La Grèce a-t-elle intérêt à sortir de l’euro ?

, par Jérémy Calohard

La Grèce a-t-elle intérêt à sortir de l'euro ?

Pour M. Le Héron, économiste et maître de conférences à Sciences Po Bordeaux, les mesures prises par les chefs d’Etat de la zone euro pour résoudre la crise grecque étaient nécessaires mais insuffisantes. Le FESF ne résisterait pas à une crise généralisée impliquant l’Italie et le Portugal. Sans politiques économiques coordonnées et augmentation du budget européen, les fondements de la crise ne se résoudront pas.

Interview de M. Le Héron, économiste et maître de conférences à Sciences Po Bordeaux :

L’actualité européenne continue d’être marquée par la mise en œuvre d’un plan d’austérité en Grèce. Que cela vous inspire-t-il ?

Rien de bon. Le problème de la Grèce ne vient ni de la crise financière, ni de sa dette insoutenable mais plutôt du fait que son Etat est faible et corrompu. Son PIB est sous perfusion de l’Union européenne pour plus de 10% et sa population a pris l’habitude de ne pas payer ses impôts.

C’est donc un problème structurel qu’un plan d’austérité ne résoudra pas, mais qui risquerait au contraire de plonger le pays dans une spirale déflationniste.

Ne pensez-vous pas, comme certains économistes, que la Grèce doit sortir de la zone euro ?

Non. Sa dette est contractée en euro. Sortir de l’euro se traduirait par une dévaluation de sa nouvelle monnaie qui pourrait atteindre les 40 %, ce qui renchérirait d’autant le coût de cette dette. Cela aurait un sens si le problème grec était sa compétitivité. Mais ce n’est pas un pays industriel : ses ressources sont essentiellement le tourisme, la marine marchande et, dans une moindre mesure, l’agriculture et les services. Ces secteurs ne gagneraient rien à avoir une monnaie faible, bien au contraire.

Après le vote positif du parlement slovaque, l’Union européenne s’apprête désormais à mettre en œuvre son Fonds européen de stabilité financière (FESF). Que cela va-t-il changer ?

Il est encore un peu tôt pour parler de ce FESF, dont le fonctionnement n’est pas encore acté : il est déjà prévu qu’il soit remplacé après 2013 par le Mécanisme de Stabilité Financière, qui sera un système pérenne.

L’objectif au départ est notamment d’acheter une part de la dette publique des pays en difficulté afin d’y faire baisser les taux d’intérêt et d’assurer le financement de ces pays. Mais, même avec 1.000 milliards d’euros, il est certainement insuffisant face à une crise généralisée en Italie, en Espagne et au Portugal.

Huit instituts allemands ont récemment appelé les dirigeants européens à concentrer leurs efforts sur un plan de sortie de crise intégrant un défaut de paiement partiel de la Grèce. Quelles en seraient les conséquences pour les autres Etats membres de l’UE ?

La dette grecque a été dévalorisée d’au moins 50 %, ce qui signifie que la Grèce remboursera 50 euros pour 100 empruntés. Les banques privées qui détiennent majoritairement cette dette grecque - et au premier rang les banques françaises - perdront la différence. La BCE, qui en a acheté pour 95 milliards environ, perdra également. D’où la nécessité de recapitaliser les banques (d’un montant estimé de 106 milliards d’euros). Si l’on fait payer les banques et qu’elles se recapitalisent sur le marché, le contribuable européen ne paiera pas directement.

Selon vous, quelles mesures l’Union européenne devrait-elle prendre pour limiter la contagion ?

Le danger est celui d’un effet domino. Plusieurs mesures sont à mettre en place. Il fallait en priorité résoudre de manière crédible la question de la dette grecque, en la dévalorisant. De même, un FESF puissant utilisant un effet de levier (capacité de financement) et l’émission d’obligations européennes à taux d’intérêt bas pour financer les pays en difficulté étaient nécessaires.

Il faut avant tout montrer une bonne coordination et une solidarité européenne. Cela implique de s’engager sur une réduction des déficits en imposant les hauts revenus, mais aussi d’élaborer des politiques de redistribution des revenus plus justes pour conserver une croissance suffisante et éviter la déflation. Egalement, il est important de réduire et, si cela est possible, d’interdire les outils de la spéculation (credit default swaps (CDS), ventes à découvert). Enfin, il faut que l’Allemagne relance sa consommation interne.

Pensez-vous qu’une révision des traités est nécessaire aujourd’hui ?

Oui. Il faut absolument améliorer la coordination des politiques économiques. Cela passe par l’augmentation du pouvoir budgétaire européen. Il s’agit, d’une part, d’augmenter le budget européen et, d’autre part, d’oeuvrer pour une maîtrise européenne des budgets nationaux en cas de difficulté d’un pays. De plus, il faut réviser la banque centrale pour la rendre plus démocratique et modifier son mandat en ajoutant à ses objectifs : l’emploi et les prix des actifs financiers. Enfin, en contrepartie de cette perte de souveraineté, des processus d’entraides automatiques devraient être intégrés.

Le 31 octobre, Jean-Claude Trichet a quitté la tête de la BCE. Quel jugement portez-vous sur son mandat ?

Globalement positif. Il a fait preuve d’imagination et d’innovation lors de la crise de 2008 en mettant en oeuvre des politiques non conventionnelles, malgré le faux pas de la hausse des taux d’intérêt en juillet 2008. À l’image de la Bundesbank, il a été pragmatique, en particulier lorsqu’il a fait acheter par la BCE une partie de la dette publique de certains pays en difficulté - ce que les traités lui interdisaient de faire. Il a alors affronté l’hostilité allemande. Mais, à l’image des statuts de la BCE, sa légitimité démocratique est faible. De même, la coordination entre la politique monétaire de la BCE et les politiques économiques des Etats est restée très insuffisante.

Mots-clés
Vos commentaires
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom