Un texte de justice sociale dans un continent en crise
Si les rémunérations astronomiques sont souvent perçues comme étant indécentes, cela est d’autant plus vrai en période de marasme économique. Bizarrement, ce ne sont pas les Etats européens les plus englués dans la crise économique (c’est à dire Grèce, Italie ou Espagne) qui ont adopté cette mesure mais bien une Suisse moins touchée que ses voisins par cette dernière. La Suisse, en effet, est un pays qui par le biais de ses votations populaires et plus globalement par son système politique s’approche de la démocratie directe telle qu’on l’imagine idéalement. Ses citoyens peuvent à condition de réunir un certain nombre de signatures proposer un référendum, c’est ce qu’ils ont fait dimanche dernier.
L’initiative du 3 mars 2013 est donc un double exemple pour l’Europe, à la fois un exemple de démocratie directe puisque les Suisses se sont exprimés sur un sujet choisi par eux mêmes et non par leurs représentants, et ce même si l’homme à l’origine de cette initiative est membre de l’UDC. Deuxièmement, c’est un exemple de justice sociale puisque désormais les rémunérations excessives seront fortement limitées ou du moins devront être votées par l’assemblée générale des actionnaires.
Ainsi, plus qu’une interdiction juridique de tous revenus supérieurs à un tel niveau, c’est au contraire une mesure de démocratie qui a été acceptée. L’article 1 de l’initiative dit en effet que « L’assemblée générale décide chaque année du montant global des rémunérations du conseil d’administration et de la direction. » Ce qui semble très clair. En effet, il n’y aura plus de rémunérations qui ne soient pas votées par l’assemblée des actionnaires, et on peut s’attendre à ce que ceux-ci limitent très fortement les rémunérations des membres du conseil d’administration en cas de résultats négatifs de l’entreprise.
L’Union européenne doit-elle s’inspirer de ce texte ?
Il est clair que cette votation a fait des émules au sein du gouvernement français. Jean-Marc Ayrault a même déclaré que celle ci était une « excellente expérience démocratique » et qu’il fallait « s’en inspirer ». Plus généralement, les partis européens de gauche, et peut être aussi ceux de droite, vont certainement reprendre à leur compte cette mesure et en faire un revendication. Ainsi, on peut penser que cette mesure adoptée par la Suisse sera reprise, au moins dans les paroles, par les hommes politiques européens. Mais iront-ils jusqu’à faire voter une loi similaire dans leurs pays ?
Le fait est que beaucoup de gouvernants ont peur d’adopter des lois qui règlementent l’économie, la finance ou simplement qui atteignent les riches, car les grandes entreprises et les gens fortunés sont mobiles et n’hésitent pas à menacer les Etats de leurs départs. L’exemple de Gérard Depardieu est en l’occurrence frappant, les riches ayant plus de moyens, peuvent tout à fait fuir le pays dans lequel ils vivent pour aller chez le voisin, ce que les classes populaires et les classes moyennes ne peuvent pas faire. Pour les entreprises c’est le même principe, la délocalisation est toujours une menace latente contre les gouvernants pour prévenir toute réglementation excessive. A ce chantage aucun Etat pris isolément ne peut rien faire, de peur de voir fuir ses riches et ses grandes entreprises. Cela explique certainement en partie la frilosité des Etats tels que la France à réglementer excessivement le fonctionnement de l’économie. Cette frilosité s’explique également par le dogme néolibéral qui veut que toute réglementation est une entrave à la croissance. Ce dogme a la vie dure en Europe et tous les partis de gouvernements le partagent, partis de gauche compris.
Néanmoins, les Etats européens ne sont plus isolés. L’Union européenne a crée un cadre juridique dans lequel des réglementations s’appliquant à tous ses membres peuvent être prises. Il serait tout à fait possible de faire une réglementation européenne, à l’image de la votation suisse, pour limiter les rémunérations excessives dans les grandes entreprises, non pas en fixant une limite arbitraire, mais tout comme en Suisse en obligeant ses rémunérations à être approuvées par l’assemblée générale des actionnaires. On pourrait également proposer des référendums, soit dans les Etats eux mêmes, soit à l’échelle européenne pour que les citoyens puissent choisir. Le problème étant alors que l’Union européenne n’a pas dans ses traités pas la possibilité de proposer un référendum à l’échelle des 27.
Que la chose soit dite, une telle règlementation des très hauts salaires serait non seulement une mesure de justice sociale mais également un séisme politique. Ce serait un signal disant : L’Union européenne n’est plus ce parangon et défenseur du néo-libéralisme et de la concurrence déréglementée, l’Union européenne aujourd’hui a pour vocation de devenir une institution limitant les injustices et défendant la société civile. Or on sait tout que le désamour envers l’Union européenne aujourd’hui est du au fait qu’elle semble menacer les populations plutôt que les protéger, cette mesure serait donc un premier pas vers un changement de perception de l’action de l’Union européenne.
1. Le 13 mars 2013 à 13:39, par Léos En réponse à : La Suisse règlemente les très hautes rémunérations, un exemple à suivre ?
« Les rémunérations excessives seront fortement limitées ou du moins devront être votées par l’assemblée générale des actionnaires. » S’il faut s’en remettre à la vertu des actionnaires pour voir les rémunérations des dirigeants maîtrisées, on est soit très patient, soit naïf. Les actionnaires seront toujours enclins à payer très cher les dirigeants qui leur assurent une forte rentabilité de leurs investissements. C’est à dire diminution du « coût » du travail, licenciements, fermeture de sites pas assez rentables , augmentation de la pression sur les salariés... C’est tout sauf une bonne nouvelle pour les salariés cette histoire. Le fait que Désir et Ayrault trouvent l’idée géniale doit nous alerter sur cette arnaque. Il n’y a que la loi qui puisse fixer un seuil maximal de rémunération, arrêtons de s’en remettre à la vertu des capitalistes.
2. Le 13 mars 2013 à 14:06, par Xavier En réponse à : La Suisse règlemente les très hautes rémunérations, un exemple à suivre ?
C’est pas tant la limitation sur les salaires dont il s’agit avec cette votation, mais la plus grande place qu’elle donne à l’actionnaire dans le processus de rémunération du PDG.
Or l’actionnaire, c’est le propriétaire de l’entreprise !
Cette votation est donc essentiellement capitaliste et libérale (malgré ses quelques aspects liberticides) : elle vise à défendre le droit de propriété. ;)
– L’Union européenne n’a jamais été ni le parangon ni le défenseur du « néo-libéralisme », ni de la concurrence déréglementée. Suffit de voir tous les textes qu’elle pond. IL n’y a que Schengen et, dans une moindre mesure, l’indépendance de la BCE, qui peuvent être qualifiés de libéraux. Pour s’en convaincre il suffit de lire un minimum les cercles libéraux-classiques qui sont éminemment opposés à l’Union Européenne !
– Si les actionnaires d’une entreprise votent un salaire extrêmement élevé au PDG du groupe et lui accordent un parachute doré du fait de ses excellents résultats, en quoi cela constitue-t-il une injustice ou une atteinte à la société civile ? Cette votation, malgré ses aspects liberticides, corrigent précisément la seule injustice : les propriétaires de l’entreprise (les actionnaires) n’avaient pas toujours leur mot à dire concernant la rémunération de la haute direction.
– Certes, lorsqu’on mentionne le néo-libéralisme (dont personne ne se réclame !), il s’agit d’un éventail pour faire peur et acclamer le rôle de l’État dans les sphères économique et sociale.
– Logique, les politiciens nationaux ne cessent d’accuser l’UE et la BCE de leur propre incompétence et insouciance.
– Les Européens ont tort d’attendre que l’État règle tous leurs soucis, qu’il soit local, national ou européen. Ceux qui attendent de l’État qu’il intervienne feraient mieux d’espérer qu’il se désengage de tout pour se concentrer sur ses missions régaliennes.
– Les pays qui ont appliqué cette conception du rôle de l’État, avec plus ou moins d’intensité (Nouvelle-Zélande, Suisse, Canada) et plus ou moins largement (Danemark pour le marché du travail) s’en sortent bien mieux que ceux qui font l’inverse (des USA - avec leur énorme budget de relance - au Venezuela en passant évidemment par la France).
3. Le 14 mars 2013 à 13:24, par Arnaud En réponse à : La Suisse règlemente les très hautes rémunérations, un exemple à suivre ?
@ Leos
On ne peut pas se contenter de vouloir, à tout prix, et à tout moment, adopter des positions maximalistes. Si la votation ayant eu lieu en Suisse n’est pas parfaite, si elle n’est pas ewempte de défaut, elle n’est à mon avis pas pire qu’une loi qui serait voté par des « représentants » qui partageraient en réalité les mêmes visions de l’économie que les actionnaires. Si on était sur que les représentants du peuple votent en fonction des intérêts de celui ci, alors dans ce cas une loi serait souhaitable, mais est-ce vraiment le cas ? Un tel espoir n’est-il pas naïf ?
L’idéal serait que les salariés des entreprises aient tous leur mot à dire dans la fixation de la rémunération de leur dirigeant. Cela pourrait passé par le fait que tous les salariés deviennent automatiquement actionnaires de leur entreprise.
4. Le 14 mars 2013 à 16:35, par Christain Pascal En réponse à : La Suisse règlemente les très hautes rémunérations, un exemple à suivre ?
1) Les peuples européens ont tort d’attendre que d’autres qu’eux-mêmes règlent leurs soucis. 2) Il n’est pas nécessaire d’être gros.
Le peuple suisse nous montre qu’il n’est pas nécessaire d’être un grand pays pour prendre les mesures que l’on souhaite pour assurer la justice sociale à laquelle on aspire, au contraire. Il faut être de la bonne taille.
A avoir fait une Europe sur un modèle d’organisation (l’idée que « plus nous serons nombreux, plus nous serons forts ») au point que les intérêts des uns se heurtent aux intérêts des autres, nous ne pouvons plus nous mettre d’accord que sur des principes minimalistes. Et les différents peuples européens ne sont plus maîtres de leurs destins propres. L’Europe n’est donc plus perçue au mieux que comme une « zone de libre échange et de concurrence non faussée » (un libéralisme où la seule valeur qui compte est l’argent, voir les méfaits de la concurrence fiscale entre les états européens...), au pire comme une technocratie inefficace.
Il vaut mieux être de la bonne taille. La taille qui correspond à conscience qu’a le peuple d’être UN, d’appartenir à un même corps, d’être lié dans une même communauté de vie. Aujourd’hui ce n’est pas le niveau Européen, c’est encore la nation, la patrie, « la terre de nos pères ». Il est difficile parfois de faire adhérer le peuple aux décisions prises au niveau national, mais si nous les acceptons c’est en vertu de cette conscience d’être une même communauté (l’idée que l’effort que l’on nous demande aujourd’hui servira à tous, et que demain l’effort que l’on demandera à d’autres me servira), C’est cette Citoyenneté qui fonde la République.
Rien de tel (hélas peut-être) au niveau Européen. Cet esprit de corps d’un hypothétique peuple européen reste dans l’esprit de beaucoup un objectif, une cible, un chemin, mais ce n’est pas une réalité sur laquelle on peut bâtir des organes de gouvernement. On peut le regretter, mais c’est ainsi, et l’on ne fait de politique que sur des réalités.
C’est peut-être pour cela que l’on assiste à un divorce des peuples d’Europe avec la construction européenne. Elle ne permet pas de bâtir, en conséquence elle n’offre pas de perspective aux peuples européens. Sans compter que l’on continue toujours à agrandir cette Europe-là à y intégrant toujours de nouveaux états (à croire qu’on le fait exprès !).
Il faut rendre aux peuples la liberté de disposer d’eux-mêmes et de décider des moyens d’assurer leurs solidarités nationales, éventuellement en limitant les rémunérations excessives.
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