L’inadaptation quasi culturelle du pays tout entier au fonctionnement de l’Europe politique
Le Conseil d’Etat vient de donner à l’administration française une leçon de diplomatie européenne. « La France peine aujourd’hui à maîtriser l’ensemble des stratégies qui permettraient la poursuite, dans des conditions harmonieuses et conformes aux intérêts nationaux, de la construction de l’Europe », constate le rapport annuel de la haute juridiction administrative.
Un déficit qui a pour origine une incompréhension des mécanismes décisionnels de Bruxelles. « Le ressort de l’efficacité en Europe réside dans l’influence et les réseaux moins que dans la puissance », constate Jean-Marc Sauvé, le nouveau vice-président du Conseil d’Etat. En clair, ni l’administration française ni les politiques ne doivent avoir peur de faire du lobbying. « Bruxelles est une auberge espagnole, chacun en retire ce qu’il y a apporté », constate Josseline de Claussade, rapporteur général du texte. Et le conseiller d’Etat de prôner une « véritable stratégie d’influence politique ».
A quinze mois de la présidence française de l’Union européenne, au deuxième semestre 2008, le Conseil d’Etat appelle donc à des changements profonds et rapides.
Les mesures à mettre en oeuvre
– Créer des groupes de travail
Pour y parvenir, le maître mot est l’anticipation. Un exemple : la directive service, qui a été pour beaucoup dans l’échec du référendum sur la Constitution européenne en 2005, avait fait l’objet d’un Livre vert en 2003, d’un Livre blanc en 2004. Avant que le principe du pays d’origine ne cristallise toutes les craintes françaises, le texte courait depuis plus de deux ans les couloirs bruxellois. L’administration française doit donc « développer un vrai réflexe européen » pour négocier les directives de Bruxelles si elle ne veut pas courir le risque « d’aliéner une partie de l’opinion à la cause » de l’Europe, affirme le Conseil d’Etat.
Une des voies d’amélioration est ainsi d’associer en amont les partenaires économiques et sociaux. Ces « acteurs influents du processus de décision européen » doivent pouvoir « exprimer leur point de vue avant que les positions officielles [de la France] ne soient définitivement arrêtées ».
Le rapport suggère donc de créer, à l’image du Danemark et de la Grande-Bretagne, « des groupes de travail » composés de représentants de l’administration, parlementaires et partenaires privés chargés d’examiner les propositions communautaires.
– Créer un Conseil stratégique sur l’Europe
Une manière de prévenir aussi les difficultés d’application et les incompréhensions, alors que la France se place au 23e rang - sur 25 membres avant le 1er janvier 2007 - en ce qui concerne le respect du droit communautaire. Par ailleurs, plusieurs modifications institutionnelles sont envisagées, comme la création d’un « conseil stratégique sur l’Europe » auprès du président de la République chargé d’examiner « les principaux sujets européens » et de « délibérer des grandes échéances prévisibles à cinq ans ». Reste à savoir si ces conseils évidents seront suivis d’effet, mais le Conseil d’Etat aime marteler ces leçons : en 1992, déjà, un rapport de la haute juridiction administrative avait fait le même constat et promu les mêmes avis.
Enfin, pour renforcer les réflexes européens, il suggère une meilleure prise en compte du droit européen lors de chaque réforme nationale et l’accroissement de la dimension européenne dans la formation et la carrière des fonctionnaires.
Deux ans après la publication du rapport « Herbillon » sur la fracture européenne puis du rapport Dassa sur formation des fonctionnaires aux problématiques européennes, le rapport annuel de la Haute juridiction administrative nous rappelle l’urgence de faire que les questions européennes soient au cœur, de façon quotidienne et méthodique, de l’action des politiques et des stratégies économiques des entreprises.
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