La bactérie tueuse montre que l’espace public européen existe

, par Fabien Cazenave

La bactérie tueuse montre que l'espace public européen existe
détail de « Salad » par Till Nowak, tous droits réservés. Né en 1980, Till Nowak est un artiste numérique, designer, et réalisateur. Retrouvez ses oeuvres sur son site : www.framebox.de

Depuis quelques jours, une bactérie fait peur. On pensait que ce passager clandestin faisait du concombre espagnol son cheval de Troie. Or, les dernières nouvelles montrent qu’elle utilise un autre véhicule mystérieux, ce qui inquiète autant les autorités que les potentielles victimes et que les producteurs de fruits… quelle que soit leur nationalité.

Un ennemi public n°1… européen

Il est intéressant de noter que deux éléments à dimension nationale touchent finalement toute l’Europe. Premier élément : le marché allemand où une vingtaine de personnes sont mortes du fait d’une bactérie qui se propage par les légumes. Deuxième élément « national » : le coupable est ibère ; c’est le concombre espagnol. Or si deux espaces publics nationaux sont concernés ici, cela ne faisait pas pour autant un espace public européen.

Cette affaire devient « européenne » à partir de l’instant où les différentes « briques » s’encastrent. Tout d’abord, l’espace public allemand est tellement important par sa taille en Europe qu’un sujet médiatique faisant la Une des journaux télévisés outre-Rhin finit toujours par arriver dans les autres médias européens… surtout s’il s’agit d’un « fait divers  » simple à expliquer.

Ensuite, cette bactérie traverse les frontières : un mort en Suède, des dizaines de cas en France, au Royaume-uni, en Finlande... Après les affaires de vaches folles et de grippe aviaire, pourtant complètement différentes, le public est prêt à entendre qu’une bactérie alimentaire touche plusieurs pays. Partout les marchés voient leurs ventes se réduire fortement, et ce pour tous les légumes puisqu’on ne sait pas encore quel produit est porteur de la bactérie tueuse.

C’est là l’effet boule de neige européenne : un fait divers concernant un ou deux espaces nationaux touche d’autres espaces nationaux en raison d’une actualité angoissante, tellement négative que la consommation européenne des légumes baisse dangereusement et fait courir un risque de faillite pour de nombreux exploitants agricoles partout en Europe. La bactérie tueuse est devenue l’ennemi public européen n°1.

Un espace public européen existant au regard des autres

Au-delà de la perception de cette affaire en Europe, les autres pays perçoivent cette actualité selon un cadrage européen. La Russie a par exemple décidé d’un coup de suspendre toutes ses importations de légumes européens.

Une telle décision montre à quel point les Européens n’ont pas conscience de leur propre espace public alors qu’il existe pour les autres. Nous en sommes encore à décider de cesser les exportations entre pays de l’UE tandis que les pays voisins eux ne font pas la distinction.

Une affaire désastreuse pour l’économie agricole européenne

Au final, un problème européen s’imposera à nous : les producteurs espagnols de concombres vont dénoncer cette campagne de mauvaise publicité et demander des dédommagements… Or les autorités allemandes ne veulent pas être tenues responsables de l’effondrement d’une filière agricole… a fortiori non-allemande.

Cette affaire européenne va avoir de grandes conséquences économiques partout en Europe : les producteurs de légumes voient leurs revenus s’effondrer alors que cette période de l’année est censée être l’une des plus fastes pour eux. Les conséquences vont être terribles pour une filière déjà sur la corde raide.

Et qui va-t-on appeler à la rescousse ? La Commission européenne évidemment ! Elle a d’ailleurs déjà réagi dans le cadre de ses deux compétences : la politique agricole commune et la politique commerciale… pour dénoncer la décision venant de Russie. Pour autant, elle réagit et se mobilise tout en restant inaudible jusqu’à présent.

Pourquoi ? En partie parce qu’elle refuse d’être une force réellement politique et de poids au sein des institutions européennes, et elle le paye aujourd’hui. Notamment parce que l’espace public européen doit faire sa révolution médiatique : la bactérie tueuse montre que l’espace public européen existe… faut-il encore que les Européens s’en rendent comptent ?

"Salad" par Till Nowak, tous droits réservés.

Né en 1980, Till Nowak est un artiste numérique, designer, et réalisateur. Retrouvez une présentation de la généalogie de « Salad » ici, et un aperçu de l’ensemble de ses oeuvres sur son site : www.framebox.de

Vos commentaires
  • Le 8 juin 2011 à 18:39, par Florian Chevoppe En réponse à : La bactérie tueuse montre que l’espace public européen existe

    Je trouve que cet article démontre exactement l’inverse de son titre. Il n’y a pas un « espace publique » mais plusieurs qui fonctionnent par un système de vases communiquants. On attend que le sujet fasse les gros titres dans un pays pour qu’il entre dans les « faits divers » d’un autre. Une fois que le sujet prend de l’importance, cela se décale vers un troisième, et ainsi de suite.

    Si l’on a parlé des concombres au Royaume Uni c’est par-ce qu’il y a eu des infections dans le pays. Si cela était resté un problème allemand, je doute que l’on en aurait parlé. Pour le nucléaire par exemple, la décision allemande est restée dans les « faits divers ». Et j’ai l’impression qu’en France aussi.

    L’article dit deux choses « Après les affaires de vaches folles et de grippe aviaire, pourtant complètement différentes » et « Nous en sommes encore à décider de cesser les exportations entre pays de l’UE ». Ce n’est pas la même chose qui s’est passée lors de ces deux affaires ? Avec des pays qui déclarent unilatéralement des embargos ?

    Ensuite, il dit « En partie parce qu’elle refuse d’être une force réellement politique et de poids au sein des institutions européennes, et elle le paye aujourd’hui ». Ca, c’était le fantasme de l’époque Delors. Maintenant, ce n’est plus le cas. Les principales décisions de l’Europe relèvent de l’intergouvernementalisme. Si l’Europe était une maison, la Commission ne serait que le majordome.

    Enfin il met en relation deux faits : D’abord, « la Russie a par exemple décidé d’un coup de suspendre toutes ses importations de légumes européens. » Ensuite, « une telle décision montre à quel point les Européens n’ont pas conscience de leur propre espace public alors qu’il existe pour les autres ». Personellement je ne vois pas le lien, si l’on veut m’expliquer plus en détail... Quand ils coupent le gaz qu’à la Hongrie, ça veut dire quoi alors ?

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