En effet, depuis janvier 2007, les communes à facilités de Linkebeek, Kraainem/Crainhem et Wezembeek-Oppem, toutes trois sises en périphérie bruxelloise (en région flamande donc) attendent que leur autorité de tutelle, le Ministre flamand de l’intérieur Marino Keulen, nomme enfin leurs chefs. Attention, c’est un peu compliqué, et je vous vois déjà venir, haussant les épaules et soufflant : « que se passe-t-il encore ? »
Rien de bien grave, quoique...
Francophones/Flamands : 1 point partout
Tout part de la frontière linguistique, antique revendication flamande, qui a été fixée dans les années soixante. De part et d’autre subsistaient, et subsistent d’ailleurs toujours, quelques communes dans lesquelles une forte proportion de la population ne s’exprime pas dans la langue officielle du territoire sur lequel elle vit. Un système de « facilités linguistiques » a donc été mis en place pour que, notamment, les administrés puissent entretenir une correspondance avec leur administration dans leur langue [2]. Depuis deux logiques s’affrontent :
– côté francophone, les facilités sont des droits protecteurs des minorités linguistiques, immuables, automatiques et peut-être extensibles.
– côté flamand, les facilités sont, ou plutôt devraient avoir été, transitoires, restreintes dans certains domaines et, surtout depuis les directives interprétatives Peeters - un prédécesseur de M. Keulen -, non automatiques : l’administré doit demander expressément et à chaque correspondance officielle que celle-ci puisse se faire dans sa langue.
Dans nos trois communes, les élus francophones ont décidé d’appliquer leur logique et donc d’envoyer pour les élections communales de 2006 des convocations en français à leurs administrés. Avec une proportion de francophones atteignant parfois 90%, point besoin, pensaient-ils, d’attendre que tout le monde fasse la demande de traduction. L’administration flamande a peu goûté le procédé. Et ce d’autant que depuis leur réélection les élus francophones continuent parfois de s’exprimer en français durant les conseils communaux, ce qui constitue légalement un trouble à l’ordre public. En France, cette qualification peut paraître exagérée, mais que penserait-on si le conseil municipal de Bonifacio se tenait en langue corse...
Depuis un an, chacun campe sur ses positions et c’est l’impasse.
L’arbitre européen ?
Se saisissant de la question après des plaintes répétées d’élus belges et pour y voir plus clair, le Congrès des pouvoirs locaux a dépêché le Français Michel Guegan et le Serbe Dobrica Milovanovic en une petite délégation rapide, mais fort médiatique, afin de faire le tour de la question. Le rapport du 22 mai dernier, tout comme ceux des différentes organisations internationales et régionales qui se sont penchées au chevet du cas belge, renvoie une fois de plus dos-à-dos les deux Communautés linguistiques.
Il est ainsi fortement reproché au Ministre flamand de laisser persister une situation de vide politique au-delà du « délai raisonnable dans lequel les administrés étaient en droit d’attendre une solution (...) ce qui porte atteinte à la bonne gestion des affaires publiques de ces communes » [3]. Les rapporteurs mettent aussi l’accent sur « les restrictions à la participation des administrés à la vie locale » [4], bien évidemment contraires au Préambule de la Charte européenne de l’autonomie locale, que provoquent les directives interprétatives Peeters. Last but not least, les rapporteurs soulignent la disproportion de la non-nomination/sanction, au regard des résultats électoraux [5]. Et posent implicitement la question d’un déni de démocratie.
Les francophones ne sont pas pour autant exempts de reproches. Primo, ils ne jouent pas le jeu légal en place. Les rapporteurs remarquent fort justement que la loi et la jurisprudence sont claires sur l’utilisation exclusive du néerlandais durant les Conseils municipaux [6]. Secundo, les rapporteurs se demandent avec beaucoup de pertinence pourquoi les élus francophones n’ont pas, depuis plus d’un an, intenté d’action devant les tribunaux administratifs [7]. D’autant que, notent les rapporteurs, l’extinction des voies de recours internes permettraient à une juridiction européenne (mettons la Cour européenne des Droits de l’Homme) d’être saisie de l’affaire...
En effet pourquoi ?
Officiellement, les francophones arguent qu’un recours serait jugé par une chambre néerlandophone, donc peu encline à leur donner raison. Enfin, compte tenu de la lenteur de la justice administrative belge, le cas ne serait pas résolu avant les prochaines élections communales, ce qui laisserait effectivement le mandat municipal sans bourgmestre.
Officieusement, il y a fort à parier que les francophones ont un dossier juridique beaucoup moins consistant. D’autant qu’on se souvient qu’à l’origine, la bourgmestre d’une autre commune à facilités, Drogenbos, faisait, elle aussi, partie des non-nominés et qu’après avoir fait amende honorable, elle avait retrouvé son poste, sans doute présageant l’imbroglio à venir. Surtout, les francophones veulent jouer la carte politique : une judiciarisation de l’affaire ferait trainer les choses et finalement n’apporterait rien sur le plan politique si les tribunaux jugent en leur défaveur dans un premier temps. D’autant que les échéances politiques et électorales sont proches : le Gouvernement Leterme, sans être mort né, est bien moribond, et 2009 annonce des élections régionales et européennes...
Les extrémismes hors-jeu ?
A cette guérilla politique, à laquelle les Flamands répondent par une accusation de lobbying francophone international, se joint une véritable guerre des nerfs. Dernière escarmouche en date, la réunion de soutien des trois « bourgmestres » à Woluwé-Saint-Lambert. Cette commune opulente de la Région Bruxelles-Capitale est le fief du leader du Front démocratique francophone, Olivier Maingain, l’excité défenseur de la cause francophone bruxelloise et péri-bruxelloise. Tous les partis francophones membres de l’opposition aussi bien que membres de la majorité fédérale, y avaient délégué l’un des leurs, au risque de précipiter un peu plus la chute du premier Gouvernement Leterme.
A l’extérieur du centre culturel Wolubilis de Woluwé, les moustiques du TAK - Taal Aktie Komitee ou comité d’action de la langue (néerlandaise bien sûr) [8] - entonnaient l’un de leurs tubes : « Franse ratten, rol uw matten ! » [9] ce qui se traduirait littéralement par « rats français, foutez le camp ! »
Mais bon, comme le disait un élu francophone au délégué serbe du Conseil de l’Europe avec un immense sourire, la Belgique n’est pas au bord de la guerre civile. On raconte que M. Dobrica Milovanovic aurait fâcheusement pris ça pour lui et se serait fendu en partant d’un : « C’est ce que l’on disait aussi chez nous.... »
Certes, la Belgique ce n’est pas la Yougoslavie, mais je serais Belge, je ne rirais plus trop... quoique...
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