L’adoption du traité consolidera l’Europe fondée sur les droits et les valeurs qui sont au cœur de sa construction depuis son origine.
Si on ne sait pas vraiment comment appeler le texte européen qui est aujourd’hui en débat (est-ce un Traité ? est-ce une Constitution ?), l’un des principaux éléments faisant pencher la balance vers la dénomination de « Constitution » est l’incorporation de la Charte des droits fondamentaux au sein de la deuxième partie de ce texte. Elément incontesté et d’ailleurs difficilement contestable, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne est considérée comme étant l’un des principaux progrès du « Traité établissant une Constitution pour l’Union européenne », même si certains mettent en doute sa portée juridique.
Première originalité de cette Charte : sa méthode d’élaboration. En effet, si certains évoquent la « méthode conventionnelle » comme étant l’une des principales innovations ayant permis la rédaction du Traité constitutionnel européen, il convient néanmoins de rappeler que la convention chargée de rédiger une Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne avait siégé auparavant. En effet, cette première convention s’était réunie dès 1999. Elle était composée de 62 membres représentant les parlements nationaux et européens ainsi que les gouvernements nationaux. En outre, plusieurs personnes émanant d’autres institutions (Cour de Justice, Conseil de l’Europe, Comité économique et social, Comité des régions) ou de la société civile avaient collaboré aux travaux. Cette composition large ainsi que le processus ouvert d’élaboration du texte ont représenté un réel changement de méthode pour l’Union européenne. Cette nouvelle méthode semble d’ailleurs aujourd’hui avoir fait ses preuves, puisque la convention sur l’avenir de l’Union aura par la suite réussi, là où les chefs d’Etats et de gouvernements avaient échoué à Nice en l’an 2000. De plus, la « méthode conventionnelle » sera désormais inscrite comme procédure de révision possible, si le traité constitutionnel venait à être adopté.
Revenons à la Charte et à son contenu. Elle reprend les principales valeurs de l’Union européenne, y compris dans le domaine social. Ainsi, elle affirme que : « l’Union se fonde sur les valeurs indivisibles et universelles de dignité humaine, de liberté, d’égalité et de solidarité ; elle repose sur le principe de la démocratie et le principe de l’Etat de droit. Elle place la personne au coeur de son action en instituant la citoyenneté de l’Union et en créant le principe de liberté, de sécurité et de justice » (extrait du préambule de la Charte).
A la demande de la France, la référence à l’héritage culturel, humaniste et religieux, souhaitée par les démocrates-chrétiens allemands, a été supprimée du préambule - cette référence posant à la France, « République laïque », un problème « philosophique, politique et constitutionnel ». Le préambule de la Charte évoque maintenant l’héritage spirituel de l’Europe.
Les droits consacrés par cette Charte se répartissent en trois axes :
– les droits civils : droits de l’homme et droits de la procédure juridique, (respect de la dignité humaine, liberté de pensée, d’expression, d’information, égalité des hommes et des femmes, respect de la diversité culturelle, intégration des handicapés, droit à la justice...) ;
– les droits politiques qui sont liés à la citoyenneté européenne (droit de vote et d’éligibilité...) ;
– les droits économiques et sociaux qui reprennent ceux énoncés par la Charte communautaire des droits sociaux des travailleurs, adoptée en 1989 et comprenant notamment la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, droit à la limitation du temps de travail, protection en cas de licenciements injustifiés, information et consultation des travailleurs, la lutte contre l’exclusion sociale ...
Enfin, cette Charte contient également des droits dits de « nouvelle génération » regroupant les droits liés à la bioéthique, à la protection de données personnelles, à la défense de l’environnement ...
Le texte de la Charte définit ainsi en 54 articles les différents droits, sociaux, politiques et économiques dont devraient bénéficier l’ensemble des citoyens de l’Union européenne et c’est là certainement l’une des grandes forces de ce texte.
Maintenant se pose la question de savoir si cette Charte en restera à l’état d’une belle déclaration de principe ou si elle sera réellement applicable et appliquée partout en Europe. Certains semblent en effet mettre en doute son potentiel juridique. Or, ce qui était effectivement assez flou lors de l’adoption de la Charte en décembre 2000 à Nice, deviendrait aujourd’hui, avec l’adoption du Traité constitutionnel européen, beaucoup plus contraignant. En effet, la Charte des droits fondamentaux est complètement intégrée au Traité constitutionnel puisqu’elle en compose la seconde partie. Ceci permet de lui conférer une réelle valeur juridique contraignante pour l’ensemble des Etats et des institutions de l’Union européenne.
Certes, cette inscription dans le cœur du Traité n’a pas été simple, car certains Etats, notamment la Grande Bretagne, considéraient quelques-uns des droits énoncés (notamment les droits sociaux), comme trop contraignants. Ces derniers ont alors tenté d’en limiter la portée en demandant l’inscription de clauses interprétatives de la Charte. Pour autant, la plupart des représentants des syndicats européens estiment aujourd’hui que ces clauses ne devraient pas modifier l’équilibre général du texte. En outre, l’histoire et la jurisprudence de la Cour européenne de justice - pour laquelle ces « clauses interprétatives » ont été rédigées - montrent que cette dernière n’a pas pour habitude de limiter la portée du droit européen en fonction des réticences nationales ...
En définitive, l’essentiel des droits affirmés et reconnus par cette Charte ne constitue pas une vraie révolution pour les Français, même s’il ne faut pas négliger certains droits nouveaux qui leur sont reconnus (à l’exemple des droits de nouvelle génération notamment).
Néanmoins la principale nouveauté et la grande innovation de l’inscription de la Charte au sein du Traité constitutionnel européen est qu’elle permettra de donner une base juridique commune aux droits s’appliquant dans l’ensemble des Etats membres de l’UE. Ainsi, en adoptant le Traité constitutionnel européen, les Etats membres de l’Union européenne - actuels et futurs - auront pour obligation de respecter cette Charte, puisqu’elle fera désormais partie de « l’acquis communautaire européen ». En somme, l’adoption du Traité constitutionnel européen, du fait de l’inscription de la Charte des droits fondamentaux en son sein, consolidera de fait l’Europe fondée sur les droits et les valeurs qui sont au cœur de sa construction depuis son origine.
Jessica Pennet
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