESPOSYNI »

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