Opération électorale amorcée au discours de Toulon du 7 février 2007, la survie du projet une fois l’élection passée est une surprise en soit. D’un autre coté, cela est très compréhensible. Le message est bien reçu par le public, persuadé que Nicolas fait tout pour unir les Méditerranéens, de surcroit sans ses voisins européens (impressionnant !). Mais sortons de la politique française et parlons de ce dont il est –en théorie- question : la coopération euro-méditerranéenne. Voici quelques affirmations lancées à propos de l’UPM et ce que nous pouvons en penser
« Ce projet consiste à construire une Union méditerranéenne comme les Européens ont construit l’Union européenne »
Loin de là. L’Europe a été créée parce que tout le reste avait été détruit. Aujourd’hui, elle est révolutionnaire, et ce en plusieurs points. Tout les 5 ans, 500 millions de citoyens européens élisent leurs députés au suffrage universel direct, ceux-ci ont adopté 632 décisions et résolutions en 2007, ces mêmes textes s’appliquant directement dans l’Union. Chaque année les 27 Gouvernements élus se réunissent plus de 100 fois par an au niveau ministériel, suivant plus de 120 réunions COREPER assistés par plus de 300 groupes de travail permanents dans 4000 réunions techniques annuelles. La Cour européenne de justice et la CEDH protègent notamment les droits de tout citoyen au dessus de leur État. Les Européens partagent la majorité de leurs normes économiques et commerciales, agricoles et environnementales, de la protection des droits des consommateurs à la sécurité aérienne ou nucléaire. Il s’agit d’intégration, et économique - l’Euro - et politique - le Parlement, la protection des droits fondamentaux. L’UPM est un projet de coopération et non d’intégration, cette différence est essentielle : aucun partage de souveraineté n’est prévu.
« Pourtant, l’UPM n’est elle pas un espoir par rapport à l’échec du processus de Barcelone ? »
Oui et non. On présente souvent Barcelone en échec total, souvent pour ne pas admettre sa méconnaissance du sujet. Connait-on le rôle pilote de l’Europe dans la reforme des administrations publiques ? Au Maroc, en Égypte ou dans les territoires palestiniens, des programmes communautaires pluriannuelles de centaines de millions d’euros ont accompagné des reformes clefs.
Certes, l’Europe a sérieusement un problème de communication, il n’empêche qu’elle a joué un rôle de premier plan dans la modernisation des systèmes de santé, dans le traitement des eaux, l’aide des entreprises à l’exportation. La modernisation des industries d’avenir comme le textile, l’amélioration des normes de sécurité et de qualité des produits... Tous les domaines sont concernés, de la sécurité maritime au tourisme écologique, de la société civile à la formation des journalistes, sans oublier les partenariats culturels [1] et les jumelages [2]. Balayer les réussites du Processus de Barcelone est tout sauf judicieux. Certes le processus de Barcelone n’a pas permis de régler les conflits politiques ni posé les bases d’une vaste zone de libre échange, mais soyons fiers de ce que nous avons fait ensemble, tout en visant beaucoup plus haut.
« Pourquoi alors redynamiser une coopération déjà avancée ? »
Car personne n’en est satisfait. Concentrons-nous à présent sur les « échecs » de Barcelone : leurs origines sont souvent exogènes. L’Algérie a connu une guerre civile extrêmement dure jusqu’en 2002, l’Egypte peine à nourrir 1,4 million de nouvelles bouches par an. La Syrie subit de lourdes sanctions économiques depuis 2004, le Liban a été profondément meurtri durant la guerre de l’été 2006 et il reste aujourd’hui politiquement instable. L’occupation israélienne des territoires palestiniens a non seulement repris depuis 1996, mais elle a atteint des proportions alarmantes pour l’avenir-même de l’État palestinien, et ce malgré l’engagement financier et diplomatique considérable de l’Europe [3]. La Tunisie et surtout le Maroc ont eu plus de chance, mais les grands gagnants restent la Turquie et Chypre, dont la situation économique et politique est sans comparaison.
« Entre toutes ces crises, reste-t-il une marge de manœuvre ? »
Certainement, d’où l’intérêt du dialogue. Renforcer les liens entre les deux rives, s’ouvrir sur l’autre, permet de réduire de graves incompréhensions ainsi que leurs conséquences. Sur le plan opérationnel de la coopération, l’efficacité et la visibilité des programmes peuvent et doivent être améliorées. Il arrive que la délégation de la Commission européenne dans les pays tiers ne soit même pas au courant de certains programmes européens dans ce même pays, ceux-ci étant gérés directement de Bruxelles sans coordination suffisante. Entre les différentes directions et services de la Commission, ses délégations et les États membres, l’aide européenne peut clairement être mieux coordonnée.
Du côté arabe, l’expertise manque cruellement aux administrations arabes et, surtout, la coordination entre les pays arabes est quasi nulle. Economiquement, ces pays commercent bien davantage avec l’Union qu’entre eux ! De même politiquement, les dynamiques panarabes restent de l’ordre du discours et rares sont les diplomates, tel l’Ambassadeur égyptien Gamal Bayoumi, qui aspirent encore à une quelconque union arabe – vouloir que les deux rives soient sur un pied d’égalité est donc un vœu pieu.
Enfin, parlons argent. L’Europe a beau être le premier partenaire commercial des autres Méditerranéens, elle n’ose toujours pas parier sur cette région. Depuis la chute du rideau de fer, l’Europe de l’Est connaît un développement économique impressionnant, les quinze ont fait un pari et ils sont en train de le remporter. Le retard économique, si grand soit-il, ne les a pas effrayé.
Mais à quand la chute du rideau de mer ? Les Européens investissent davantage en Pologne que dans l’ensemble des pays partenaires méditerranéens. Du budget européen, celle-ci reçoit 11.2 milliards d’euros par an quand le meilleur élève de la rive sud, le Maroc, n’en reçoit que 165 millions. On comprend alors la puissance de la dynamique de l’élargissement et la faiblesse de la politique européenne de voisinage, destinée aux voisins sans perspective d’adhésion.
La mer « Medi-terranée » demeure encore la Yam Hagadol – son nom hébraïque dans l’Ancien Testament- la Grande Mer…
1. Le 12 juillet 2008 à 11:04, par Philippe En réponse à : L’Union pour la Méditerranée, renouveau de la coopération euro-méditerranéenne ?
J’ajouterai cher Schams le rôle de Barcelone et de la PEV dans la transformation de l’administration jordanienne, ce qui est, je pense, le meilleur exemple. La Jordanie s’est totalement appropriée son « plan d’action » comme un élément de sa réforme.
2. Le 13 juillet 2008 à 03:01, par ? En réponse à : L’Union pour la Méditerranée, renouveau de la coopération euro-méditerranéenne ?
Pour une vision complémentaire du sujet :
http://www.theglobeandmail.com/servlet/story/RTGAM.20080701.wcosarkozy02/BNStory/specialComment/homeUn article signé avec Clémence Vatier.
Andrew D Bishop whatyoumustread.blogspot.com
3. Le 13 juillet 2008 à 09:16, par Jacques Chauvin, Pdt, UEF-France. En réponse à : L’Union pour la Méditerranée, renouveau de la coopération euro-méditerranéenne ?
Merci à Schams et au Taurillon pour cet excellent article. Information abondante présentée avec une magistrale clarté. : il nous faut d’autres articles de cette classe sur bien d’autres sujets, où la fameuse « pédagogie de l’Europe » n’est pas facile.
Félicitations.
4. Le 13 juillet 2008 à 13:05, par Fabien Cazenave En réponse à : L’Union pour la Méditerranée, renouveau de la coopération euro-méditerranéenne ?
Je suis personnellement assez effaré par le traitement médiatique du lancement de l’UPM : Syrie, 43 chefs d’Etats présents à Paris, les questions de protocole...
Personne ne parle d’Euromed ou de ce que l’UPM va réellement faire. Peu de monde parle des changements intervenus dans la préparation de ce « projet de civilisation ».
Mais peut-on mettre un carton rouge permanent aux médias ?
5. Le 15 juillet 2008 à 10:35, par Schams E. En réponse à : L’Union pour la Méditerranée, renouveau de la coopération euro-méditerranéenne ?
Merci, je pense cela dit que la participation d’el Assad est une tres bonne chose pour ameliorer le climat regional. Il y a eu des absents regrettés (le Roi du Maroc), des absents habituels (la Lybie) mais des surprises positives (Assad).
Les journalistes n’y sont pour rien, même s’il serait toujours souhaitable d’avoir davantage d’expertise de leur part. Par exemple, les medias ont martelé l’idée que « Sarkozy a réunit pour la premiere fois Israel et ses voisins arabes, et notamment palestiniens » alors que non, Mahmoud Abbas a retrouvé Ehud Olmert plusieurs fois déjà, rien de special à cet egard.
Ce qui etait remarquable c’etait la participation generale : tous les Etats a l’exception de la Lybie (le Maroc etant represénté), et notamment la participation de Abdelaziz Bouteflika alors que ce-dernier menaçait de ne pas venir si Israel venait - pour des raisons de politiques interieures et de campagne presidentielle a venir, notamment. Bref, de bonnes choses sont arrivés malgré tout.
Maintenant sur le fond, la declaration est on ne peut plus banale, il n’y a pratiquement pas d’innovation par rapport à la cooperation euromed actuelle. La sécurité maritime, la protection des eaux, l’aide aux PME ? Des programmes communautaires importants s’en occupent déjà et depuis longtemps. L’education ? Idem. Le supérieur ? Idem. Sincerement je n’avais pas connaissance de programmes de cooperation pour le developpement de l’energie solaire, mais vis-a-vis des grandes paroles unitaires de Sarkozy, on ne peut que se rendre a l’evidence : l’UPM est le discours d’un homme par un homme et pour un homme, le premier etant le candidat Sarkozy, le deuxieme etant Guaino, le dernier etant Sarkozy Président.
Nous ne sommes pas sorti de la politique pure, c’est dommage mais on devait s’y attendre.
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