L’espace public européen se construit-il sur le web ?

, par Marc-Antoine Coursaget

L'espace public européen se construit-il sur le web ?

Un véritable espace public d’échelle européenne, tel qu’on le pressent dans ses manifestations ponctuelles, sera doté d’une composante Internet essentielle. Cet espace se structure déjà sur le Web, où il prend une partie de son histoire, réfléchit ses formes, et construit son avenir participatif.

L’espace public européen toujours peu visible hors de la Toile

Un espace public ne se limite pas à un noyau restreint d’individus. Or l’Europe est encore une affaire de spécialistes, y compris sur le Web. Cet espace public existe cependant, et s’anime à diverses occasions : adoption (ou rejet) d’un Traité par voie référendaire, avec Maastricht, le TCE ; par sursauts lors de la tenue de sommets européens, et brusquement lorsque les institutions de l’UE effleurent nos choix sociétaux : encadrement d’Internet, expulsion des Roms, OGMs, adhésion de la Turquie, etc.

L’accroissement des compétences communautaires devrait susciter l’éclosion d’un espace public plus large et plus accessible. Mais il demeure circonscrit aux think tanks, fédérations, représentations reliant un nombre croissant d’acteurs de la société civile européenne autour des institutions de l’UE. C’est la controversée démocratie des lobbys. Hors de ces cercles de spécialistes, un espace public, capable d’imposer un agenda médiatique véritablement transnational, tarde à émerger.

Les médias classiques, chaînes de télévision, grands journaux, font preuve d’un volontarisme tout relatif qui entretient le désintérêt général. Cette inattention médiatique est justifiée par une faible lisibilité, imputée aux barrières linguistiques, à la technicité des textes et aux délais d’application. Elle n’est surmontée qu’à l’occasion de brefs épisodes attisant la polémique, escarmouches du couple franco-allemand, critiques de l’euro... nourrissant plus facilement les lectures négatives de l’UE.

L’information et les débats sur l’UE se structurent d’abord sur Internet

Face au désintérêt des médias traditionnels, Internet s’est rapidement imposé comme lieu d’information privilégié sur l’UE. Après la création du portail europa.eu en 1995, des sites spécialisés aux lignes éditoriales véritablement européennes se sont développés. Mais Euractiv, Euobserver, Europolitique, European Voice et consorts restent consultés en majorité par des militants, des professionnels, des spécialistes et des politiques. On retombe sur la sulfureuse démocratie des lobbys, espace trop spécialisé et trop confiné pour l’espace public européen, qu’on souhaiterait voir se développer à l’échelle de l’UE.

Si l’espace public se mesure à l’aune de l’information publiée, force est de constater l’existence de 27 espaces publics européens. Le gros de l’information consultée en France est d’abord relayé par les sites d’institutions parlementaires, le portail Toute l’Europe, et les sites de journaux à grand tirage dont les sections « Europe » se limitent trop souvent à l’actualité institutionnelle des autres Etats membres (cf. La cartographie de la blogosphère de touteleurope, et inversement le top 10 des euros du village). Mais l’espace public en ligne ne se limite pas à l’information publiée, et se construit d’abord dans le partage et la confrontation d’opinions.

Vu sous cet angle, l’acte de naissance de l’espace public européen sur le Web est généralement situé au moment de la descente aux enfers du TCE. Le désintérêt des politiques pour la Toile et la trop faible présence d’euro-sympathisants avaient permis au Non de s’imposer. Cet électrochoc a marqué la classe politique et les fédéralistes en particulier, qui ont répondu avec la création des euros du village et bien sûr du Taurillon. La publication d’une information euro-citoyenne, pas toujours enthousiaste mais au moins lucide, sur les progrès réalisés dans la construction de l’UE, grâce à elle et à travers elle, contrebalancent aujourd’hui les tendances europhobes sur Internet.

L’approfondissement de cet espace public en ligne passe aujourd’hui par des entreprises participatives

Le libre accès aux documents, archives et contacts de la Commission et du Parlement permet une grande transparence du débat en ligne. Des sites nationaux se chargent de relayer l’information, mais la reformulent en fonction de problématiques nationales. Ces biais sont partiellement corrigés grâce à l’existence des sites et nombreux blogs euro-citoyens qui relaient l’information tout en gardant une perspective européenne : Entre les coulisses de Bruxelles et un européen jamais content, on pourrait citer l’europhobe Etienne Chouard, qui n’est pas sans influence dans l’émergence de cette blogosphère eurocitoyenne et souvent fédéraliste.

Le développement rapide des réseaux sociaux a donné une nouvelle impulsion à l’espace public européen, qui s’étend aujourd’hui sous la forme d’un nuage perméabilisant de vastes zones. Mais s’il s’approfondit, il s’élargit trop peu : on ne s’expose bien souvent qu’aux contenus que l’on recherche et auxquels on adhère préalablement, Internet renforçant la tendance. On retombe ainsi sur le problème initial : l’Europe intéresse peu au-delà des cercles de spécialistes.

Les efforts actuels visant l’émergence d’un espace public européen sont tournés vers l’élaboration d’une démocratie participative en ligne. Après les procédures facilitées de consultation par la Commission, la création de comptes Facebook et Twitter par les élus, la récente interface tweet your MEP facilite encore les échanges directs entre citoyens et décideurs. L’arrivée prochaine de l’Initiative citoyenne européenne pourrait donner un nouveau coup de fouet, en apportant un aboutissement concret à la mobilisation d’une opinion publique suscitée à l’échelle européenne. Avaaz et Greenpeace ne sont-ils pas déjà parvenus à mobiliser plus d’un million de citoyens européens sur la question des OGMs ?

L’émergence d’un espace public à l’échelle européenne est donc encore attendue, et la presse eurocitoyenne peut jouer le rôle d’incitateur. Elle peut ainsi cibler des groupes peu mobilisés tout en continuant de rassembler ses adhérents, sous une ligne résolument fédéraliste.

La combinaison de lectures euro-citoyennes et de sujets accessibles, les témoignages d’acteurs directs des institutions, la recherche d’une résonance avec l’agenda médiatique ou la vie quotidienne, peuvent attirer de nouveaux publics, grâce au relai des réseaux sociaux.

Les deux objectifs d’explication et de politisation peuvent être menés de concert, en continuant de mobiliser un cœur de militants fédéralistes qui forme la base de l’espace public européen en construction.

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Vos commentaires
  • Le 12 avril 2011 à 12:37, par AzaBrok En réponse à : L’espace public européen se construit-il sur le web ?

    Cher Marc-Antoine, J’ai l’impression en lisant votre article que la faute ne revient pas tant aux « citoyens » européens, mais bien plus aux relais médiatiques traditionnels qui « nationalisent » l’information européenne pour mieux faire passer la pilule (dans la majorité des cas, on parlerait même de suppositoire...). Mais on ne peut reprocher à ces médias de mal faire leur travail : l’UE est technique, c’est un fait, et quiconque tente de la rendre compréhensible passe pour un expert. Demandez à un Français lambda (je ne parle même pas des 26 autres...) s’il fait la différence entre « Conseil européen », « Conseil de l’Union européenne » et, soyons fous, « Conseil de l’Europe ». Comment voulez-vous rendre la chose attrayante ? En parlant de « Conseil », c’est peut-être justement au Conseil que revient le plus grand tort. Vous soulignez à raison que le Parlement et la Commission mettent tout en oeuvre pour être transparents (avec des problèmes de délais, mais bon...). Qu’en est-il du Conseil ? Et ne me parlez pas du site web... La plus haute institution européenne demeure entre les mains des Etats. Aucune transparence, aucune proximité avec les citoyens (cf. aliments nouveaux). On veut créer un espace public « européen », mais comment faire quand nos Etats ne le sont pas ?

  • Le 15 avril 2011 à 11:21, par HERBINET En réponse à : L’espace public européen se construit-il sur le web ?

    A la lumière du passé éclairant l’avenir, Pierre-Franck HERBINET, Secrétaire Départemental du Mouvement Démocrate Jura, espère « creuser un sillon européen », sincère, absolu, influent et vertueux. Nul besoin de rêver l’illusoire, mais de sceller sa propre destinée dans la veine de l’administration de la cité, si noble soit-elle. Faire entendre l’unicité de nos voix et incarner pleinement « l’accord parfait majeur » au service de l’intérêt général européen. Dépositaire légitime de l’idéal fédéraliste, notre génération de transition appelle à la création d’un CODEX européen, durable, juste et visionnaire. De points de vues en poings de vues, Pierre-Franck HERBINET a conscience que le chantier communautaire est considérable à l’aune des problèmes économiques, sociaux, environnementaux et sociétaux. La polémique enfle. Le peuple gronde. Les élites conseillent. Les politiciens sont moqués. Il convient de faire émerger de novatrices solutions. Un objectif prioritaire de l’avenir économique de nos sociétés européennes consistera dans un esprit de réciprocité, à un juste partage des richesses pour remplacer la croissance infinie et l’accumulation désordonnée de profits détruisant la pérennité de nos écosystèmes européens. Au sein de l’Union européenne, favorisons une économie solidaire favorisant un système, dont la vocation est le financement de l’économie et non la spéculation, étendons les principes démocratiques à l’Europe médiatique, juridique et économique. Garantissons l’égalité et la parité aux femmes européennes, offrons la liberté de conscience et de parole aux peuples européens, la promotion d’une laïcité européenne forte.

    Pierre-Franck HERBINET

  • Le 3 juin 2011 à 09:48, par HERBINET En réponse à : L’espace public européen se construit-il sur le web ?

    La vie pour le pouvoir ou le pouvoir pour la vie ? Désormais la Toile est devenue un lieu de débats pluriels. Au sein du village global naît le contre-pouvoir sous l’impulsion essentiellement de la société civile et des citoyens éclairés. Le pouvoir fait rêver, si bien que les forts en web émulent les forts en thème. Fasciné ! Fascinant ! Quand la conduite de l’action publique suscite les plus folles passions. Exalté ! Exaltant ! Culture de l’élégance ou culture de la cruauté ? Savez-vous que la phrase de Saint Just « Un peuple est libre (...) quand il est réglé par des lois » est ressentie comme une humiliante onde de choc par les citoyens, creusant un peu plus encore l’abîme entre les puissants et le peuple. Luxure, luxe, médias, connivence politique façonnent la légende des représentants et des administrateurs décriés avec cynisme. Les « cercles restreints » , les dîners mondains enflamment l’opinion publique partagée entre brumes et poussières d’étoile. Exaltant ! Exalté ! Telle une perle dans la rosée matinale, et si notre songe universel ne serait autre que de cueillir le POUVOIR pour la VIE ? La vie pour le pouvoir et le pouvoir pour la vie ! Comme Stéphane Hessel, la société civile s’indigne sur la Toile avec une conscience citoyenne. Il n’y a pas de pouvoir sans contre-pouvoir, puisque sa quête est le but ultime poursuivi par toutes et tous.

    Pierre-Franck HERBINET

  • Le 21 juin 2011 à 10:42, par HERBINET En réponse à : L’espace public européen se construit-il sur le web ?

    Why Europe is so politically difficult ? Intervenant sur les questions européennes lors de la manifestation 100 idées pour la France sise à Strasbourg (Juin 2011), Pierre-Franck Herbinet remercie les organisateurs - le Nouvel Observateur et Terra Nova - .

    Face à la crise, à la mondialisation, aux enjeux démographiques et technologiques, les choix imposés à l’opinion publique sont perçus telle une immense rudesse, ce qui contribue d’accroître le déficit démocratique entre les populations européennes et les institutions européennes. Si l’acception fédérale de la construction européenne est soumise aux joutes politiciennes elle n’en demeure pas moins, outre la pureté saisissante de l’idée, de concilier le désirable fédéraliste avec le possible constructible. N’ayant de cesse de porter le renouvellement programmatique et générationnel, notre génération de transition imagine. Une voilure ... Des ailes pour le fédéralisme ? Et si nous imaginions de nouveaux instruments numériques uniformisant l’espace numérique européen ? L’espace qu’il soit géographique, territorial, politique ou juridique est irrigué de multiples sources. Ce que nous appelons de nos vœux, loin de la petite musique élyséenne, mais proche de l’opus strasbourgeois, ce sont le développement de novateurs instruments numériques ayant pour objet l’irrigation du territoire public européen. Par exemple, les libertés individuelles comme la démocratie européenne seront pollinisatrices aux communautés apprenantes, lesquelles seront interconnectées à la société civile, aux responsables économiques et politiques et aux leaders d’opinions. Chaque acteur prendra sa place dans les débats citoyens et pluriels au sein de réseaux interconnectés à l’échelle européenne. En effet, la cybercommunication citoyenne et interconnectée est un outil au service de notre « européanité » grâce aux « passeurs de messages » dans le cadre plus général du processus d’unification européenne.

    Pierre-Franck Herbinet

  • Le 29 juillet 2011 à 17:34, par Chloé En réponse à : L’espace public européen se construit-il sur le web ?

    Je pense que votre propos - bien qu’argumenté - est totalement discrédité par le raccourci habituel « non à la constitution = europhobie ». Vous citez Etienne Chouard, qui lors du débat sur le TCE a défendu une vision alternative de l’Union européenne. Peu importe qu’on soit d’accord avec lui ou pas, c’est une question d’honnêteté intellectuelle que d’éviter ce type de raccourci. On aura fait beaucoup de chemin quand tous ceux qui se réclament du fédéralisme accepteront qu’on peut être pour une Europe sans frontières ET contre le Traité de Lisbonne.

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