Alors qu’Air France et Alitalia –deux des plus gros transporteurs européens – ont lutté il y a peu pour convaincre Neelie Kroes, Commissaire à la concurrence, de les laisser fusionner, la Commission européenne a conclu un accord avec les États-Unis pour réguler le trafic aérien transatlantique. Les négociations ont démarré en 2003, mais la solution a été trouvée il y a quelques semaines, au moment même où l’aviation traversait une situation singulière à l’échelle planétaire.
La progression du trafic aérien, à la fois de passagers et de marchandises, trouve son explication dans l’évolution du Produit Intérieur Brut (PIB) mondial. On a pronostiqué une progression de 5,1% du nombre de passagers sur les lignes internationales entre 2007 et 2011 [1], alors que dans le même temps, l’Association Internationale du Transport Aérien (IATA) prévoit une progression de 4,8% du fret. Les deux tendances semblent positives, notons tout de même que cette progression est plus faible que pendant la période 2002-2006. De plus, on s’attend à ce que l’Europe et les États-Unis connaissent une progression plus faible de leur PIB que la moyenne mondiale. L’avenir des compagnies aériennes n’est pourtant pas si sombre que cela, mais il est toujours très incertain compte tenu de sa dépendance avec la progression du PIB mondial et des prévisions actuelles de croissance de l’Union européenne et des États-Unis loin d’être bonnes, comparées au niveau mondial.
Il y a encore deux semaines de cela, les règles de régulation du trafic aérien entre l’Union européenne et les États-Unis étaient définies par des accords nationaux. Un premier groupe d’États membres [2] avait conclu des accords bilatéraux avec les États-Unis, ce qui permettait aux compagnies aériennes européennes de voler sans restriction de capacité ni de prix vers n’importe quelle destination américaine, mais seulement de leur propre pays. Un second groupe de pays européens [3] était limité en fréquence de vol hebdomadaire ou à certaines compagnies aériennes. Enfin, les autres pays membres [4] n’avaient pas de bases légales du tout concernant les vols directs de et vers les États-Unis.
L’accord « Ciel Ouvert »
L’accord « Ciel Ouvert » entre l’Union européenne et les États-Unis comporte un grand nombre d’avancées, mais quatre d’entre elles semblent décisives pour l’avenir du trafic aérien mondial.
– La reconnaissance de toutes les compagnies aériennes européennes en tant que « Community air carriers » : toutes les compagnies européennes sont classées à égalité sans discrimination basée sur leur provenance géographique (du moment qu’elles appartiennent à l’Union européenne).
– Des vols possibles entre n’importe quelle destination européenne et américaine : les compagnies pourront voler de n’importe quel aéroport européen vers n’importe quelle destination américaine.
– Des vols possibles au-delà des États-Unis vers trois pays : les compagnies européennes pourront également voyager au-delà des États-Unis et proposer des destinations où les États-Unis seront une escale. Concernant les vols de marchandises entre les États-Unis et trois pays : le fret suivra les mêmes règles exposées ci-dessus que pour le trafic de passagers.
D’autres éléments-clés de l’accord permettent une collaboration dans des domaines tels que la sécurité, la sûreté et l’environnement (entre autre).
– La sécurité : l’Union européenne et les États-Unis travailleront à la mise en place de standards et pratiques compatibles concernant l’entrée sur leurs territoires, afin de faciliter la régulation aérienne
– La sûreté : établissement de procédure de consultation sur cette question de chaque côté de l’Atlantique et reconnaissance du développement des responsabilités au niveau européen
– L’environnement : les compagnies américaines pourraient être taxées sur le fuel lorsqu’elles voyageraient au sein de l’Union européenne.
Cet accord ne représente qu’un premier pas dans le processus de mutualisation du ciel européen et américain. Les deux entités sont d’accord pour démarrer une seconde phase de négociations après mai 2008, afin de faire face aux problématiques suivantes : faciliter l’investissement étranger, encourager le développement de la libéralisation, aller plus loin dans l’accès à Fly America, favoriser l’affrètement avec équipage (wet-leasing), mais aussi les contraintes en terme d’infrastructures et d’environnement.
Ouvrir notre ciel ?
Parmi les nombreuses raisons avancées par la Commission, nous pouvons distinguer deux éléments favorisant un accord commun entre l’Union européenne et les États-Unis. Le premier réside dans les bénéfices que l’Union européenne en retirera. « Un accord aérien entre l’Union européenne et les États-Unis augmentera de plus de 2,5 millions le nombre de passagers européens et américains pendant les cinq premières années, générera plus de 15 milliards d’euros de bénéfices pour les consommateurs et créera 80000 nouveaux emplois en Europe et aux États-Unis. » Les avancées économiques sont évidentes pour une Union européenne dont l’économie est loin d’être florissante.
Le second argument est de nature légale : seize pays européens ont conclu des accords bilatéraux avec les États-Unis qui diffèrent les uns des autres (et onze pays n’en ont conclu aucun). Ces accords interfèrent avec la loi européenne et un mandat du Conseil était requis pour négocier avec les États-Unis. Cela s’est produit après que la Cour de Justice ait rendu des arrêts [5], celle-ci ayant été saisie par la Commission à l’encontre de huit États membres qui avaient conclu des accords bilatéraux avec les États-Unis. La Cour de Justice a conclu que les accord bilatéraux relevaient de certaines compétences de l’Union européenne et menaçaient le droit d’établissement protégé par le Traité, en réservant les droits aériens à des compagnies contrôlées nationalement.
Le mandat qui était requis remédiait aux éléments présents dans les accords bilatéraux qui n’étaient pas en concordance avec la loi européenne et s’assurait qu’entre les compagnies, il ne soit fait aucune discrimination basée sur la nationalité. L’accord aurait du également créer un marché unique du transport aérien entre l’Union européenne et les États-Unis, y compris au sein de leurs marchés intérieurs. L’objectif était d’établir un Espace Aérien Ouvert (EAO) entre l’Union européenne et les États-Unis. Derrière le processus de négociation, se cachait le respect de la légalité.
Après le Ciel Européen Unique
La Commission européenne reproduit le mécanisme du "Ciel Européen Unique", dont le succès a apporté aux Européens une offre plus large à un prix plus attractif et a fait évoluer de manière significative le marché du trafic aérien. La raison principale a été la dérégulation progressive qui a permis aux anciennes compagnies de s’adapter et aux nouveaux concurrents d’entrer sur le marché « facilement ». L’accord, conclu par le vice-président de la Commission européenne Jacques Barrot, reproduira-t-il le phénomène observé avec le Ciel Unique, à une plus grande échelle ?
L’ouverture de nouveaux couloirs aériens entre les aéroports autrefois non reliés a été la première conséquence du Ciel Européen Unique. Cela a véritablement accru l’accès à certaines destinations en réduisant le temps de trajet, grâce à des liaisons directes. De nouvelles compagnies aux modèles d’affaire innovants ont utilisé cette opportunité pour entrer sur le marché du trafic aérien de passagers. Cela se reproduira-t-il avec l’accord « Ciel Ouvert » entre l’Union européenne et les États-Unis ?
Le modèle économique des compagnies européennes à bas coûts correspond à une situation particulière, née de cette dérégulation spécifique au Ciel Européen Unique. Prétendre que ce modèle qui a fait le succès de nombreuses compagnies en Europe pourrait être étendu aux vols transatlantiques ne va pas de soi. Les conditions économiques appliquées aux vols long courrier sont trop différentes des vols intra-européens pour pouvoir copier entièrement le modèle actuel (où le durée des vols a un impact directement sur toute la productivité).
Mais, tout comme le Ciel Européen Unique a permis d’ouvrir de nouvelles opportunités pour le trafic aérien et pour de nouveaux modèles économiques, l’accord « Ciel Ouvert » entre l’Union européenne et les États-Unis ouvrira de nouvelles opportunités de développement. Si de nouveaux modèles d’affaire sont découverts, l’accord Ciel Ouvert entre l’Union européenne et les États-Unis pourrait devenir le cadre légal du développement de nouveaux couloirs aériens.
La baisse des prix des billets en faveur des passagers a été la deuxième conséquence du Ciel Européen Unique. Grâce à la dérégulation, la concurrence entre les compagnies aériennes s’est amplifiée. Cette dernière a eu un impact sur la pression exercée sur les compagnies aériennes et les anciens monopoles ont été mis au défi, provoquant une baisse générale des prix. Cela se reproduira-t-il avec les vols entre l’Union européenne et les États-Unis ? L’amplification de la concurrence ajoutée à la dérégulation, créera des conditions favorables à une baisse des prix, bien que de nombreux facteurs peuvent jouer dans de tels scénarios.
Ces dernières années, le développement d’alliances (Star alliance, Sky Team et Oneworld) démontre la tendance des compagnies à rechercher des synergies. Au-delà des alliances, on peut considérer que la tendance est à plus d’intégration au niveau européen (voir ce qui se passe avec Alitalia). Néanmoins, au sein des alliances, les compagnies se rejoignent davantage sur leur complémentarité que sur leurs similitudes (géographie, flotte…). Par conséquent, l’accès toujours plus facilité aux nouveaux aéroports et couloirs ouvrira certainement de nouvelles opportunités d’intégration, au sein de ces alliances. Comme pour le Ciel Européen Unique, le nouvel accord entre l’Union européenne et les États-Unis sera certainement à l’origine d’évolutions marquantes pour les compagnies aériennes.
L’accord « Ciel Ouvert » entre l’Union européenne et les États-Unis ouvrira de nouvelles opportunités, à la fois pour les compagnies aériennes et pour les passagers, mais cette avancée est bien loin de réaliser un réel Ciel Unique Transatlantique. Beaucoup reste à faire pour harmoniser les standards et développer les domaines directement concernés par le trafic aérien (environnement, sécurité…). La Commission européenne a donc lancé un projet d’envergure qui doit être soutenu, mais a encore besoin de se développer.
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