Le Conseil européen de Lisbonne en mars 2000 a lancé une stratégie dite « de Lisbonne » dans le but de faire de l’Union européenne (UE) « l’économie la plus compétitive au monde et de parvenir au plein emploi avant 2010 ». Elle repose sur trois piliers.
Un pilier économique qui doit préparer la transition vers une économie compétitive, dynamique et fondée sur la connaissance, achever le marché intérieur, réaliser un environnement favorable au développement des entreprises.
Un pilier social qui doit permettre de moderniser le modèle social européen grâce à l’investissement dans les ressources humaines et à la lutte contre l’exclusion sociale : investir dans l’éducation et la formation, mener une politique active pour l’emploi.
Un pilier environnemental qui a été ajouté lors du Conseil européen de Göteborg en décembre 2001.
Pour atteindre les buts fixés, une liste d’objectifs chiffrés a été arrêtée dans chacun de ces domaines. Par exemple :
– économie : produit intérieur brut (PIB), productivité, dépenses en recherche-développement (objectif de 3% du PIB en 2010), investissement des entreprises, utilisation des nouvelles technologies…
– emploi : taux d’emploi global (objectif de 70% en 2010 ), taux d’emploi de femmes (objectif 60%)…
– social : niveau d’instruction des jeunes (réduire de moitié le nombre de jeunes en situation de décrochage scolaire), risque de pauvreté…
– environnement : émissions de gaz à effet de serre, intensité énergétique, volume de transports de fret/PIB…
En 2005, le processus a été révisé et centré sur la croissance et l’emploi. En 2007, le processus de Lisbonne a été promu au rang de « réponse européenne à la mondialisation » par l’adjonction, notamment de la problématique énergétique et de la dimension extérieure. Sa mise en œuvre est déclinée dans divers instruments de coordination qui s’appellent « Grandes orientations de politiques économiques », « Lignes directrices pour l’emploi », « Agenda social ».
Le problème de la mise en œuvre de cette stratégie est que les politiques concernées relèvent presque exclusivement des compétences attribuées aux États membres. En l’absence de politique communautaire, l’Union ne peut que coordonner les politiques nationales. C’est la méthode dite « méthode ouverte de coordination » : on définit des objectifs, des plans d’action nationaux on met en place des indicateurs et on fait le point périodiquement pour voir ce qui a avancé.
Concrètement et en parallèle : chaque État met en œuvre un « Programme national de réformes » qu’il a lui-même conçu pour mettre en œuvre les objectifs de la stratégie de Lisbonne ; la Commission met en œuvre ce qui relève de ses compétences dans un « Programme communautaire de Lisbonne ».
La stratégie de Lisbonne est mise en œuvre parallèlement aux politiques communes qui touchent à l’économie :
– politiques existantes : Marché intérieur, politique commerciale commune, politique monétaire, PAC
– politiques en devenir : politiques communes de l’énergie, de l’environnement, de la recherche, de l’immigration, Eurogroupe.
Quel est le bilan de la stratégie de Lisbonne ?
Quand on regarde l’objectif fixé en 2000 de « faire de l’Union européenne (UE) l’économie la plus compétitive au monde et de parvenir au plein emploi avant 2010 » on a une impression d’un objectif bien ambitieux au regard de ce qui a été accompli à ce jour.
La principale déception concerne l’économie de la connaissance :
– Alors que l’objectif était d’augmenter les dépenses de recherche jusqu’à 3% du PIB, elles ont stagné de 2000 à 2005 à 1.9 % du PIB seule la Finlande et la Suède atteignent leurs objectifs. Au rythme actuel, la Chine devrait dépasser l’effort européen en recherche et développement dés 2010.
– Le taux de scolarisation dans l’enseignement supérieur est très inférieur dans l’union (58%) qu’aux États-Unis (83%). Les dépenses d’éducation par étudiant sont très inférieures en Europe (8 000 €) qu’aux États-Unis (21 000 €) ou qu’au japon (10 000 €)
L’emploi s’améliore : le taux d’emploi dans l’Union est passé de 62.2% en 2000 à 64.8 en 2006. 5 pays atteignent les objectifs (70%) : Danemark, Pays-Bas, Autriche, Royaume-Unis, Suède.
Une étude récente sur les 15 plus grandes économies européennes est plus positive : 11 pays devraient atteindre les objectifs de la stratégie de Lisbonne en 2010. Seuls 3 pays ne sont pas en bonne voie : la France, l’Autriche et l’Italie.
La stratégie de Lisbonne est elle suffisante ?
La stratégie de Lisbonne est souvent jugée insuffisante, voir analysée comme un échec :
– elle n’est pas associée à un engagement suffisant de la Commission pour renouveler le modèle social européen.
– elle se heurte à une coopération insuffisante des états entre eux et avec l’Union.
– elle n’est pas à la hauteur des enjeux de la mondialisation
Une dimension sociale insuffisante
Lors de la révision de la stratégie de Lisbonne en 2005 les priorités ont été la croissance et l’emploi en laissant de coté les préoccupations sociales et environnementales.
Les Chefs d’État et de Gouvernements ont en mars dernier discuté des orientations à donner à la stratégie de Lisbonne pour la période 2008-2010.
A cette occasion le Parlement Européen a demandé que la dimension sociale de la stratégie de Lisbonne soit renforcée. Martin Schulz, président du groupe socialiste Parlement européen, a fustigé l’inaction de la Commission dans les domaines social et environnemental et demande des mesures pour renforcer l’intégration et la protection sociale, instituer des normes sociales minimales contraignantes, renforcer les services publics.
Une méthode peu efficace
Au-delà de la mise à jour à court terme de la stratégie de Lisbonne, ne faut-il pas la remettre en cause ? comment faire pour être plus efficace ? Les propositions ne manquent pas : Alain Lipietz demande que la stratégie de Lisbonne intègre les conséquences du changement climatique, mais aussi la supervision de la finance, une politique fiscale, une taxe aux frontières sur le CO², une politique de change favorable à 8l’emploi ; Jacques Delors appelle à un Pacte de coordination des politiques économiques nationales ; Philippe Herzog propose un « Nouvel Acte Unique » qui porterait sur la compétitivité et la croissance mais aussi sur le renouvellement du modèle social, le respect de l’environnement, une réforme du budget, une harmonisation fiscale.
D’autres proposent que, pour être plus efficace, on passe d’une simple coordination des états à de véritables politiques communautaires. Le projet de « Communauté Européenne de l’environnement, de la recherche et de l’énergie » de Jean-Paul Fitousi, E. Laurent et J. Le Cacheux. L’institut Bruegel propose, lui, que le président de l’Eurogroupe puisse intervenir pour définir les réformes structurelles dans chaque pays et propose que le budget européen les finance.
Une stratégie insuffisante face aux défis de la mondialisation
Les défis auxquels les économies européennes ont à faire face se précisent rapidement :
– Le basculement du monde de l’Ouest vers l’Est : émergence rapide de la Chine, l’Inde, le Brésil, la Russie (BRIC).
– La demande croissante de matières premières et d’énergie, la dépendance croissante de l’Europe.
– La crise financière, l’importance croissante des réserves et des fonds souverains des pays émergeants, les problèmes de change.
– La crise climatique et environnementale.
Signe de la prégnance de plus en plus forte de la mondialisation, l’Union s’interroge sur la dimension extérieure à donner à la stratégie de Lisbonne.
Comment les européens doivent-t-ils agir de concert à l’extérieur pour préserver leurs intérêts , leur modèle social, promouvoir un mode de développement conforme à leurs valeurs ?
Cette logique est au centre du rapport récemment produit par Laurent Cohen-Tanugi pour le gouvernement français dans le cadre d’une mission « Europe dans la mondialisation » qui propose une stratégie « EuroMonde » associant une stratégie « Lisbonne + » et les politiques communautaires.
Une politique économique extérieure de l’Union devra inclure :
– des représentations extérieures communes.
– une politique de l’euro.
– des instruments de protection commerciale.
– une politique industrielle.
– une politique d’approvisionnement énergétique et en matières premières.
– la promotion de normes sociales et environnementales.
– la prise en compte des impératifs de sécurité et géostratégiques.
Au-delà du cycle en cours de la stratégie de Lisbonne qui s’achève en 2010, le Conseil européen a engagé la réflexion sur l’après 2010. Étant donné la difficulté d’accorder les points de vue dans une Europe à 27, cela va prendre du temps, mais c’est une nécessité.
1. Le 11 mai 2008 à 16:36, par zelectron En réponse à : La Stratégie de Lisbonne
Et l’Europe du cœur, celle que vous oubliez ? Je dis : « mon Italie, mon Allemagne, mon Angleterre, mon Italie, ma Pologne.... » est-ce mal docteur ? Je me sens bien dans mon Europe, c’est celle qui m’a nourrit de ses philosophies, écrits, sciences, de sa civilisation, de son histoire (pas toujours respectable), de son amour de la vie.
2. Le 12 mai 2008 à 11:09, par Florent Lardic En réponse à : La Stratégie de Lisbonne
En effet, la Stratégie de Lisbonne est insuffisante, en partie logiquement, car il n’y a pas de sanctions à son non respect. Alors, quand on voit ce qu’il advient des programmes dotés de sanctions à l’instar du PSC, on imagine que les Etats membres ne feront que des efforts minimes et différenciés. Ceci dit, c’est en même temps une forme d’action publique européenne assez innovante, qui repose sur l’incitation, le contrôle, et non la sanction. « Esthétiquement », c’est intéressant ! Enfin, je suis d’accord (mais avouons-nous que la remarque est très française), la partie sociale, et je rajouterais environnementale, est peau de chagrin, et s’efface assez nettement dès qu’on regarde les mesures d’application de la Stratégie !
Florent Lardic
3. Le 13 mai 2008 à 11:47, par Jean-Jo En réponse à : La Stratégie de Lisbonne
Aaah la stratégie de Lisbonne ! un programme aussi ambitieux que celui de l’ONU « Objectifs du Millénaire », dont on a rapidement souligné les retard dans la mise en application. A noter que les deux programmes sont assez concomittants mais ne partagent pas toujours les mêmes objectifs => il y a donc une certaine forme de gouvernance mondiale.
La stratégie de Lisbonne est malheuresement un « package » d’objectifs agrégés au fur et à mesure des sommets européens, je parlerai plus volontiers d’un fourre-tout.
La difficulté dans l’annonce d’objectifs (ambitieux ou pas) réside dans la capacité à mettre en oeuvre ceux-ci, or la charge de la mise en oeuvre repose entre les mains des Etats membres. Car dans la plupart des domaines concernés par cette stratégie, l’Union européenne n’a qu’une compétence d’appui ou de coordination (d’où la référence à la méthode ouverte concertée).
Cependant l’Union dispose de véritables outils comme l’adoption de textes à valeur contraignante (ex : lignes directrices concernant les aides d’Etat dans le domaine de l’environnement) ou le financement de projets (fonds structurels, initiatives communautaires comme le PCRD). Souvent les deux outils précités sont utilisés, ainsi les Etats de l’ex-Europe des 15 doivent utiliser les fonds structurels européens dans les domaines annoncés comme prioritaires par la stratégie de Lisbonne à hauteur de 75% des sommes allouées.
Les objectifs posés peuvent avoir un réel impact sur l’économie, le social et l’environnemental, ils ne sont que des objectifs.
Reste que l’on peut discuter des orientations fixées par ces priorités , de leur légitimité (y a t-il eu un débat suffisamment démocratique ?). La clarté de cette stratégie aurait pu être améliorée pour le commun des citoyens. Il en ressort une vision de souk où chacun peut aller y trouver son bonheur. Cependant la démarche crée un effet d’entraînement avec une certaine émulation entre Etats membres, alors restons optimistes !
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