Taurillon : Pourriez-vous nous rappeler en quoi consiste le vote sur les « Magnitsky Sanctions » en commission au Parlement européen cette semaine ?
Stephanie Brancaforte : Les "Sanctions Magnitski" ciblent de hauts dignitaires russes impliqués dans la mort de l’avocat international Sergueï Magnitski. La députée européenne Kristiina Ojuland a soumis un projet de loi qui prévoit que les gouvernements européens dressent une liste d’environ 60 hauts dignitaires russes soupçonnés dans l’affaire, et leur imposent une interdiction de séjour sur tout le territoire de l’Union européenne ainsi qu’un gel de leurs avoirs. La Commission des Affaires étrangères du Parlement européen – à qui Avaaz a remis sa campagne la semaine dernière – a adopté ce projet de loi par 62 voix pour et 2 contre la semaine dernière.
Sergueï Magnitski, un avocat russe, est décédé en novembre 2009 après avoir été détenu pendant 358 jours dans un centre de détention provisoire. Il avait été arrêté pour avoir affirmé que le gouvernement russe orchestrait une corruption systématique à grande échelle et des vols avec l’aval de hauts dignitaires. Bien qu’il était gravement malade, on a constamment refusé de lui accorder des soins médicaux, et il est mort huit jours avant qu’on ne soit obligé de le libérer ou de le traduire en justice.
Taurillon : Pourquoi est-ce si important que l’Europe se mobilise politiquement sur cette question ?
Stephanie Brancaforte : La mort de Sergueï Magnitski est une injustice et une manipulation de plus parmi tant d’autres perpétrées par le gouvernement et la justice russes. Plus récemment, la condamnation des Pussy Riot a fait beaucoup parler dans les médias car elle représentait une intensification de la répression en Russie, où le gouvernement réprime les manifestations, aurait truqué les élections, intimide les médias, a interdit les cortèges en faveur des droits des homosexuels pour les 100 prochaines années, place en détention et rosse des figures de l’opposition comme le champion d’échecs Garry Kasparov.
L’application des « Sanctions Magnitski » confronterait enfin les hauts dignitaires du Kremlin à des conséquences concrètes qui permettent de lutter contre leurs attaques systématiques à la démocratie et la transparence. Il faut envoyer à Poutine et au régime russe un message politique fort contre la corruption et l’impunité. Les États-Unis ayant lancé une initiative semblable, nous appelons l’Union européenne à prendre position contre les violations des droits humains.
Taurillon : Votre organisation, Avaaz.org, a récolté presque 600.000 signatures pour soutenir le Parlement européen dans cette démarche. Pourquoi est-ce important que la société civile soit autant mobilisée sur la question ?
Stephanie Brancaforte : Nos membres se sont fortement mobilisés sur cette campagne, les députés européens ont été impressionnés de constater une telle mobilisation lorsque nous avons remis la pétition à d’éminents membres de la Commission des Affaires étrangères du Parlement européen, préalablement au vote de la Commission. De nombreux parlements nationaux et assemblées parlementaires en Europe se sont déjà prononcés en faveur d’une initiative similaire à celle des "Sanctions Magnitski" lancée aux États-Unis. Les 575 000 citoyens qui ont exprimé leur opinion à travers la pétition d’Avaaz donnent aux décideurs européens un mandat solide pour faire appliquer de telles sanctions.
Taurillon : Comment faîtes-vous pour collecter autant de signatures ? Est-ce parce que votre organisation dépasse les frontières nationales ?
Stephanie Brancaforte : Avaaz est un mouvement citoyen mondial regroupant plus de 16 millions de membres qui vivent dans tous les pays de la planète. Le pouvoir de cette communauté repose sur la rapidité à laquelle ses membres peuvent se mobiliser, et sur une compréhension des évènements permettant de cibler le bon décideur avec une revendication appropriée. Internet permet au monde entier de bénéficier d’un moyen d’organisation unique. Auparavant, les citoyens descendaient dans la rue pour demander le changement, désormais ils peuvent envoyer des e-mails, des « tweets » ou des messages Facebook aux dirigeants mondiaux et exercer une pression plus vite qu’il n’était possible jusqu’à présent. Le modèle Avaaz fait preuve d’une grande souplesse, est capable de mobiliser rapidement pour influencer l’issue des crises où surviennent des opportunités de changement, et permet d’avoir un impact auprès des dirigeants avant des prises de décisions cruciales.
Les sondages d’opinion révèlent qu’il existe dans le monde entier un puissant consensus démocratique sur des thèmes tels que la pauvreté, les droits humains ou le changement climatique – mais il existe aussi un très grand fossé entre les valeurs des citoyens et la manière dont les responsables politiques en tiennent compte dans leurs décisions. À mesure que les citoyens s’engagent de moins en moins dans la vie politique, ils font toutefois preuve de la volonté grandissante d’avoir un impact sur ces questions qui les préoccupent. Alors que les médias traitent de ces sujets mais ne proposent pas de moyens d’action, Avaaz invite les citoyens à passer à l’étape supérieure en agissant et en trouvant des solutions. Avaaz apporte aux gens de l’espoir et la chance d’avoir une influence sur des questions qui peut-être auparavant n’auraient pu être changées. Et c’est ainsi qu’Avaaz est aujourd’hui devenu le plus grand mouvement mondial en ligne.
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